Il s'était trouvé amoureux avant même de reconnaître ou de comprendre ce qui lui arrivait. Quand il avait perçu son trouble, le mal était fait depuis longtemps, il était tombé dans l'amour. C'était une chute vertigineuse. Il était pris en entier par l'idée de cette femme qui avait les cheveux comme un buisson et les lèvres mouillées par la lecture. Une gadgé !
Je crois que la vie a besoin des livres, dit Esther, je crois que la vie ne suffit pas.
Il lui sembla qu'aux enfants on ne pouvait déjà raconter les ruptures, les traits qu'on tire sur le passé et les amours qui s'égarent, et que tout cela ne vous tue pas, et peut vivifier ce qui reste en vous d'élan et de sagesse.
Il y avait un secret au coeur des mots.Il suffisait de lire pour entendre et voir, et l'on n'avait que du papier entre les mains. Il y avait dans les mots des images et des bruits, la place de nos peurs et de quoi nourrir nos coeurs.
Elle les installa, les petits à côté d'elle, les grands juste derrière. Et elle commença à raconter l'enfance de Babar. Elle lut comme jamais elle ne l'avait fait, même pour ses garçons : elle lut comme si cela pouvait tout changer.\"
... \"Elle lu avec de la tendresse pour eux et de la foi dans les histoires. Et elle n'avait ni crainte ni question, est-ce-que c'était artificiel, utile, naïf, stupide, de venir ainsi, sans prévenir, sans demander, pour lire des histoires à des enfants. Un élan la portait.
Toute cette grâce pour vivre s'était diluée dans une grande fatigue. L'épuisement était entré en elle imperceptiblement, un jour derrière l'autre à se dire qu'elle se sentirait mieux le lendemain, un mois glacé après un autre, une année mauvaise suivant une qui n'avait pas été si facile (on passe son temps à attendre au lieu d'être). L'épuisement avait d'abord emporté la fraîcheur de son visage - sans que personne n'y vît rien, car elle continuait de sourire et elle était encore jolie.
Aucune femme m'a jamais regardé, dit-il à sa mère. Qu'est-ce que t'en sais ? répliqua-t-elle sans se troubler. Les femmes, quand ça regarde ça montre pas. Ça attend, ça fait un peu la belle, mais ça dit pas.
C'est ainsi qu'ils quittèrent la ville, dans la colère des femmes, le silence abruti des maris et les pleurs des enfants. Non pas que cela changeât beaucoup de l'ordinaire des humeurs, mais ils étaient expulsés tels des cafards indésirables, c'était une offense autant qu'une blessure. Ils reprenaient la route. Ils abandonnaient deux caravanes défoncées, le corps d'une vieille et celui d'un enfant.
Angeline reprit : s’aimer, comme il faut et de travers, puis se reposer de l’amour, y a rien d’autre à faire ici-bas.
Je crois que la vie a besoin des livres, dit Esther, je crois que la vie ne suffit pas.