SACRE ET MASSACRE DE L'AMOUR
IV
Visitation blême au désert de l'amour
Aveugle prophétesse au regard de cristal
Que les oreilles de ton cœur
Entendent rugir les lions intérieurs
Du cœur
Le grand voile de brume rouge et la rumeur
Du sang brûlé par le poison des charmes
Et les prestiges du désir
Suscitant aux détours de ta gorge nocturne
La voracité des vampires
Danse immense des gravitations nuptiales
Aux palpitations des mondes et des mers
Au rythme des soleils du cœur et des sanglots
Vers le temple perdu dans l'abîme oublié
Vers la caverne médusante qu'enfanta
L'ombre panique dans la première nuit du monde
Voici l'appel la trombe et le vol des semences
L'appel au fond de tout du centre souterrain
Danseuse unissant la nuit à l'eau-mère
Végétal unissant la terre au sang du ciel
p.59-60
SACRE ET MASSACRE DE L'AMOUR
III
L'aube froide
Des ténèbres pâles
Inonde les pôles
Du ciel et de la chair
Des courants souterrains de la chair et des astres
Au fond des corps de terre
Les tremblements de terre
Et les failles où vont les volcans du délire
Tonner
Entez sur le trépied
Celle qui hurle
La bouche mangée
Par l'amertume
En flammes du laurier de gloire
Écume
De la colère des mers
La femme à chevelure
D'orages Aux yeux d'éclipse
Aux mains d'étoiles rayonnantes
À la chair tragique vêtue de la soie des frissons
À la face sculptée au marbre de l'effroi
Aux pieds de lune et de soleil
À la démarche d'océan
Aux reins mouvants de vive houle
Ample et palpitante
Son corps est le corps de la nuit
Flamme noire et double mystère
De son inverse identité qui resplendit
Sur le miroir des grandes eaux
p.58-59
MOI ET MOI
Incident de frontière entre rêve et veille :
un épuisement soudain m'ensevelit, je sommeille sur un divan.
Quelqu'un entre : j'entends, je n'entends pas, je dors,
je m'éveille, je continue à dormir.
En un instant naît la scission mémorable.
Moi-qui-veille se lève et montrant au nouveau venu
Moi-qui-dors toujours étendu sur le divan dit en se
penchant :
— « Il dort. »
Sans la moindre angoisse.
La crainte commence à saisir Moi-qui-veille quand
Moi-qui-dors s'agite et crie en proie aux lémures du
profond sommeil. Moi-qui-veille se tournant vers son
hôte dit finement :
— « Il rêve. »
Moi-qui-dors se dresse brusquement sur son séant.
Moi-qui-veille poussé par un souvenir de solidarité
l'aide à se dresser complètement.
Spectacle unique: Moi-qui-veille prend le bras de
Moi-qui-dors, comme on fait à un convalescent et tous
deux (ou tout un en deux) font au pas le tour de la chambre.
Au secours ! Moi-qui-dors chancelle, Moi-qui-dors
s'affaisse. Il échappe à Moi-qui-veille et tombe très
lourdement sur le sol. Son crâne rebondit.
Moi-qui-veille, toujours debout, le contemple, puis,
inquiet, se tourne vers son hôte et dit :
— «Très ennuyeux, quand il faudra que je rentre
là-dedans (et il indique du pied Moi-qui-dors étendu,
inerte) je me trouverai courbaturé et j'aurai mal à la
tête pour le reste de la journée. »
p.116-117
JE N'AI PAS PEUR DU VENT
...
Qui naît en l'air
Et va se suicider aux cimes coupantes du ciel
Toi qui trousses les cottes
Et dévastes les côtes
Les côtes en falaises et les côtes en os
Toi qui horripiles les peaux
Secoues les oripeaux les drapeaux les persiennes
Les plis des manteaux des voyageurs égarés les arbres
Les fantômes et les allumettes perdus dans l'immensité
Toi qui ondules les ondes et les chevelures
Fais cligner les yeux et les flammes
Claquer les oriflammes
Grand voyou chérubin démesuré
Clown des tourbillons
Sculpteur de nuages
Roi des métamorphoses
Toi qui fais vivre éperdument les choses qui sans toi
Seraient vouées à l'inertie la plus plate
Immense père des spectres et des frissons
Toi qui animes la gesticulation des rideaux mystère
Dans les châteaux hantés…
p.85
LE NOYÉ NOYAU
Un noyé dénommé
Noyau Tomba dans l’eau comme une enclume
Par un soleil de clair de lune
Commentaire Il aimait trop l’eau
Or tous les Noyaux aimaient l’eau
Mais ils restaient à la surface
Pour faire voir leur belle face
En en cachant l’envers qui dit-on n’est pas beau
Mais ce noyau qui fut noyé
Dénommé le Noyé-Noyau
Avait pris le bas pour le haut
C’est ainsi que son corps devint mort car noyé
MORALITÉ :
Si vous vous dénommez Noyau
Noyez-vous sans remords ni crainte
Et votre fin paraîtra sainte
A Dieu qui sachant tout sait que noyénoyau
Roger GILBERT-LECOMTE – Hommage exceptionnel (Chaîne Parisienne, 1963)
Émission Soirées de Paris, diffusée le 29 décembre 1963 sur la Chaîne Parisienne, réalisée par Pierre Minet et Michel Duplessis, avec le témoignage de proches.