J'éprouve la plus grande réticence à l'égard des littératures expérimentales et des romans de construction intellectuelle. Si
Calvino ou
Queneau me séduisent, l'un par son brio, l'autre grâce à l'humour,
Butor en son érudition, Pérec par son génie, force est de reconnaître que les Nouveaux Romanciers m'ennuient, et tous leurs épigones. J'ai un peu l'impression que l'auteur y lâche la proie pour l'ombre, abandonnant les Lettres à une fausse vision de l'esprit. Joyce ou
Faulkner transcendaient de telles tentatives dans des romans où l'émotion finalement emportait tout, où le lecteur se subjuguait de la beauté du texte. A moins de cela, j'aime mieux
Simenon, dont
Gide d'ailleurs écrivait : « Je trouve que votre oeuvre va très loin, sans en avoir l'air et comme sans le savoir. »
Le des Forêts du Bavard se met dans un cas intermédiaire : il bâtit une intrigue artificielle, qu'il sauve par la magnificence de la langue. Et déconstruit l'ensemble en semant le doute sur son authenticité même. Cet ouvrage témoigne du désarroi de la littérature après guerre ; il fut si novateur qu'il lui fallut attendre les années soixante pour trouver un accueil : les audaces de l'avant-garde l'exhumèrent d'un relatif oubli. S'il faut en retenir un aspect, ce serait sa valeur de signal, d'étape sur le parcours d'un véritable auteur ; Louis-René des Forêts donnerait bientôt d'autres fruits, moins aigres peut-être, en tout cas plus féconds, plus affirmés sur le champ d'une personnalité visionnaire. En attendant,
le Bavard fut la graine déhiscente dont il convient de n'apprécier que les promesses. N'est-il pas significatif que le narrateur, à mi-roman, se dérobe à la paternité de son récit ? Nier sa propre tentative passait pour moderne au milieu du siècle dernier. L'affirmation, en des termes exquis, d'une trahison de la littérature l'est probablement encore. Serait-ce cela seul qui demeure aujourd'hui du Bavard ?