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Hôtel Majestic relève de la gageure. Un vaste hôtel sur une côte irlandaise en 1919... Voilà le décor.
Un Major britannique venu retrouver sa "fiancée" qu'il n'a vue qu'une seule fois. Une fiancée très distante. Un propriétaire, le père de la promise, qui s'attache à l'ordre établi, sombrant peu à peu dans la folie à mesure que tout se délite autour. L'Irlande au bord de la guerre civile. Des pensionnaires qui s'accrochent à une image de l'hôtel issue du passé. Quelques personnages de la nouvelle génération (jeunes filles émancipées, jeunes gens pragmatique...). Et, surtout, un hôtel qui s'effrite peu à peu.
Et "surtout-surtout" dirais-je l'Irlande et ses deux religions qui s'affrontent, sur l'air d'une indépendance qui va se réclamer dans le sang.
Le roman est (on l'a compris) mutliple, polyforme, étendant ses ramifications partout, à l'instar des racines des plantes des serres de l'
Hôtel Majestic, qui ressortent un peu partout, du sol au plafond, minant les fondations, les fondements même de la bâtisse (et des convictions du lecteur). Il y a d'abord une incroyable atmosphère "fin de siècle". James Farrell (comme dans
le Siège de Krishnapur) nous montre un système qui part en morceaux. La métaphore avec l'hôtel est claire, mais elle se retrouve dans l'opposition des générations, entre Edward le propriétaire, tenant de l'Union et le Major qui, bien qu'Anglais, voit le désir d'indépendance et cherche à en comprendre les rouages. Il n'est finalement pas étrange qu'Angela meure très tôt dans le roman, vu que, même jeune, elle incarne le passéisme, l'immobilisme. Elle n'a pas sa place dans le monde qui se crée.
Ensuite, il y a l'humour... un humour anglais, fin et racé. Très second degré, pince-sans-rire. Teinté (évidemment) de cynisme. de vitriol. Voir des personnages aux prises avec leur propre nombril alors que l'Irlande brûle et saigne, c'est incroyable. Mais c'est bien vu. En 2016, alors que le monde bascule peu à peu, qui se soucie plus de la Syrie que de son lacet défait?
Enfin, il y a une puissante réflexion sur l'ordre des choses. Sur le pourquoi du comment de nos actions, de notre aveuglement face à des lames de fond qui balaient nos certitudes. Edward, le propriétaire, est pathétique dans son enracinement viscéral "à ce qui a toujours existé". le Major attire les sympathies du lecteur, très ancré dans le monde, pragmatique. Sarah, une jeune fille qui allume tout ce qui passe finit par lasser le lecteur, elle représente le pendant d'Edward, le balancier qui va trop loin.
Le lecteur retrouve les mêmes recettes que dans
le Siège de Krishnapur. Société, écroulement, religion, science, valeurs anciennes... C'est plus noir que le Siège de Krisnapur, à mon avis. Ici, on est dans
L Histoire et il n'y a pas d'échappatoire. Dans
le Siège de Krishnapur, James Farrell revendiquait la fiction, même si les troubles ont existé en Inde. L'Irlande qui éclate, cela reste un fait. Farrell en fait un récit vivant, mais où la nostalgie, une forme de spleen, est très présente. Beaucoup plus que dans
le Siège de Krishnapur, plus optimiste, positif.
Le lecteur qui abordera l'oeuvre de James Farrell (assez courte car il écrit sur le tard et meurt tôt dans sa carrière d'écrivain) par
Hôtel Majestic trouvera peut-être
le Siège de Krishnapur plus faible. le lecteur qui fera l'inverse préférera le premier roman lu... c'est souvent ainsi quand on aborde un écrivain qui semble réécrire le même livre (à l'instar d'un
Van Gogh qui a peint les mêmes fleurs plusieurs fois). le choc vécu lors de la découverte, lors du premier livre lu, ce choc ne se retrouve que très rarement à la lecture du deuxième livre. Ce fut mon cas.
Hôtel Majestic est un grand roman, une réussite, mais j'ai un attachement émotionnel indéfectible au Siège de Krishnapur.
Je conclurai en disant que je n'ai pas vu le film et que cela ne m'attire pas. Les images que James Farrell a fait naître en moi ne souffriront d'aucune concurrence.