Quel souffle ! On sort éreinté de la lecture de cet ouvrage. Non pas que ses presques 400 pages manquent d'intérêt, mais plutôt que l'histoire que nous raconte
Jean-Pierre Filiu, historien, spécialiste du Moyen Orient, est épuisante. On a le sentiment d'être le témoin impuissant d'un long drame où les humains s'ingénient à détruire et à tuer. Et là où l'apport de Filiu est passionnant, c'est que, instinctivement, avec notre culture historique européanocentrique,, nous pensons que cette terre où s'affrontent les religions monoothéistes est un théâtre naturel de conflits. Et bien, au fond, ce ne sont pas les religions coupables, mais leur instrumentalisation comme outil de pouvoir par des prédateurs et des despotes qui n'ont jamais ressenti l'urgente nécessité de construire, sur ce sol fertile en idées et en compétences, des Etats au service de nations, solides, pérennes. Dieu y est un prétexte facile pour justifier l'incohérence des hommes qui passent leur temps depuis des siècles à labourer cette terre, non pas pour la féconder avec des charrues, mais pour la détruire avec des chars et le fracas des armes. Quand un régime y dure trente ans, sans massacrer enfants, cousins et voisins, c'est une prouesse. Cette histoire, délibérément laïque, écarte le prétexte religieux pour analyser les causes du désastre humain que vit cette terre depuis au moins vingt siècles. Rien ne permet de penser que cette longue série de guerres cessera. Naguère bipolaire, entre Perses et Byzantins, puis au XIXe siècle multipolaire avec l'émergence d'une conscience nationale, c'est le XXe siècle qui a achevé cette terre entre l'arrogance meurtrière des puissances occupantes, France et Grande-Bretagne, puis Russie et Etats-Unis, et la propre folie suicidaire des despotes qui se succèdent en Turquie, Iran, Egypte, Irak, Syrie, Afghanistan, Lybie... Non, cette terre bénie n'a pas connu la paix et la prospérité fondée sur l'entente entre les peuples. Ce n'est pas une malédiction surnaturelle qui en est la cause, mais c'est parce que les dirigeants ne l'ont pas voulu. Ce qui a permis le progrès technique, social et l'avancée de la démocratie en Europe, c'est la construction d'états solides, dirigés avec discernement, et capables de gérer leurs différends, souvent violents, mais par des accords durables. C'est aussi une société civile organisée qui a su faire l'apprentissage (presque) pacifique de la démocratie. Rien de tel dans ce "milieu des mondes" où le fracas des armes ne cesse jamais alors que ces peuples ont toutes les raisons de se comprendre et de s'entendre. Voyager dans le temps avec ce livre pour se retrouver dans les drames du XXIe est un exercice exigeant et indispensable pour qui veut comprendre le monde dans le quel nous vivons sans céder aux simplifications grossières.