En rédigeant une biographie de
Milan Kundera,
Jean-Dominique Brierre s'est attaqué à un défi de taille car l'écrivain tchèque devenu français en 1981 est un homme qui préfère l'ombre à la lumière.
Kundera est en effet maladivement attaché au secret et fuit les media depuis de nombreuses années.
Cette biographie s'attache à retracer le parcours de l'écrivain à partir d'informations publiques, couvrant essentiellement la période antérieure aux années 80.
Jean-Dominique Brierre a certainement recensé de manière exhaustive tout ce qui a été écrit sur
Kundera. Ces données publiques sont complétées par quelques témoignages que l'auteur a recueilli directement auprès de personnes ayant connu
Kundera (son traducteur français ou son ami
Alain Finkielkraut). Cette contrainte sur les sources d'information fait que cette biographie est plus tournée sur l'oeuvre de
Kundera que sur sa vie.
Du fait de l'assèchement des informations disponibles sur la période des 30 dernières années, l'ouvrage évoque surtout les 60 premières années de la vie de
Kundera et à travers elles, l'histoire de la Tchécoslovaquie au cours du XXème siècle. Les derniers romans de
Kundera, ceux écrits en français à partir du milieu des années 90, sont très peu évoqués. le livre cherche à établir des liens entre l'histoire tchèque et l'oeuvre de
Kundera, exercice périlleux car l'écrivain a toujours bien pris soin de préciser que son ambition n'était pas de produire de la littérature engagée propre au contexte tchèque mais d'écrire des romans ayant une portée universelle.
Kundera est passé de l'exaltation pour les idées communistes dans les années d'après-guerre à la désillusion progressive en même temps que l'emprise communiste sur la société et les intellectuels se relâchait dans les années 60 jusqu'à ce que le printemps de Prague finisse étouffé par la reprise en main soviétique en 1968. Ce parcours se retrouve dans sa production littéraire.
Kundera a commencé par écrire de la poésie lyrique, qu'il a reniée totalement par la suite, avant de passer dans les années 60 au roman, empreint d'ironie et d'humour.
La première partie du livre repose sur une construction chronologique depuis l'avant-guerre jusqu'à l'exil en France et la chute des régimes communistes à la fin des années 80. Celle-ci est ensuite complétée par quelques chapitres thématiques, importants pour comprendre l'oeuvre de
Kundera : le roman considéré comme une méditation sur l'existence, la construction polyphonique de ses romans, la question de l'identité, de l'exil et de la langue, la sexualité, Kafka…
Le livre se termine par un chapitre au titre emblématique ‘Un moderne anti-moderne'. C'est en effet un
Kundera plein de paradoxes qui se dessine à la lecture de cette biographie. le livre met bien en lumière les ambiguïtés et la complexité de l'écrivain. D'un côté
Kundera désire ardemment se faire comprendre et éviter les quiproquos qui entoure son oeuvre. Il aime théoriser. Son essai ‘
L'art du roman' en témoigne. Il répugne visiblement au lâcher-prise et à la perte de contrôle, trait de caractère qu'illustre son obsession à contrôler les traductions de ses romans. Politiquement il a connu le désenchantement face à l'idée communiste. C'est un homme attaché à la figure de Don Juan. D'un autre côté, il se réfugie dans le secret et son oeuvre montre qu'il n'aime rien moins que les situations romanesques ambigües qui n'ont aucune valeur de vérité absolue. Il apparaît comme un homme mal à l'aise dans la société actuelle, jugée abrutissante et dominée par la consommation et les média, et sa vision des femmes est souvent considérée comme empreinte d'une mentalité patriarcale.
Pour résumer, un ouvrage qui ne peut que ravir les amateurs de
Kundera et inciter à lire ou relire ses romans, probablement amenés à rester comme des oeuvres majeures de la littérature européenne du XXème siècle.