Parfois il convient de se réjouir de vivre à notre époque plutôt que cent ans auparavant. En si l'on considère les évolutions sociétales (institutions, valeurs éthiques, politiques publiques, mentalités...) intervenues au cours de ce dernier siècle, on découvre que la plupart ont été la réalisation de rêves et d'anticipations issus de la pensée anarchiste "utopique" - selon l'expression de ses contemporains - beaucoup plus que de ceux du socialisme "scientifique", sur lesquels l'on est d'ailleurs en train de revenir à toute allure...
Cet ouvrage contient les premiers textes d'
Alexandra David Néel, datant d'avant qu'elle ne soit l'exploratrice d'Asie bien connue, et même qu'elle ne soit Madame Néel. Deux d'entre eux : Pour la vie (1898) et
le Féminisme rationnel (1906), ont une envergure plus importante que les autres, qui sont parfois de brefs textes de conférences.
On y retrouve le ton et les problématiques de cette "école" d'Élisée Reclus dans laquelle la jeune femme assoiffée de connaissances et de révolte baignait, mais aussi, en écho, le climat intellectuel de la France qui s'apprêtait à faire passer la loi sur la laïcité, à instaurer les Universités populaires, à faire la guerre aux orphelinats et autres institutions cléricales... tout cela vu d'une perspective féminine et féministe. L'anti-cléricalisme (anti-christianisme ?) de l'auteure, et sa sympathie précoce pour le bouddhisme (sans doute n'en avait-elle pas encore approfondi assez la doctrine pour qu'on puisse parler de conversion), dont on comprend les raisons dans sa perspective "anarchiste" de valorisation du développement individuel en vue du bonheur et dans la croyance que "la cause de la souffrance, c'est l'ignorance" (p. 82), constituent aussi des marques personnelles dans ce cadre.
1- Pour la vie - Les fondements de l'organisation sociale basée sur l'autorité et la propriété sont ici radicalement contestés.
- le principe "Pas de droits sans devoirs" est mis à mal par l'idée que le premier droit de l'homme, c'est celui de conserver sa vie, et notamment de recevoir de quoi se nourrir - il n'est toujours pas assuré par la société ;
- "Les sociétés actuelles ont pour base, non pas l'union et la communauté d'intérêts entre les membres qui les composent, mais bien au contraire la division et l'opposition de ces intérêts. C'est par une concurrence factice, poussée à l'extrême, qu'elles subsistent, exploitant, semble-t-il, la souffrance des masses au profit d'une minorité de privilégiés, mais en réalité restreignant chez tous la part de bonheur et de vie que l'homme trouverait dans une association normalement constituée." (p. 52)
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