"Il la prit par les épaules pour la blottir contre lui. Dans l'allée qu'ils remontaient ensemble, le temps suspendait sa chirurgie de précision".
Le peintre et la poétesse, leur amour et le temps..
Joli récit qui s'effeuille comme une branche de cerisier en fleurs, dans un envol de pétales joliment nostalgique..
Bel amour sensuel et fort- il n'a peint qu'elle, elle n'a, au fond, aimé que lui -, mais qui lentement s'effiloche, parce que la peinture est une maîtresse exigeante, parce que Fane est une femme "trop"- trop possessive, trop fantasque, trop entière.
Trop libre dans sa cage volontaire d' amoureuse, trop amoureuse dans son rêve de liberté.
Ile Eniger dit cette séparation lente avec douceur, avec pudeur, avec un suave déchirement, elle le peint en impressionniste, avec les couleurs de ses mots, la saveur de ses images , par petites touches douces-amères.
Elle fixe, sans gravité, ces instants pivots où l'amour imperceptiblement s'efface, s'affaiblit, se transforme, tandis que son Jean qui s'éloigne d'elle inévitablement la retrouve sur toutes ses toiles.
C'est une vieille gitane toute noire dans le soleil qui le lui a un jour annoncé: Fane va souffrir,mais déjà elle est en vol.
Ce n'est pas une chute, une déchirure, une blessure: c'est un allègement, une façon tendre et cruelle d'éprouver sa propre légèreté, de sentir sa disponibilité , d'ouvrir ses ailes.
A regret. Mais inéluctablement.
Et de découvrir sa solitude, d'écouter , dans son silence retrouvé, ses mots à elle qui sourdent comme une eau irrépressible.
Bien sûr, les souvenirs s'engouffrent dans cette liberté nouvelle et jettent leur désordre sur cette page encore blanche, infléchissant parfois le tracé pur de ce vol dans l'inconnu.
La belle certitude d'autrefois, si rassurante avec son odeur de peinture et de tabac, n'est plus un point d'appui. Mais l'existence est devenue plus poétique, plus aventureuse.
J'appréhendais de lire un "roman autobiographique" d'
Ile Eniger, poète des Roches Rouges, qui m'avait dit tant de choses sur elle sans jamais explicitement les dire.
J'avais peur de la narration, du récit, des personnages.. j'avais tort: c'est toujours elle, c'est toujours Ile.
Et c'est encore de la poésie, tous ces instants mis bout à bout, comme des petits mouchoirs accrochés à un fil et qui dansent follement dans le vent.
Si je n'ai pas mis 5 étoiles, c'est pour très peu de chose: quelques tirades enflammées de Fane, dans des échanges sur la morale de la liberté- bien ampoulées et démonstratives, dans un récit qui l'est si peu..
Mais tout le livre, sinon, est un poème- un joli livre d'ailleurs, compact et élégant, à la taille d'une ..."main de femme", un livre à glisser dans une poche de ciré avant d'aller voir la mer couronner les rochers d'écume.
Avec, en première de couv', une vignette gracieuse, oeuvre d'
Emile Bellet, peintre et compagnon d'Ile- le Jean de Fane...