Ce n'est pas tant la solitude qui garrotte les vies,
mais le pain sec des morales,
la vieille fille des obligations,
la hache sur le monde,
le verrou des indifférences, les habitudes.
Et la normalité, ce collectif grégaire qui assure ses peurs,
confiture ses certitudes, enterre ses rêves.
Ombres de mort.
Alors vivante,
je marche dans la tension d'aimer qui me nomme jusqu'à l'insurrection.
Un torrent ceinture ma taille et mes seins,
je me courbe sous le vent, sans obscénité --- vivante.
Du tournesol à la faim de l'oiseau --- vivante.
Le soleil en plus.
Je marche loin des gestes de cire.
Peu de choses, mais tellement moi.
Je désabonne les grimaces, convoque les glaciers, acclimate les braises.
Ma rue principale n'abandonne jamais.
Je marche au centre du dessin.
Vivante.
(p51) (Du Feu dans les Herbes)
Ils fusillèrent les rires, les différences, les audaces.
Ils barrèrent les rues et tout sens qu’ils ne trouvèrent pas conforme.
Ils arrachèrent les livres, civilisèrent la mort, la rajeunirent.
Ils arrangèrent le passé.
De leurs idées arrêtées, ils firent des églises où ils sacrifièrent la vérité.
Ils emprisonnèrent les paysages, suspectèrent l'intelligence,
conditionnèrent l’amour,
colonisèrent l'herbe sauvage, calfeutrèrent la joie, surveillèrent le désir,
évaluèrent les maisons, parquèrent l’imagination, déclarèrent courte l’enfance.
Quand ils eurent mis en bouteille, la vague, l'inventivité, la liberté, l’âme,
et autres choses gênantes, ils dirent aux arbres quels fruits ils devraient porter.
Ils installèrent l’uniforme de la pensée unique et décidèrent de ce qui était bon.
Les tuiles qui rêvaient aux étoiles furent jetées aux orties qui elles-mêmes furent exterminées. Les champs, ces voix sans issues, furent stérilisés, comme les animaux,
les idées, les rêves, les couleurs, et ceux qui ne pensaient pas comme eux.
Ils déclarèrent dangereux le rire, l'espoir, le chant, la connaissance.
Ils dressèrent des chiens, des lois et des tours.
Les oiseaux furent bagués, les esprits lessivés.
Quand ils eurent asséché l’intérieur et l’extérieur, quand ils eurent effacé les larmes,
quand ils eurent sacrifié le vivant, ils trouèrent le ciel, trafiquèrent les cellules,
inventèrent maladies et remèdes, assujettirent la réflexion,
brûlèrent le jour et tout ce qui ne leur ressemblait pas.
Puis, ils vidèrent les bacs à sable.
Alors, il ne resta plus rien, ni personne, pour crier au loup ou pousser une balançoire.
Et sur la boule bleue désaffectée,
ils ne virent plus, dans l’orbite morte du soleil, que leur visage, infâme et sans nom.
Il m'importe toi.
Toi sur mon fil, sur mon rire.
Toi sur mes rives.
Rien de plus que délices, de sauges, verveines, jasmins ou fleurs d'orangers.
Ces odeurs de maquis où les benjoins font les jardins contraires.
La double lune de tes bras m'écarlate.
Il m'importe toi,
Au plissé des yeux,
Là où gagnent les rides de mémoire.
Une odeur de printemps attise les bourgeons.
Des arbres serruriers ouvrent l’enchantement.
Pommiers de fêtes, veines de feuilles, projets
d’aubépine. Un frémissement parcourt l'angé-
lus qui bouscule le silence. L'horloge s’épuise
à dicter sa logique. Aux rideaux des façades les
volets ne battent plus pour appeler à l’aide. Un
plaisir visite les ramures. Rien n’arrête la cour-
se du vivant. Et le vieux monde, par un soleil
de plus, pardonne encore à ses bourreaux.
Des herbes échangent une lutte. Aux parois de l'air s'appuient des fleurs en branches. Un soleil me pénètre qui active mes sens. Des particules chaudes raniment mes étés. Je suis vivante.
J'irai jusqu'à ma mort en écrivant.
Le texte
"Je veux toi pour tisane. Le sucre de ta peau, ton goût de tabac d'arbre, le chat de ta gorge enroulé sur mon cœur, le chant de ton cœur déployé sur ma gorge, tes bras ouverts comme une table, tes pas de loup de nuit, ton sol précis sur mes graines de rêves, tes doigts sourciers sur mes glaises de soif, tes mers sur mes escales, tes bois à découvrir, mes rives à t'accueillir. Je veux tes mots revisités de fraises, tes mots rougis incendiés de neige. Je les veux qui enflamment qui touchent et qui m'existent. La sève de tes mains pour redevenir liane, l'arbre le fruit et la racine, le paysage en route, l'aimer à double tour d'où l'on ne sort jamais. Je veux le seringa troublé d'eau et de blanc, l'affolée de parfums de pollens et de miel, cette abeille innocente qui pille les corolles. Et plus que le désir, plus que le ciel à dire, plus que le tout à vivre, encore plus que le trop, je veux l'hiver épris des puissances d'été. Tes mains ouvertes, offertes pour les remplir de moi.
Mes mains ouvertes, offertes pour les remplir de toi. Pour me réinventer, je veux toi pour m'écrire et m'aimer sans boussole. Tes instances de vivre renversées sur mon souffle. Tes mots de pain nouveau accordé à ma faim. Tes yeux pour vêtement. Je veux toi pour tisane. Je veux toi au présent."
Extrait - Ile Eniger - Le bleu des ronces
Éditions Chemins de Plume
yrendunn
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