Dans ses écrits supposés, Salomon, "sage parmi les sages" émet plusieurs sentences propices au jus de la treille, "que la sagesse éternelle lui a dictées" dira Bossuet. En règle générale, il prend plaisir à regarder son peuple en boire gaiement et se dit satisfait de le voir soigner "ardemment" les vignes, une des conditions du respect de l'alliance avec Dieu. Il recommande surtout de faire distribuer du vin aux pauvres d'Israël pour qu'ils "oublient leur pauvreté" et à tous ceux qui ont du vague à l'âme pour qu'ils oublient leur peine.
Car, étant avant tout propriété divine, vigne et vin invitent dans la Bible à la générosité, réglée par une minutieuse législation : "Si tu entres dans la vigne de ton prochain, tu pourras à ton gré manger autant de raisins que tu voudras sans en emporter un seul." De même, le propriétaire après les vendanges laissera les grappillons sur les souches à la disposition des pauvres et des étrangers afin qu'ils fassent leur vin. Aussi, comprend-on mieux la parole de l'Écclésiaste lorsqu'il demande : "Quelle vie est ce donc celle d'un homme qui se retranche du vin ?"
Dans cette perspective de cataclysme imminent, ..., ils se retrouvent chaque jour pour un banquet fraternel appelé aussi "agapes" que la tradition chrétienne fait remonter à l'allégorie de la vigne et des sarments et à la parole du Christ : "Aimez-vous les uns les autres".
Et, pour quelques heures seulement, dans ces agapes, ils abolissent les différences. Tous fils de Dieu par la foi en Christ - juif, païen, esclave, homme libre, homme ou femme-, ils prennent place autour de la même table, appellent l'autre "mon frère, ma soeur". Les riches fournissent mets et vins à la petite communauté dans laquelle à l'origine, dit Luc, règne une parfaite entente, "jusqu'à ce que des difficultés et les déchirements naissent entre les différentes tendances chrétiennes."
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Ainsi, la communauté croyante s'édifie autour du partage, de l'ivresse du boire, du dire et du faire, autour de ce pain et de ce vin de vie, mis en mémoire le soir du Jeudi saint.
Le Talmud qui attribue une grande importance à la valeur numérique des lettres en hébreu révèle que le mot vin "yayin" correspond au chiffre 70, comme le mot "sod" le secret, la connaissance suprême, la sagesse, à laquelle tout juif peut accéder par la lecture et la compréhension de la Torah - qui contient le message direct de Dieu, donné par le prophète Moïse.
Boire du vin, c'est donc atteindre le secret de la sagesse divine.
Pour des juifs dévots, le message du Messie se rapproche trop de celui des païens, adeptes de la tradition gréco-romaine du banquet, dont le but affiché est d'atteindre par l'ivresse le monde des idées : Ad vinum diserti, "l'éloquence par la grâce du vin", dit Pline l'Ancien. Et Jésus semble partisan d'une "sobre ivresse" capable de procurer à l'âme la joie spirituelle.
... Pour autant, s'il parait admettre une mystique de l'ivresse, le Messie condamne comme les prophètes hébreux la domination de la matière sur l'esprit et donc l'ivrognerie. Il conseille, en digne descendant de David et Salomon, la modération :
Les Épîtres de Paul condamnent non le vin mais les "ivrognes qui courent à leur perdition" et l'ivresse sous toutes ses formes, qui n'a plus de valeur sacrée comme dans le symposium. Il s'agit donc d'une rupture avec le paganisme que Jésus n'avait pas marqué de manière aussi nette si l'on se souvient des noces de Cana.
... Les situations varient d'une communauté à l'autre, selon l'influence de telle ou telle personnalité qui la dirige, si bien que "repas ordinaire" et "repas du Seigneur" peuvent se confondre ou être séparés et que les beuveries peuvent continuer ou bien s'arrêter.