Elle m'a appris que les mathématiques étaient l'autre nom de l'espoir.
(...) et c'est doux de se plonger dans le monde des nombres quand autour de moi, c'est l'enfermement et une forme de longue douleur d'absence.
(...) il convenait de se réfugier dans le mondes des étoiles et des mathématiques- les astres, l'amour, les corps, les anneaux, les idéaux, tout ce fatras si profondément humain qu'il ne peut s'effondrer, car il reste en nous, dans le monde imaginal.
(...) le monde avait changé, des vies avaient été perdues , comme tous les jours, mais surtout une partie de notre foi s'était effondrée avec les tours- notre foi en une sorte de paix, de réparation, s'effritait; déjà au cours de la décennie précédente les guerres de Yougoslavie avaient teinté de rouge la joie de la chute du Mur; (...)
Tusi a assisté à la destruction de Bagdad depuis le camp des destructeurs, le camp de ceux qui ont empilé les têtes pour en construire d'immenses pyramides, qui ont tué jusqu'aux chiens, jusqu'aux oiseaux, il fallait que rien ni personne ne survive ; il fallait que s'installe le silence parfait de la victoire.
Il réussit à fermer les yeux sans qu'apparaissent des visages torturés aux bouches sanglantes et aux yeux cernés (...).
(...) parfois le sommeil vient par surprise comme la balle d'un tireur embusqué.
"J'ai rêvé de toi ce matin c'est la guerre
Je t'ai rêvée tout autour de moi
Vibrante
Une douce explosion mon cœur de ta présence
C'est la guerre ce matin je t’ai rêvée
Parfaite comme les équations qui font voler les obus
Parfaite comme l'évidence des équations
Parfaite comme la violence
Entière
Tu étais là en moi
J’étais seul tous n'avaient que la guerre à la bouche
Je n'avais plus que toi
Et la tristesse de ta disparition."
Je les avais vus toute mon enfance, Maja et Paul, toute mon existence, se courir après d'un côté à l’autre du Rideau de Fer, d'un côté et de l'autre du mur de Berlin, d’un côté et de l’autre de l'Impérialisme; je les avais vus ensemble et séparément, la politicienne et le mathématicien, lui personnage public célèbre et célébré de l'Allemagne de l'Est, communiste fervent jusqu'à la déraison et elle, femme politique de l'Ouest, toujours soupçonnée d'intelligence avec l'ennemi. p. 51
Je suis née en 1951, dans une clinique du secteur américain près du Jardin Botanique. Mes parents avaient alors trente-trois ans. Paul terminait la rédaction de sa thèse d’habilitation tout en enseignant l'algèbre à l’université Humboldt. Maja était toujours très engagée politiquement et travaillait auprès de Franz Dahlem, après que son parti, le Parti social-démocrate, avait fusionné avec le Parti communiste allemand pour former, dans la Zone d’occupation soviétique, le Parti socialiste unifié. La République démocratique d'Allemagne avait tout juste deux ans; deux ans plus tard tout l'espoir de Maja, déjà ébréché par le blocus de Berlin, se fracassait contre les émeutes de juin 1953; elle se réinstalla sans mon père à l’ouest (ils n’ont jamais été mariés) et poursuivit sa carrière politique auprès de Willy Brandt.
Paul soutint son habilitation et obtint son premier poste à l’Académie des sciences de Berlin au moment même où les intellectuels commençaient à fuir la RDA. L'ouvrage Les Conjectures de l'Ettersberg, élégies mathématiques, fut un des premiers livres publiés par la maison d'édition de l’Académie fin 1947, Il s’agit des travaux de Paul Heudeber rédigés autour de sa détention au camp de Buchenwald entre 1940 et 1946. p. 37-38