« L'homme ne vit pas seulement de pain » dit l'Evangile. Il ne parle pas de la femme, mais comme elle a le même système digestif, elle doit, j'imagine, aimer comme lui le couscous, les tagliatelles, le chili con carne ou les nids d'hirondelle. En plus du pain.
En fait ce que veut dire Matthieu (l'évangéliste, pas Valbuena), c'est que les nourritures terrestres c'est bon (et même parfois succulent), mais que les nourritures spirituelles c'est pas mal non plus : ça tient moins au corps, c'est certain, mais ça tient beaucoup mieux à l'âme, à l'esprit et au coeur.
Mais pour ça il faut les entretenir, et auparavant, apprendre à les connaître pour mieux les assimiler.
C'est là qu'un livre comme celui-ci, à la fois ludique et très riche d'enseignements, a une importance didactique (et pédagogique) de tout premier ordre.
Jostein Gaardner est un écrivain et philosophe norvégien. Professeur de philo de profession, il a eu l'idée géniale de faire un cours de philo adapté à tous, la philo pour les nuls, en quelque sorte, et ce, de façon ludique et agréable pour que chacun y trouve son compte. Autant vous dire que ce n'était pas gagné : on connaît des matières beaucoup plus attrayantes, et si vous n'avez pas un esprit qui se plie à la réflexion, vous avez des chances de passer à côté.
Le truc de Jostein, c'est de capter l'attention du lecteur avec une bonne petite histoire, pleine de mystère et d'aventure qui sans que vous vous en doutiez, vous fait basculer insensiblement dans la philo. Car il y a une bonne histoire qui sous-tend la leçon : c'est l'histoire de Sophie, une ado comme vous et moi (comme vous et moi « avons été », pour une bonne partie d'entre nous), qui reçoit un beau matin une lettre avec ces mots : « Qui es-tu ? ». Déjà, adulte, on ne sait pas répondre à cette question, alors, ado, je vous dis pas. (Pierre Dac, remarquez, avait la réponse toute prête : à la question « Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? », il répondait « Je suis moi, je viens de chez moi et j'y retourne »). Puis le lendemain, une autre question : « D'où vient le monde ». Même topo, on ne sait pas où il va, on ne cerne même pas celui dans lequel on vit, alors d'où il vient… Mais Sophie se prend au jeu et elle est entraînée dans une drôle d'aventure où elle va rencontrer des gens de son temps, dont un mystérieux Alfredo, prof de philo par
correspondance, et une certaine Hilde qui, fait bizarre, a le même âge qu'elle, et surtout une bande de joyeux drilles, les nommés Socrate,
Platon,
Aristote,
Descartes,
Spinoza, et bien d'autres, de tous les siècles et de tous les pays.
Le plus surprenant – et c'est là qu'il faut voir le talent de l'auteur – c'est qu'on ne s'ennuie pas une minute (sauf si on est allergique, mais là, on a fermé le bouquin depuis longtemps, à supposer qu'on l'ait ouvert). On apprend des tas de choses. Et le top du top, c'est que en refermant le bouquin, vous vous dites : bon, j'ai toutes les questions, à moi de trouver les réponses. C'est le but du roman : la philo n'est pas la science de savoir ce que les autres pensaient, c'est à partir de leurs raisonnements, se faire soi-même une idée sur soi, sur la vie, sur le monde. La philo, c'est comme la religion, c'est un apprentissage de la sagesse.
Tous les élèves de Terminale devraient lire ce bouquin en marge de leurs cours de philo : ils trouveraient la matière moins rébarbative, et aborderaient ces auteurs réputés complexes, avec le sourire, ou en tous cas, moins de difficulté.