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EAN : 9782204050821
125 pages
Le Cerf (16/11/1994)
5/5   1 notes
Résumé :
Tome II
Que lire après Philosophie de la communicationVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
La justice sociale s'est axée dans les sociétés occidentales surtout d'Europe de l'Ouest, sur les droits sociaux, autrefois appelés les droits-créances qui posent que l'Etat doit des prestations à ses sociétaires, des prestations sociales, qu'il doit autoriser leur participation à la politique, droits-participation, et organiser leur liberté, droits-liberté. Il faudrait y ajouter dans la société de communication contemporaine, les droits moraux qui s'attacheraient à garantir à l'individu une protection contre la vulnérabilité que représente l'exposition médiatique où l'éthique de la reconnaissance soit promue et qui permette de lutter contre sa dégradation. Les droits moraux en ce qu'ils lient la personne avec l'espace public, s'intègrent, comme droits à la communication, dans les droits politiques, droits participation. C'est alors le mode de participation de la personne, du sociétaire à la vie politique qui est amenée à évoluer. En parallèle, les principes de la théorie de la justice, comme mode de redistribution des biens primaires, ne sont pas exonérés de partis pris fondateurs qui retirent toute notion d'universalité à la théorie de la justice. le théoriciens doit choisir si l'axe de sa théorie est la liberté, ou l'égalité par exemple. John Rawls reconnaît qu'en ayant choisi la liberté, il culturalise sa théorie de la justice. Si bien que le principe même de la justice doit faire l'objet d'une discussion intersubjective dans l'espace public. On en vient à déplacer la notion de justice comme mode de répartition des biens primaires vers la notion d'éthique procédurale de la discussion qui fixe les règles d'accès aux sociétaires à l'espace public pour l'expression de leurs problématiques. Il s'agit d'une liberté de communication qui donne le pouvoir de discuter de certaines choses en public, ce qui est obéré par la sélection médiatique aujourd'hui.

JMF aborde la procéduralisation. On différencie d'abord la déstabilisation comme ce qui peut faire changer les principes de la constitution de la révision, qui possède en plus la capacité de proposer des principes viables. le droit de révision doit cependant être limité pour ne pas déstabiliser toute rationalité de la constitution. La possibilité théorique de la déstabilisation de la constitution implique alors qu'on la tienne principiellement pour faillible : cela à défaut de mieux. Ainsi, la théorie de la justice de Rawls, pour culturalisée qu'elle soit, intègre son propre potentiel critique, puisqu'il faut la tenir elle aussi pour faillible. Cela ne signifie pas qu'elle n'ait pas de prétention universaliste puisqu'elle est révisable. Il s'agit maintenant d'accorder à la population la capacité de procéder à la révision de la constitution, sans quoi on en reste à une théorie de la justice qui n'est pas démocratique. le sujet souverain reparaît comme il est théorisé chez Rousseau et avec lui, l'autonomie d'une entité dont il faut organiser le consensus (Arendt, Habermas) et non pas seulement à la manière dont il décide (Rouseau, Hobbes). Rawls refuse que l'usage kantien de la raison publique organise la révision : il n'en résulterait que l'instabilité de l'Etat. Pour déterminer les principes de sa théorie de la justice, il recourt à un artifice, une fiction, le voile d'ignorance, qui place chaque citoyen en position d'ignorer la contingence de sa place dans la société et d'imaginer des règles en conséquences. Poussé par la crainte d'être autrui et que cet autrui soit défavorisé, il serait alors en situation d'esquisser des règles bonnes pour la société. Au contraire, chez Habermas, l'usage public de la raison doit mener à une éthique de la discussion où les règles de la constitution sont débattues par les sociétaires selon des principes éthiques (entre eux et non par une expérience de pensée solitaire). Ferry note, au contraire de Renaut, que si les visées sont les mêmes (obtenir une situation de discussion idéale, refuser le présupposé d'une volonté bonne chez les sociétaires, placer la justice sous le « bon »), les méthodes diffèrent sensiblement (simulation d'une discussion par un sujet isolé par une réflexion personnelle chez Rawls, dégager les principes idéaux d'une discussion réelle chez Habermas). Cette différence a une importance dans les réflexions des deux philosophes.

La théorie de la justice de Rawls avec le voile d'ignorance est une réflexion monologique d'un individu qui certes respecte les présupposés kantiens d'autonomie et d'individualité de l'être social, mais contrairement à Kant ne repose pas sur une moralité spontanée de l'individu. JMF montre que la réflexion de Rawls est plutôt de partir du présupposé de l'égoïsme naturel de l'individu qui procède à des calculs rationnels pour son intérêt propre et d'invalider, avec le voile d'ignorance, la possibilité du recours à la contingence sociale. Ce procédé n'élimine pas le recours à la rationalité instrumentale mais ne mène qu'à l'appliquer à des données abstraites plutôt que concrètes. Ce faisant on s'éloigne certes du calcul rationnel contingent et individualiste vers une généralité rationnelle dont on entend qu'elle fasse approcher de la moralité raisonnable. JMF montre alors que c'est faire la présupposition que l'évaluation sensible de la situation de départ et la procédure de discrimination des arguments valables au cours de la réflexion est chacun, ce qui, d'autant plus dans le contexte multiculturel contemporain, est assez audacieux. La réflexion de Rawls prétend qu'en pensant à moi, je pense à ne pas molester autrui - mais en aucun cas je n'intègre dans ma réflexion qu'autrui pourrait ne pas avoir les mêmes axes de réflexion pour me ménager en pensant à soi. Habermas ajoutait que l'évaluation des besoins est liée à la culture et à la tradition et non pas disponible avec une totale liberté à l'individu : la théorie de Rawls est donc culturellement marquée et, malgré les principes kantiens sur la personne, l'autonomie et l'individualité, en retire une, celle de la reconnaissance, en faveur de celui du calcul rationnel égoïste qui fait que le citoyen mis en situation du voile d'ignorance réfléchit plutôt dans la continuité de Hobbes que de Kant. Habermas ajoute qu'on ne voit pas du tout pourquoi les citoyens étant posément égoïstes, se mettraient d'eux-mêmes en situation de voile d'ignorance, ce qui impliquerait qu'ils verraient un intérêt à abandonner leurs calculs rationnels égoïstes pour prétendre développer un calcul rationnel raisonnable (moral), ce qui est contradictoire. Donc, non seulement la réflexion est culturelle, égoïste (elle ne tient compte ni de l'intérêt exprimé par autrui, mais pas non plus de l'intérêt commun), mais en plus, elle ne peut être menée par des citoyens qui sont animés principiellement par leur intérêt personnel (quand bien même ces intérêts sont eux-mêmes inspirés par le raisonnable car rien ne les engage à approcher le raisonnable qui reste en dehors des capacités du calcul rationnel). Donc la théorie de Rawls respecte une procédure de réflexion, mais non un processus, qui, lui, impliquerait, selon la définition de JMF, une reconnaissance entre eux des participants à la discussion. C'est peut-être pour cette raison que Rawls a infléchi sa pensée dans ses ouvrages postérieurs en développant l'idée d'un « équilibre réflexif », lequel ramène la situation originelle du voile d'ignorance à un point de départ qui en vaut bien un autre dans le but de mener une réflexion cohérente et rationnelle, laquelle reste ouverte à la contradiction et donc, prétend-on, au dialogue. Pour JMF, comme pour Habermas, ce « dialogue » qui consiste à échanger des arguments dans des énoncés essentiellement écrits n'est absolument pas un équivalent de la situation idéale de reconnaissance de laquelle part Habermas pour proposer sa version d'un espace public, lequel serait capable non seulement de réaliser des consensus au sein de la population dans le cadre des structures de l'Etat, mais encore de légitimer et de réviser ces structures elles-mêmes, et qui repose sur une situation de discussion pratique réelle entre personnes présentes les unes en face ou à côté des autres. Il en résulte deux conceptions de l'espace public.

Le dernier chapitre achève de ruiner la théorie de Rawls et non seulement la validité de sa théorie politique à organiser une société juste, mais même à atteindre les objectifs qu'il s'est lui-même fixé. Rawls revient d'abord dans ses travaux postérieurs à Théorie de la justice sur l'exclusivité de la rationalité à fonder une société juste et insère le rôle du raisonnable (moralité), déterminé comme ce qui permet de poursuivre le juste. La société juste organise alors l'expression du raisonnable, des raisonnables, puisque le bon diffère supposément selon les individus. Ce qui permet de relativiser le texte Théorie de la justice est le concept d' « équilibre réflexif large », qui justifie l'intégration d'expression concurrentes de la justice (sans pour autant leur accorder de prétention à réviser les règles de la constitution). C'est le principe de tolérance qui doit alors prévaloir pour autoriser ces énoncés variés autour d'un « raisonnable » différent. Mais Rawls tient que la discussion mène plus souvent au dissensus qu'au consensus et que le « raisonnable » est inextricable de toute discussion. Autrement dit, il peut bien autoriser que l'Etat juste permette l'expression des formes d'expression les plus variées sur le sens du « bon », de la « vie bonne », il n'admet pas qu'une discussion argumentée puisse mener à un consensus apte à réviser les règles de la constitution qui restent au-dessus des échanges, stabilisée par le principe de tolérance. JMF voit alors dans la primauté de ce principe, avant celui de la critique, à la fois un élément dogmatique fondateur et un déclassement de la critique dans un espace qui pourtant repose sur la confrontation, l'espace politique. C'est donc, chez Rawls, désormais un principe moral, la tolérance, qui prétend fonder des règles rationnelles, celles de la constitution, formées pour autoriser l'expression publique, y compris sur des thèmes axiologiques. C'est que pour Rawls, le consensus au sein de l'espace public ne s'atteint pas par une discussion rationnelle et argumentée, mais par un « consensus par recoupement » qui se limite à être une reconnaissance de la constitution, mais non celle de sa validité. Fondation et validité se scindent et JMF se demande en quoi la prétention à assurer la stabilité de l'Etat par le principe de tolérance de Rawls serait maintenue attendu qu'on prétendrait, dans un système démocratique, assurer la fondation de normes sociales autrement que sur leur validité. Autrement dit, sur quoi la fondation d'une constitution pourrait-elle bien tenir sinon sur la démonstration de sa validité ? L'argument ne porterait qu'à moitié car il ne serait valable que pour le philosophe, la population, elle, adoptant les règles de la constitution (éventuellement par reconnaissance acritique) ne se pose pas cette question qui est donc purement rhétorique. L'argument touche tout de même le philosophe.
Habermas ajoute que l'invention de la fiction du voile d'ignorance avait pour objectif d'interdire au citoyen le recours aux calculs rationnels concrets dans le but de lui faire assimiler dans sa réflexion, toujours calculatoire, mais sur des éléments abstraits, le bon et le juste et que, désormais, il s'agit de redescendre dans l'espace public sur des considérations pratiques et quotidiennes où les citoyens s'opposent les uns aux autres en énonçant des prétentions morales qui ne sont pas discutées et seraient acceptées par elles-mêmes sous l'effet du consensus par recoupement. C'est dire qu'on repart de ce que le voile d'ignorance étant censé résoudre : la difficulté d'atteindre l'universel à partir du particulier. Et il faut noter que ce qui prévaut dans la réflexion de Rawls, c'est le sens commun démocratique-libéral, celui qui est culturellement familier aux populations occidentales et sur lequel se fonde donc une théorie de la justice qui n'a rien d'universel puisque culturellement marquée, d'autant qu'elle n'est pas seulement critiquée. Avec une certaine cohérence, Rawls propose donc une théorie « raisonnablement » située de même que les règles de la constitution sont censées autoriser l'expression de telles expressions « raisonnablement » situées. Mais c'est une cohérence qui ruine le projet initial d'une théorie universelle : il faut recourir à la tolérance (principe chrétien ?) pour, non pas même fonder les conditions même de la discussion, mais seulement les autoriser.

En résumé, la théorie de Rawls prend l'eau de partout. JMF soupçonne alors que cette conception purement négative de la liberté, sous sa forme de tolérance, soit une étape, pour Rawls, vers une théorie plus large encore qui intégrerait des sociétés pour qui le sens commun démocratique-libéral ne serait pas familier aux populations et s'accorderaient d'un concept plus lâche. Mais on en reste à des considérations pratiques. Ce qui devrait honorer une théorie philosophique de la justice, c'est sa capacité à dégager les présuppositions mêmes de toute prétention à la mise au point de normes, ce que ne fait pas Rawls qui se limite à des considérations pratiques. Habermas, lui, prétend fonder non pas la raison publique, mais atteindre la description de l'éthique de la discussion qui tient dans les conditions d'organisation de l'espace public. Il doit alors montrer qu'une éthique procédurale de la discussion est capable de mettre à l'écart les considération pratiques d'où repart Rawls et que le voile d'ignorance prétend occulter. Berten résume les positions d'Habermas : la discussion réelle est requise car la réflexion solipsiste ne permet pas d'atteindre le juste et le bon ; parce que je dois être impliqué pour viser des points de vue « transsubjectifs » et non seulement rationnels. Habermas n'a donc pas besoin des présuppositions métaphysiques d'individus libres et égaux : il lui suffit de postuler que les individus suivent des règles de discussions mis au point par eux car l'égalité et la liberté sont présupposés à toute discussion (où on en revient à une liberté naturelle façon siècle des Lumières ou B. Constant) - la discussion permettant à la fois de valider les règles de toute discussion et de la discussion en général. Ainsi, Habermas pense échapper à une définition dogmatique de l'Etat, à l'inverse de Rawls. Mais il faut noter que sa conception, qui permet certes de réviser les principes mêmes de l'Etat en les intégrant à la discussion au sein de l'espace public, repose plus sur une liberté communautaire positivement exprimée (engagement dans la discussion) qu'individuelle et négative (tolérance).
Entre la raison public de Rawls dont les normes de l'Etat sont culturellement inspirées, prétendues rendues stables par le principe de tolérance, mais en réalité figée, où le consensus se forme quasi « par lui-même » avec le postulat d'une liberté exclusivement politique et où la discussion est une opposition ou bien une réflexion solipsiste éventuellement ouverte après coup aux contre-arguments par le biais de la tolérance et l'espace public d'Habermas où des individus libres et égaux par nature échange rationnellement en suivant une éthique discursive dans le but d'atteindre un consensus sur des normes partagées organisant une liberté communautaire, les deux philosophes conçoivent deux réalités politiques bien différentes. JMF, sans conteste, adopte et reprend celle d'Habermas. Reste que la politique n'est pas que communication. Si la dicussion valide les normes, elle ne les institue pas. Il manque donc une théorie de la décision pour compléter celle de la discussion. le droit, de son côté articulerait la rationalité communicationnelle avec la rationalité juridique pour rendre objectifs les énoncés produits dans l'espace publics qui, selon certains, resteraient pragmatiquement indécidables - ou interprétables.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Dans ce cas, la théorie de la justice ne portera plus directement sur les règles d’une répartition équitable des biens sociaux primaires, ce qui reste dans un schéma classique, mais, à présent, sur les conditions procédurales d’une formation de consensus à obtenir librement et dans la plus grand égalité participative à propos de ces règles de répartition, y compris de leur éventuelle révision.
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Mais, entre un dogmatisme conservateur de droite et un dogmatisme révolutionnaire de gauche, n’y a-t-il pas place pour une approche différente, qui consisterait à se demander si la justice ne devrait pas porter sur ce qu’il y a de plus fondamental, soit, sur les conditions mêmes de formation du sens commun servant de base à l’expression d’un consensus politique sur les principes de justice ?
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Face au calcul rationnel d’individus qui, selon John Rawls, feraient abstraction des positions qu’ils occupent dans la société, Jürgen Habermas met en avant la pratique raisonnable d’une communauté dont les membres prendraient part à une discussion pratique.
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"... insuffisance de la Règle d'or : ne fais pas à autrui ce que "tu" ne voudrais pas qu'il "te" soit fait - comme si cela dispensait "ego" de s'inquiéter de ce qu'"alter" ne voudrait pas qu'il "lui" soit fait.
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Suite à la sortie de son ouvrage aux éditions du Cerf, Métaphysiques. le sens commun au défi du réel, le Collège des Bernardins invite le philosophe Jean-Marc Ferry à dialoguer autour de son livre avec la psychologue, Magali Croset-Calisto et le théologien, P. Olric de Gélis.
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