Pourquoi ai-je aimé ce cinéma-là? Parce qu'au cinéma permanent s'est ajoutée l'idée de la vie permanente, d'un fond disponible sur lequel "s'enlevaient" les images. Parce que ce cinéma-là est le plus engagé socialement et qu'il me permettait de rendre au César du social ce qui lui revenait et auquel j'avais si peu d'accès. Accompagner le flux du temps, de la vie, mais aussi bien les contradictions dans leur devenir commun, un bout de temps. En finir avec ce qui ne finit pas, d'où les fins-miracles, les coups de force, les larmes à la fin. Partager du temps avec des personnages qui partagent l'image et son hors-champ. Passer le temps à le voir passer.
La parenthèse (morale) du cinéma moderne étant finie, le cinéma (ou ce qu'il en reste) redécouvre une question de fond: d'ou viennent les corps de reve? Comme si les hommes et les femmes (et les enfants) des spots publicitaires, une fois décrochés du "social" et libérés des histoires "communes", flottaient dans un éther sans histoire et qu'il fallait, héritant d'eux, leur inventer une génèse, un mythe, une origine. Ce serait le sens du plongeur du "Grand Bleu", bien beau garçon incapable de partager une histoire avec qui que ce soit et à qui il faut, du coup, trouver un mythe-programme, celui qui le départage d'avec les dauphins.
Croyance désespérée que le cinéma transcende les gouts personnels, que je préfèrerai un film hétéro-hétéro de Rossellini à un film homo mais complaisant de Reisenbach. Espoir qu'il y a dans le cinéma plus que la reconnaissance de "ses" objets. Morale: que les films servent à se coltiner ce qu'il n'est pas question de fréquenter dans la vie.
Si la personne était un noeud de forces dans un réseau, l'homme un cercle avec un noyau et une périphérie, l'individu est une sorte de polyèdre à facettes, exposé sous plus de facettes à plus de stimulations de l'extérieur, capable de plus de branchements mais plus superficiels. Notre monde est plus superficiel parce qu'il y a plus de surfaces qui sont autant d'interfaces. Le coeur est dégarni, le noyau non pas dur mais vide.
Les progrès de la communication interactive font qu'une émission de télévision peut se prolonger en temps réel par un dialogue par Minitel (exemple de la messe et du sermon). Il devient dans ces conditions étrange d'exiger que cette émission soit la plus juste et la plus "vraie" possible puisqu'elle ne constitue qu'un maillon dans une chaine de services, chaine où l'image est peut-etre le "support" le plus aléatoire et le mois sur. L'écrit l'emporterait donc, mais un écrit codé, simplifié, apauvri.
Retour sur l'entretien du 4 novembre 2004 à Radio-France : https://youtu.be/TDzTUYNWhFM
1. Rumeurs journalistiques
2. Attente
3. Première caméra vidéo de Godard
4. Nomenclatures
5. Réaction de Godard aux invectives
6. Principes nietzschéens de la polémique
7. Neutralité et confusion
8. Renoncements du cinéma
9. Amis et ennemis
10. Répondre toujours
11. Conseil à de jeunes cinéastes
12. le nom "Américains"
13. Parler des films
14. Puzzles
15. Bible, Talmud et Mallarmé
16. Platon socratisé, Kafka et Max Brod
17. Adapter ou pas
18. Cinéphiles, imbéciles
19. Argent du cinéma, gratuité de la Bible
20. Cinéma et Domination
21. Écriture du mouvement
22. Trinités
23. Images des Palestiniens
24. Production, distribution, exploitation
25. Image et son
26. Habiter son nom
27. Dire, montrer, critiquer la critique
28. Camp de la Mort
29. le montage n'existe pas
30. Domination du "Je sais" et mensonge total
31. Dire et faire
32. Faussetés
33. Juifs exterminés, suicidaires palestiniens
34. L'auteur
35. Contrechamp et directives
36. Métaphore et idée
37. Autour de Serge Daney
38. Méchanceté?
39. Calculs de la Technique
40. Timbres de voix et histoire nationale
41. Malédiction de la vidéo et de Marguerite Duras
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