Ecoutez nos défaites. Fallait du cran pour s'attaquer à pareille matière et un sacré talent pour nous la rendre aussi subjuguante. C'est comme une mêlée de rugby ce roman pour moi. de loin c'est un peu le bordel! En s'approchant à petit pas, peut être encore un peu, mais on y voit plus claire, son coeur est bien protégé. Chacun est à sa place, sait quelle part lui revient pour faire avancer l'ensemble, on dose l'effort, on retient son envie de capituler, on fait confiance à celui qui tient la vision globale. Pour ainsi dire, je dois avouer que tout se confond assez facilement dans ma tête pendant ma lecture, et puis tout s'emmêle, se modèle, prend forme et se déforme et c'est une déroute qui donne à réfléchir : et sur le sens de nos défaites, matière du roman, et sur le travail d'auteur,
Laurent Gaudé toujours aussi ingénieux, pas un autre que lui pour manier l'art pareillement!
Écoutez nos défaites sonne comme une plasmodie, les échos du titre en fin de récit closent en beauté l'histoire de chacun, reliant la boucle de la victoire inatteignable, la victoire qui n'en sera jamais une de par son essence, des combat perpétuels qui n'offrent aucune paix même aux vainqueurs, pas de gloire, fatalistes défaites.
On ressent bien l'installation de la fureur des combats, puis les conjonctures, les rebondissements, les destins, les chaos, les folies, les fatalités qui laissent fatigues et abattements s'installer, prendre corps et âmes jusqu'au déclin, jusqu'à la mort.
Il est très bien fait ce récit, il résonne et donne donc à réfléchir très large, sur des plans d'histoire très lointains mais aussi très à notre portée (à la volée : historiquement les romains, géographiquement le moyens orient, émotionnellement le cancer, professionnellement les métiers qui prennent et perdre du sens…) homme, femme, grand roi des rois, homme de main, brutes, usurpateurs, pions des coups d'états, homme sans identité (cf le bureau des légendes) vraiment ça ramène large large pour ouvrir notre conscience sur la défaite, ceux qui plient, ceux qui luttent, ceux qui monnayent, ceux qui résistent, ceux qui s'épuisent. Pour nous montrer à voir que tout s'amenuise et se défait. Plus ou moins dans la douleur ou la résiliation.
La mémoire des lieux qui gardent (vallée de combats sanglants) la mémoire des objets saccagés (pillages musées et mosoles, archéologues)
Plus je referme ce livre plus je me dis que
Laurent Gaudé a levé le niveau très large mais aussi très haut, abyssale et si bien construit, intelligent dans le chaos des récits qui se croisent et se rejoignent au fil des chapitres qu'on s'y perd, combien de fois j'ai été baladé d'une bribe à l'autre avec peine à me ressaisir, comme pourrait l'être finalement le combat. Les choses nous échappent et reprennent tout leur sens plus loin, avec plus de hauteur.
Pour finir, faire confiance à l'auteur. Ce roman contre toute attente, rend un bel hommage aux paix qui n'arriveront jamais.
Laurent Gaudé, mon préféré, ma valeur sûre pour un plongeon singulier. Et cette couverture encore. Toujours magnifique.