Jacques Fortin dans une petite introduction nous rappelle les variations érotiques de la sexualité antique, leurs prohibitions par les trois religions monothéistes, puis leurs pénalisations par les États modernes. Il reproche, à juste titre, à la sociologie, l'anthropologie ou la philosophie leur contribution « à déshistoriciser et naturaliser les formes familiales modernes ». le sexisme, la division normée et hiérarchique des sexes vient de loin. Et malgré les avancées obtenues par les luttes et les organisations gays des années 70 et 80 « Sous la profusion de liberté, quelque chose persiste, d'obtus et de têtu, relevant des vieilles prohibitions. »
L'auteur parcours avec grande pertinence l'histoire « de la prohibition à la persécution » en épinglant les religions que l'on ne doit pas laisser « quittes de la précarité de leurs arguments moraux, ni leur permettre d'esquiver les origines variables et même hasardeuses des prémices de dogmes qu'elles assènent. » le chapitre suivant traite
De La Renaissance aux lumières et au code Napoléon « Dépénalisation : tolérer le mal pour éviter le pire » et se conclut sur l'entrée en lice de la médecine.
Après ces rappels, l'auteur peut entrer dans l'histoire moderne de « L'émancipation par la preuve » et en particulier des apports de
Magnus Hirschfeld ou de l'esthétisme français (dont
Jean Cocteau ou
Jean Genet) car « Avec eux sonne l'heure où la question de la légitimité ne se pose plus, ils sont ce qu'ils sont et réclament la liberté, le loisir de l'être. »
Le coeur de l'ouvrage me semble être sa partie « de la bienséance à la révolution » après le minuit dans le siècle et la double domination des deux jumelles que furent le nazisme et le stalinisme, la bienséance émancipatrice d'Arcadie avant la rupture de mai 68 et le Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR). Il faut rappeler « contre la main baladeuse du marché » et le dévoyage des « indignations vers le consumérisme et une culture de masse inepte » la force subversive pour l'ensemble de relations amoureuses, sexuelles, affectives, etc du surgissement du FHAR et du mouvement féministe radical. « le FHAR veut plus subvertir l'existant que s'y inscrire ». Ses actions visent à anormaliser la norme répressive.
L'auteur en profite pour régler son compte à la dichotomie ”actif-passif” qui reproduit « un rapport symbolique de domination et des assignations qu'amplifie la fétichisation de la pénétration ». La révolte homosexuelle devient « celle d'un groupe social en voie de reconnaissance qui mue en acteur politique. »
Jacques Fortin analyse ensuite « L'insurrection et la pandémie », les groupes de libération homosexuelle (GLH), les voix lesbiennes, la contamination néolibérale, le sida ou le PACS.
Je partage avec l'auteur ses réflexions sur l'Utopie ratée « autre chose possible à condition de ne plus penser les relations affectives, sensuelles et érotique à partir du mariage, mais à partir de ce qui s'éprouve, se vit et construit entre les personnes » Ce mariage non anodin car « il repose sur des présupposés de propriété et de domination »
Le dernier chapitre est un vrai cri d'espérance « Avenir de l'utopie ». En partant de la crise réellement existante de l'hétérosexisme, l'auteur refuse le piège identitaire (LGBTI) et invite à renouer avec la dialectique de l'émancipation tout en soulignant la fécondité de la colère.
« Pourquoi ce fétichisme dévastateur de la conjugalité, de la fidélité qu'il implique, de l'amour toujours (romance amoureuse), de la prédestination amoureuse (celle ou celui qui fait/e pour moi, m'attend quelque part) et d'autres fadaises fallacieuses qui aliènent et pourrissent nos vies ? »
Un bien beau petit ouvrage.