La lande des au-delà
J’habite l’intérieur de la maison des ombres, aux parois
vertébrées comme la coquille du chien. Chaque nuit,
je m’enfonce un peu plus profondément, selon le rythme
de la grande pendule de légende dont les aiguilles n’avan-
cent qu’à partir de vingt-cinq heures.
Les fenêtres sont laissées à l’extérieur, car la maison est
réversible et des chemins s’enfoncent partout.
JE M’ENFONCE DAVANTAGE, et le monde qui s’allonge
s’écoule goutte à goutte devant moi et derrière moi, en
une rue de sable mouvant.
Et les voix me rejoignent; les paroles retrouvées
contiendront à jamais l’alphabet des anciens passages :
si tu t’endors face au vampire, ton sommeil aura des ailes
noires. […]
SILENCE
Silence, haleine douloureuse
Où s'étalent les derniers sanglots des fleurs,
A chaque pas poussé plus avant, on
Reconnaît en toi cette cicatrice
Sans visage d'une étoile
Prise dans le givre.
Et parfois, un court instant de bonheur
Passe et s'en va dans le même souffle,
Ainsi un ange vire de l'aile
S'abat, son extase
Pénètre tout.
(p.263)
Dans son coin, l'araignée noire.
Elle file son drame et dort
D'un sommeil de chevelure.
Et la chambre mange ses rêves.
SEIZE ANS
J'ai dominé toute une station de vie
Ma première enfance est entrée dans la pierre
Mes premières larmes sont parties avec les passereaux
J'ai vu un Dieu, j'ai vu les hommes
Et mes yeux ne se cherchent même plus
Hier je suis allé sur la montagne qu'habita la lune
Et je suis revenu le cœur plein de tristesse
Il ne me reste plus qu'un souvenir et un guitare brisée
Un saule pleureur se dépouille et m'habille de larmes
Qu'est-il de plus triste au monde que de partir sans chanter
(p.254)
MOUVEMENT
Mouvement plié au corps de la vie
Dehors, la nuit neigée à l'étendue
Dedans, le mort qui n'attend plus
Qu'un seul battement d'aile
Dont l'endroit
Est encore ombre de l'envers.
Et cet endroit est cet envers
Passé à travers cet endroit.
Mouvement sans poids sur les mains
Dont le dos
S'applique aux vitres sans mesure.
Lentement, peinant de quatre membres d'air.
D'air engourdi,
Passé comme à la lenteur des murs,
Le mort appuie l'ouvert de sa tête.
(p.189)