QUE CHERCHENT LES REGARDS
Que cherchent les regards du ciel au fond du lac
Où dorment des momies ?
Légères se balançant sur le sable bleui
Leurs membres sont des sacs
Je ne suis pas de celles-ci car mes bras qui sont lourds
Ne se détachent point
Mais mes yeux vont au loin et j’ai peur qu’un jour
Ils perdent leur chemin
Il a moins de soucis le vagabond qui part
Souhaitant mourir demain
Quant à moi mon sentier n’est pas pareil au sien
Je veux finir plus tard
Mais le fil qui casse laisse en guise de passé
Des cercueils de bois
Et la mort n’oublie pas qu’elle a pour nous faucher
Une mer de bras
Un jour je dormirai du sommeil dont j’ai peur
Pour ne plus m’éveiller
Je descendrai au fond de ces temps oubliés
Où les sirènes pleurent
Et les très longs voyages repliés dans ma tête
Seront chiffons de rêve
L’archange qui nous garde et sans nous ne s’élève
Sera l’ange de la fête
Puisse durer longtemps le phare du vaisseau
Qui nous porte sur terre
L’abri que se construisent les marins sous les flots
Me semble bien précaire
Allégés de leur poids ils sont bulles de verre
Portés par les anges
Un rêve qui les cogne claque comme une orange
Entre deux bras de mer.
Juin 46
Où que j’erre
Extrait 2
Sortir de la mort, sortir de la pluie, sortir du pays,
[…]
Sortir de ce pays qui m'assèche,
Ce pays qui me pousse dans le ventre en roses rouges de douleur,
en roses de vie et d'eau de vie, en ombres et en attentes, en silence
et en amour,
derrière ma vie, mon rêve et mon identité.
Car moi je veux m'endormir profondément
Et me réveiller plus profondément encore
Dans le sorti du jour, le sorti des transes, le sorti du quotidien, et du
pain qu'on
nous mange et de la douleur qu'il faut manger
Pour devenir plus grand, plus lourd et plus dur qu'un jour de travail
Dans l'horizon mal construit de son malheur.
Ah je crois bien, je crois bien n'y voir plus très clair !
Mais : Sortir de son pain, sortir de l'amer, sortir de sa soif
Sortir de l'envers, sortir de l'endroit.
Et du droit de penser que ça vous est égal
De n'avoir plus de droits,
Voilà, voilà ce qui est clair !
Où que j’erre
Sortir de la mort, sortir de la pluie, sortir du pays,
Sortir du pays, sortir de son pain, sortir de l’ennui,
Sortir du toujours, sortir du jamais, sortir du pays,
Il y a là-dedans quelque chose qui ne me revient pas,
Quelque chose qui me ronge et me découpe. Ah sortir
De sa boue,
Et sortir de sa nuit et de la nuit des autres,
Sortir de sa chance et de sa mauvaise chance,
De l’amer et de l’aigu, de la mer et de la terre (…)
Où que j’erre
Extrait 5
Sortir de la mort, sortir de la pluie, sortir du pays,
[…]
Allons, allons, encore un petit verre Jean-Pierre Duprey.
Duprey le mol, Duprey le momo,
Duprey le sec, Duprey le plein
Duprey-la-vie-qui tache les mains
(Comme si vraiment il espérait lui aussi sortir de sa boue et de
ses mains)
Allons, allons, encore un petit verre, les gars.
Un petit verre de vie, un petit verre de vin, un petit verre de la
création du monde,
Un petit verre de sang rougi au crayon rouge.
Un petit verre d'amour coloré d'un autre amour prochain,
Avec un doigt du plus mauvais bonheur.
Un excellent cocktail.
Allons, allons, un autre petit verre,
Vous me raconterez vos histoires une autre fois garçons,
Et je vous dirai qui j'aime.
Où que j’erre
Extrait 4
Sortir de la mort, sortir de la pluie, sortir du pays,
[…]
Sortir d'un asile de bons sentiments (où les mauvais répondent
« présent »)
D'une prière pour les défunts,
Sortir de toi-même Jean-Pierre Duprey
Et que l'amour, l'amour qui te regarde Jean-Pierre Duprey,
Avec ton nom, tes lois, ta morale et ton principe
Qui est de n'en avoir aucun
Et d'être libre comme est libre celui qui est libre alors qu'on le croit
en prison.
Et qui refuse jusqu'à son nom bien mérité d'homme libre pour en
garder le
bénéfice.
Allons, encore un petit verre, garçons,
Et vous m'écoutez bien, les gars.
Car c'est avec des mots qu'on écrit des chansons
Mais c'est avec son cœur qu'on écrit une vie
Comme une lettre qu'on s'envoie soi-même à son adresse
Avec quatre francs cinquante de timbres collés au dos,
Car dans ce monde où tous les hommes ont des numéros
Gravés au dos du gras de leur mémoire
Il faut bien rigoler un peu n'est-ce pas !