Ogun, référence de son être, est indissociablement créateur et destructeur, artiste et combattant. Soyinka n'est ni un artiste qui fait de la politique ni un politique qui fait de l'art comme s'il s'agissait de deux préoccupations mutuellement étrangères qui pourraient exister séparément. Ce sont deux aspects d'une même vie unifiée.
La dimension politique est première dans le théâtre de Soyinka. Il utilise la scène comme un espace rituel dans l'esprit du théâtre traditionnel yorouba pour un acte de purgation des passions à sa manière : il dénonce des chefs d'État ivres de pouvoir et se livrant à toutes sortes d'exactions et d'exploitations.
Cette connaissance intuitive ne dénonce pas seulement les arrangements linguistiques, elle s'attaque à une logique littéraire manipulée par la société maîtresse du pouvoir et cherchant à maintenir les libertés dans les limites d'un conformisme acceptable. Le Soyinka écrivain se double d'un Soyinka critique et autocritique qui refuse de faire de la littérature un but en soi et n'ayant de comptes à rendre aux autres domaines du réel. Dans son monde unitaire totaliste, la littérature est reliée au réseau psycho-cosmique comme tous les secteurs de la pensée, de la sensibilité, de l'imagination et de l'action humaines. La littérature, le théâtre ne particulier, doit comme tout langage authentique exprimer les énergies cosmiques sous peine de se dessécher et de devenir la proie des illusionnistes du pouvoir.
Dès 1974, alors qu'il enseigne à l'université de Cambridge, il propose l'auto-appréhension comme approche critique des œuvres littéraires africaines et consacre plusieurs essais à "mettre au jour le monde africain auto-appréhendé dans le mythe et la littérature". Ce qui fonde ce propos, c'est explicitement un refus de se laisser plus longtemps présenter et expliquer par l'autre plutôt que par soi-même. Mais il apparaît aussi à la lecture que ce refus ne naît pas seulement de la nécessité d'être soi-même sans aliénation, d'affirmer son droit et son pouvoir de se penser soi-même, mais aussi du rejet d'un type de regard contestable en lui-même, inacceptable en somme même lorsqu'il s'applique à la réalité occidentale dont il est issu.
La pensée de Wole Soyinka est un humanisme parce qu'elle est totalisante et que l'humain y est partout présent, tout comme le divin. C'est un humanisme cosmique parce que l'humain n'y renie jamais l'Origine où demeure son élan. Il ne rompt avec aucun être, car il sent en tous un parent à cultiver pour un commun surcroît de vie.