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sur 1121 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
«On ne peut pas partir au combat avec l'espoir de revenir intact. Au départ, déjà, il y a le sang et le deuil. Au départ, déjà, la certitude qu'il n'y aura aucune victoire pleine et joyeuse».

Par ces mots, on sait à quoi s'en tenir.

La destruction organisée du patrimoine culturel et religieux de Hatra, de Mossoul, de Palmyre, de Tombouctou, de Bâmiyân, ainsi que le vol d'objets d'art et les attentats internationaux revendiqués par les hommes en noir, ont certainement impressionné et inspiré Laurent Gaudé, comme chacun de nous.

Cette folie meurtrière s'arrêtera-t-elle ? Est-elle particulière au bond économique et technologique des XXe et XXIe siècles ? Quelle victoire peut être revendiquée face à la mort de dizaines de milliers de personnes ? Combien de batailles pour rien tant qu'il n'y a pas de vainqueur ? Comment continuer à vivre avec ces visions d'horreur et de peur ?

A partir de la rencontre d'Assem avec Mariam, Laurent Gaudé s'interroge sur les concepts de vainqueur, de vaincu, de défaite et d'échec. Assem, choisi par la DGSE, doit retrouver un homologue de la CIA déserteur. Mariam, archéologue irakienne, recherche les oeuvres d'art volées et dispersées à travers le monde. Tous deux sont des spécialistes lucides, compétents et sans illusion sur la finalité de leurs missions.

L'Histoire d'hier rejoint celle d'aujourd'hui avec ses fracas, ses triomphes et ses erreurs. Elle laisse les traces de ceux que les siècles appelleront héros, même s'ils sont responsables de la mort de centaines de milliers de personnes. Peut-être au nom d'un idéal comme le général Grant lors de la Guerre de Sécession. Peut-être au nom de la liberté de son peuple comme Hannibal. Peut-être pour dénoncer la lâcheté de la Société des Nations comme Haïlé Sélassié. La conclusion, pas neuve hélas !, c'est que L Histoire a beau démontrer les horreurs de la guerre et les générations successives ont beau répéter « Plus jamais ça », l'orgueil, la démesure et la violence emportent toujours les hommes.

Cinq personnages principaux sont confrontés aux victoires et aux défaites :
Hannibal, guerroyant et gagnant ses batailles contre les Romains pendant plus de vingt ans, rencontre la défaite et la trahison dans ses alliances avec le vainqueur.
Ulysses Grant gagne la guerre civile américaine et est élu deux fois à la présidence des Etats-Unis. Sa défaite a été de garder le surnom de « boucher » pour le restant de ses jours et d'avoir vu la corruption ronger son administration.
Haïlé Sélassié sait que son armée, abandonnée par les grandes puissances, ne résistera pas à la mitraille implacable des Italiens de Mussolini. Sa défaite a été sanctionnée par l'exil mais il eut le courage d'accuser de lâcheté l'attitude de la SDN qui tourna le dos à l'Ethiopie quand elle subit les agressions de l‘Italie.
Assem Ghraïeb ne remporte aucune victoire lorsqu'il participe à l'assassinat du président libyen Kadhafi. Il accomplit une mission et sert sa patrie. La suivante est d'analyser si son homologue américain, qui a tué Ben Laden, est « récupérable » ou s'il doit être « neutralisé ». Sa défaite est de ne trouver aucun sens aux missions urgentes qui lui enlèvent chaque fois un peu de son humanité.
Mariam, l'Irakienne au service de l'Unesco, anéantie par les dynamitages des trésors de Libye, de Syrie ou d''Afghanistan, éprouve sa réussite chaque fois qu'elle retrouve des oeuvres volées à travers le monde. Sa défaite est sa rupture sentimentale et l'annonce de la maladie qui ramène tout être vivant à l'état de poussière d'où sont sorties les pièces exposées dans les musées.

Ce qui mène ces cinq personnages, c'est le fait de tenir, d'aller de l'avant, de ne pas lâcher. Même s'il y a défaite, ne jamais renoncer. C'est une formidable leçon de vie.

La force de Laurent Gaudé réside dans l'illustration des états d'âme de ses personnages. Sa virtuosité est de rendre son récit haletant, émouvant et passionnant. Plus la bataille fait rage, plus l'impact est violent, plus les pertes sont lourdes, plus les paragraphes sont courts et les phrases percutantes, ce qui crée une tension intense dans la lecture. le questionnement lancinant au fil des pages accroît la réflexion, abolit les époques et les frontières, accélère la dynamique de l'action.

L'amertume de Mariam et d'Assem trouve un répit dans une nuit d'amour. L'une raconte les rites égyptiens consacrés à la mort des Taureaux Apis et le mythe du dieu Bès, l'autre récite des vers de Constantin Cavafy et de Mahmoud Darwich. L'art et la poésie résistent à toutes les horreurs de l'Histoire. Comme elles, ils sont sans cesse recréés.

Sûrement une gageure que de mélanger ces différentes périodes de l'Histoire, de choisir les héros significatifs, vainqueurs et vaincus à la fois, mais pour moi, c'est une réussite entière. Un livre à recommander.


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Laurent Gaudé a ouvert une faille en moi. Ses mots puissants qui touchent le coeur de l'âme, qui écoutent l'intime, qui révèlent la part cachée qui est en moi, qui est en chacun, ses mots vulnérables et tranchants m'ont mise à nu. Et je me reconnais humaine, très humaine, reliée à tous, qu'ils me soient contemporains ou qu'ils soient morts depuis longtemps.
Car tous, nous avons en commun ceci : arrive un moment où la vie s'engloutit, où la défaite s'étale. le corps s'incline, les passions passées s'éloignent.
Car tous, nous sentons intimement que, même au coeur de la victoire, une petite faille s'ouvre et nous susurre que celle-ci n'est jamais complète. Nous sommes toujours victorieux au détriment d'autres. La victoire pleine, réelle, éternelle, n'existe pas. Interrogez-vous comme je me suis interrogée, et vous verrez que Laurent Gaudé a raison.

Que ce soit les victoires lors des batailles – là où le sang imbibe la terre jusqu'à plus soif, là où l'humiliation des vaincus empêche de lever la tête en humain vainqueur fier de l'être -, que ce soit les victoires sur le Temps – lorsque les archéologues déterrent avec fracas les objets qui s'étaient cachés, nichés pour l'Eternité afin de reposer en paix -, que ce soit les victoires sur soi-même et sur la vie - mais ô combien précaires - , toutes ont en commun ceci : elles ne durent pas. Et donc la victoire n'existe pas.

Il nous faut accepter cela, et pourtant, c'est ce qu'on ressent obscurément depuis longtemps, non ?
Et pourtant, le fait de l'accepter ne nous rend pas plus malheureux. Paradoxalement, il nous rend plus heureux, plus détachés de l'effervescence souvent sans objet de la vie.

Laurent Gaudé est arrivé, dans cette histoire mêlant le passé et le présent, à trouver le sens commun à tous les hommes, en entrant dans le coeur d'hommes ayant participé aux convulsions de l'Histoire, à ces moments où elle hésite, où elle penche dangereusement d'un côté puis de l'autre, pour finir de toute façon par être vaincue elle aussi. D'Hailé Sélassié à Hannibal, de Grant et Lee pendant la Guerre de Sécession au saccage du musée de Mossoul par des obscurantistes, de la mort de Khadafi à celle de Ben Laden, l'Histoire se brasse, s'embrasse et se tue. Elle finit par se taire, aussi.
Car finalement, même si le poète dit « Ne laissez pas le monde vous voler les mots », on doit bien reconnaitre « qu'il n'a été question que de gestes. L'action, qui s'empare de tout, ne laisse plus de place à rien ».

Merci à Claire qui m'a offert ce livre puissant hanté par l'Homme, par son désir de victoire inséparable de sa part d'ombre, par son acceptation de la défaite qui le rend, enfin, humain.
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Zurich. Assem Graïeb, agent secret français, a rendez-vous à Bellevueplatz avec Auguste afin que celui-ci le présente à un homme des services américains. Avant ce rendez-vous, il rencontre Mariam, dans un bar. Ils termineront la nuit ensemble. Presque sûrs qu'ils ne se reverront pas. Assem s'en ira vers une nouvelle mission tandis que la jeune femme, archéologue irakienne, tentera de sauver les oeuvres d'art volées à son pays par Daesh...
Un autre lieu, un autre moment. le général Ulysses Grant doit faire face aux Confédérés, Hannibal avance vers Rome, Hailé Sélassié se bat contre Mussolini...

Dans ce roman polyphonique, Laurent Gaudé décrit de façon magistrale, presque théâtrale, l'absurdité de la guerre. Des guerres que l'on pense avoir gagnées mais qui, au final, finissent en défaites. La guerre punique qui vit l'avancée d'Hannibal et ses éléphants vers Rome, la guerre de Sécession au cours de laquelle le général Grant fut surnommé le boucher, la guerre pour une certaine liberté qui fit d'Hailé Sélassié le Roi des Rois, la guerre que mène Mariam contre son propre corps ou encore celle de Assem Graïeb contre le terrorisme. L'auteur entremêle tous ces récits intelligemment et harmonieusement, confrontant les époques et les lieux. de Zurich à Tripoli en passant par Paris ou Beyrouth, l'on suit Assem et Mariam durant quelques jours, Grant sur plusieurs années et Sélassié et Hannibal, une bonne partie de leur vie. Des récits ciselés et majestueux, qu'ils soient fictifs ou réels. Des récits d'une puissance rare, magistralement orchestrés, soufflés par la musicalité et la force des mots.
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Rédiger une critique ne m'est jamais facile, j'ai du mal à trouver les mots, j'ai du mal à faire passer mes émotions et lorsque je me trouve face à un livre d'une telle qualité à la fois littéraire et historique, je ressens un grand moment de solitude. Comment arriver en quelques lignes à donner à d'autres lecteurs l'envie de le découvrir ?
Ici, l'auteur nous parle à travers plusieurs narrateurs qui sont tous d'une manière ou d'une autre, impliqués dans une guerre qui a marqué notre histoire.
Nous découvrons dès les premières lignes Assem et Mariam, une brève nuit d'amour suffit à les lier. Il est agent secret français et prépare son départ pour Beyrouth. Elle est archéologue iranienne et se bat pour sauver les musées de Mossoul et d'ailleurs.
En contrepoint de cette rencontre, le récit fait retentir le chant de trois héros glorieux : le général Grant écrasant les confédérés, Hannibal marchant sur Rome, Hailé Sélassié se dressant contre l'envahisseur fasciste. Mais quand une bataille se gagne au prix de vies fauchées, de corps suppliciés, de terres éventrées, comment prétendre qu'il s'agit d'une victoire ?

"Écoutez nos défaites, ils le disent ensemble, avec une sorte de douceur et de volupté, écoutez nos défaites, nous n'étions que des hommes, il ne saurait y avoir de victoire, le désir, juste, jusqu'à l'engloutissement, le désir et la douceur du vent chaud sur la peau".

Ces destins s'entremêlent avec maestria sous la plume magistrale de Laurent Gaudé.
Je ne suis pas vraiment passionnée par l'histoire et les personnages d'Hannibal et du général Grant me laissent relativement indifférente, Il a donc fallu tout le talent de l'auteur pour me décider à entreprendre ce voyage dans le temps au terme duquel je ressors totalement éblouie.
Un immense coup de coeur.
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Écoutez nos défaites est un livre qui m'a désarçonné et j'ai dû attendre un peu avant d'écrire cette chronique, comprendre dans quel territoire j'avais mis les pieds. C'est un texte riche, ample, choral, complexe aussi, oscillant entre le passé et le présent, entre l'histoire universelle de quelques guerres anciennes mais aussi actuelles et la dimension intime de deux personnages qui portent le récit.
Parfois, un texte c'est comme une décoction, il faut attendre que cela infuse, que les choses se déposent, se reposent... Attendre que le texte nous revienne comme un boomerang avec ses odeurs, ses déflagrations, ses vertiges, son sens...
Le texte, pas épais en nombre de pages, deux cent quatre-vingt-deux pages exactement, est vertigineux pourtant. C'est une fresque immense... de Bamako au Kurdistan, de Paris à Beyrouth, de Tripoli au Pakistan... de nous à vous...
Tout démarre par une rencontre amoureuse à Zurich, une histoire prometteuse entre Assem un agent des services de renseignements français et Mariam, une archéologue irakienne. Qu'ont-ils en commun ? Qu'ont-ils en commun sinon avoir fait l'amour une nuit dans un hôtel à Zurich ? Qu'ont-ils en commun sinon l'amour de la Méditerranée et les terres meurtries plus loin où leurs métiers respectifs les amènent à frôler l'horreur, la destruction, la mort et la mer aussi.
La guerre n'est jamais loin de nous, qu'elle soit contemporaine ou ancienne.
La folie humaine est au coeur de ce récit. Pourquoi les hommes font-ils la guerre ? Pourquoi les hommes SE font-ils la guerre ? L'orgueil en est souvent la principale raison. L'Iliade nous a pourtant déjà tout dit et révélé sur ce sujet. Pourquoi faut-il encore ressasser cette sempiternelle question comme si nous n'avions pas encore compris la réponse ?
Ce texte fort beau de Laurent Gaudé invite parmi ses mots l'humanité tout entière mais aussi sa part cachée, son envers du décor, les êtres qui la composent, c'est-à-dire nous aussi bien entendu.
Mariam assiste impuissante à la destruction d'oeuvres appartenant au patrimoine culturel mondial, Mossoul, Palmyre... par les djihadistes, tandis qu'Assem recherche un homologue américain en fuite. Nous avons vu ces images de destruction. Détruire la culture participe aussi de la barbarie...
La défaite ici s'appuie sur la grande Histoire et les parcours de vie d'Assem et Mariam.
Des récits historiques, parfois mythiques, entrés dans la légende sont prétexte à étayer le propos de Laurent Gaudé. Ils se parlent de manière chorale et nous surprennent par leur dimension actuelle : voici Agamemnon qui attend des vents favorables pour faire voile vers Troie, voici Hannibal venu aux portes de Rome avec ses éléphants, voici Ulysses Grant conduisant les armées nordistes face aux Confédérés durant la guerre de Sécession, voici Hailé Sélassié roi des rois de l'Éthiopie opposant ses troupes désarmées aux armées mussoliniennes... Les conquêtes et les tragédies qu'ils ont vécues sont un enseignement...
Aider à devenir humain est peut-être ici le seul propos de Laurent Gaudé, devenir humain et tenir debout parmi les incantations du monde.
Tenir debout dans la fracture du temps.
Tenir debout, tenir à distance le sort du monde pendant qu'il est encore temps de s'offrir une respiration.
Les guerres ne servent à rien, les triomphes non plus... Même les guerres gagnées, pour qui, pour quoi, se révèlent être de terribles défaites pour ceux qui les ont menés jusqu'au bout... Au bout de quoi d'ailleurs ?
Ici, parmi la folie des hommes, les bombes et les bras mutilés, des mots bruissent, réparent et guérissent.
Ce roman dit notre rapport au corps... « Corps, souviens-toi... », ces mots nous sont dits presque à la fin du texte comme une promesse, citation du poème éponyme de Constantin Cavafy...
Aller et venir entre les vivants et les morts, passer de l'un à l'autre, c'est ce qui est le plus dur, comment peut-on faire cela sans être déchiré d'un peu de soi à chaque passage d'un monde à l'autre ?
Ce roman visite le thème de la défaite dans une longue digression.
Dit nos propres défaites, celles qui viennent s'échouer dans les zones abyssales de nos âmes parfois abîmées. Puisque nous aussi nous faisons la guerre, parfois de manière animale, affamés d'amour, mutilés par les rebuffades et les jalousies... Et nous vivons alors de profondes défaites...
Ce roman est une longue pérégrination mêlant l'intime à l'universel.
Et si la seule morale à retenir de cette épopée humaine et sanglante était que l'art, la beauté, la poésie nous préservent de l'anéantissement et permettent de se tenir debout dans un monde affolé ?
Et si...
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La guerre est la compagne de l'homme. Elle rôde sur notre planète, ombre éternelle. Chienne aux aguets.
Elle a soif, rien ne l'étanchera. Et l'homme sera toujours volontaire pour calmer sa soif.
Un été avec HomèreSylvain Tesson

Quand j'ai lu ce texte tout à la fois magnifique de par la plume de Laurent Gaudé et si triste par ces récits de batailles, je me serais bien vue assise sur les gradins d'un théâtre grec pour le lire face à la mer, entendre le flux, le reflux, la victoire, la défaite, les vaincus, les vainqueurs, la guerre, la paix.
Un texte intense qui montre l'impermanence de nos actions. Nous passons rapidement de prédateur à proie, de héros à personna non grata voir à éliminer si nous n'obtenons pas la victoire. Cette impression qu'il suffit de changer les noms des villes, des chefs mais qu'en fait la guerre c'est toujours la même chose : des morts, des blessés, des survivants, une victoire qui n'en est pas une au vu des pertes et des vaincus qui n'attendent que l'occasion de se venger.
Et puis, il y a aussi cette aventure d'un soir entre une archéologue et ce soldat. Un soldat doit-il obéir aux ordres, rester fidèle à sa patrie ou à ses idéaux s'il lui en reste ? Quand aux archéologues qui fouillent des tombes, en sortent des objets pour connaître l'histoire et par amour de l'art, du beau. Ces objets appartenaient à l'histoire autrefois, mais de nos jours, ils appartiennent au temps. Et malheureusement, se trouvent devenir les jouets de la cupidité et de la folie destructrice de quelques hommes.
Écoutez nos défaites, c'est accepter la vanité de nos actes, se rendre compte que nous sommes bien peu de choses. Accepter nos défaites c'est remettre ce dieu Bès, dans la terre, sa demeure d'éternité.
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Pitié !
Assez de vies brisées , d'hommes estropiés , de bouches qui crient une dernière fois le nom de leur mère , de cette absurdité qui a toujours régné sur la Terre , de cette horreur qu'on appelle la guerre !

" Tenir ou reculer " Avoir la force de se relever ..." P. 78

J'ai participé à leurs tueries . J'ai pleuré les femmes violées , les enfants orphelins , j'ai fermé les yeux devant le lac Trasimène injecté de sang .
" Ils tranchent , piquent , coupent . Ils abattent des hommes comme on le ferait d'un troupeau . (... ) Quinze mille hommes ." P.80

L'auteur a le don de vous transporter dans ses flashbacks brefs et dramatiques.
Il ne vous laisse aucun répit . Vous souffrez avec lui de cette mélancolie qui lui noircit la vie .

Je n'ai plus su supporter cette angoisse que vit chaque homme , cette détresse , cette agonie .
J'ai dû abandonner cette écriture grandiose , cette plume qui vous pique le plus profond de votre âme .

"Qu'importe qui gagne et à quel prix ! "

Toutes les colombes de la Terre ne pourront jamais empêcher les coquelicots de joncher les champs de guerre , car tant qu'il y aura un souffle de vie dans notre Univers , l'être humain cherchera toujours des poux à son voisin .
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Coup de coeur? Plutôt coup au coeur que ce magnifique roman de Laurent Gaudé.

Je pourrais lui accorder une sixième étoile et m'arrêter là, tant il n'est pas facile d'en faire la chronique. Car beaucoup de choses dérangent dans ce livre qui n'est pas pour les lecteurs en quête d'une récréation légère.

Beaucoup de choses dérangent, à commencer par la guerre dont on lira les horreurs. Ces dizaines de milliers de Romains morts aux mains des armées d'Hannibal, ces Américains aussi, tombés sous les balles des Américains, ces Sudistes qui veulent déchirer le pays et ces Nordistes qui deviennent des bouchers. Ces guerres absurdes où les victoires ont toujours une odeur de sang et de cadavres. Des victoires qui sont toujours la défaite de la vie et qui sont aussi la mort de ce qu'était l'âme du vainqueur.

Troublante aussi est l'obéissance du soldat, prêt à mourir pour son général. L'homme qui devient volontairement un pion, un rouage à qui a donné une mission, celle d'apporter la mort. Pourquoi, pour qui? Parce que c'est agréable d'obéir, de suivre un chef? Quel est donc ce charisme qui entraîne à sa suite les soldats vers d'illusoires conquêtes qui auront toujours un parfum de mort? Et comment peut-on encore élever des monuments, faire des héros de ces conquérants qu'on dit bâtisseurs d'empires alors qu'ils n'ont fait qu'oeuvre de destruction?

Et que penser de l'archéologie, avec ses savants qui se réjouissent de piller des tombes? Pourquoi est-ce une chose noble que de déterrer un cadavre ancien et d'exposer sa momie dans un musée? N'est-ce pas aussi faire fi de la personne, de l'être humain dont on profane la dépouille?

Dans un registre plus intime, on pourra aussi s'apitoyer sur les inéluctables défaites qui toucheront chacun de nous : le vieillissement, les organes qui lâcheront ou les cellules malignes qui se multiplieront.

Mais pour finir, gardons quand même un peu d'espoir… Un peu de poésie et de musique. Essayons aussi de faire en sorte que nos enfants apprennent à jouer à la paix…
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Lire un livre sur la guerre, ce n'est franchement pas ce que je préfère.
Ecoutez nos défaites me faisait un peu peur...J'ai franchi le pas à la lecture de certains billets lus ici.
Et puis il s'agit d'un roman de Laurent Gaudé. Ce n'est pas rien ! Je me devais de le lire.
« Veni, Legi, Vinci », si je puis dire ainsi...

Il faut dire aussi que les mots de Gaudé me confortent, me charment, me séduisent. J'ai même envie de dire qu'il possède un tel charisme littéraire que je pourrais l'écouter, le lire pendant des heures et des heures...même si je ne comprends pas tout !

Dans ce roman, d'ailleurs, je n'ai pas tout saisi mais peu importe...Les mots, les paragraphes s'enchaînaient de telle façon que j'étais emportée dans cette danse macabre, dans ce tourbillon de victoires et de défaites, dans cette folie guerrière.
Emportée et ...abasourdie.
Quand cela s'arrêtera-t-il ?

«  Les siècles ont passé. Les historiens ont écrit, encore et encore, sur chaque massacre, chaque génocide, chaque convulsion de l'Histoire. « Plus jamais cela. » Chaque génération a prononcé cette phrase. Est-ce que L Histoire ne sert à rien ? »

Ecoutez nos défaites...Parce qu'au final, nos défaites résonnent comme des victoires et que nos victoires, elles, ont le goût amer de la défaite.

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Il paraît que L Histoire est écrite par les vainqueurs.
C'est sûrement vrai, mais qui sont-ils ces vainqueurs, et qu'ont-ils accompli ? À quoi, pour qui ont-ils oeuvré ? Derrière le vernis de leur gloire, sous leurs uniformes bardés de médailles et tâchés de sang, de quelles victoires peuvent-ils se targuer ? Leurs causes étaient-elles justes, leur sort est-il vraiment plus enviable que celui des vaincus ? Pourront-ils reposer en paix quand leur heure viendra ?
Pour Laurent Gaudé, rien n'est moins sûr...

Et parmi tous ceux qui ont livré bataille à travers les âges, tous ceux qui ont versé le sang et touché du doigt la barbarie, ceux qui ont ordonné des massacres et cultivé l'aigreur de la vengeance au point de s'y perdre, parmi tous ceux-là, personne pour le contredire.
Personne pour nier que la victoire peut-être une épreuve, qu'elle peut désapprendre à vivre.

Quelques exemples piochés au hasard ? Hannibal et ses guerres puniques, le général Grant et l'interminable guerre de Sécession, Haïlé Sélassié et son empire éthiopien balloté dans la fureur du monde.
Et puis plus proche de nous Assem Graïeb, l'agent des services de renseignements français, qui était aux premières loges lors de la chute de Kadhafi et qui désormais ne trouve plus le sens de son engagement.
Et puis Mariam, enfin, l'archéologue irakienne hantée par la destruction massive du patrimoine culturel orchestrée par Daesh au Moyen-Orient, Mariam qui consacra sa vie à l'art et à la beauté, Mariam qui pleure aujourd'hui Palmyre, Ninive, Hatra...
Tous savent "qu'on ne peut partir au combat avec l'espoir de revenir intact", et tous s'interrogent : "Pourquoi n'y a-t-il jamais de victoire ? Jamais de moments de joie pleins auxquels ne succède rien d'autre qu'une vie de paix à laquelle on puisse s'adonner avec douceur ?"

La réponse est dans ces pages superbes, entre chacune des lignes si précieuses que Gaudé nous adresse avec toute la puissance qu'on lui connait et dont je me délecte à chaque nouvelle lecture.
Plus je découvre Gaudé et plus je suis sensible à son immense talent, à l'élégance de son style et à la force de son propos !
Dans ce roman magistral, il efface les frontières entre vainqueurs et vaincus, évoque avec une infinie justesse ces "instants là où l'homme est allé si loin qu'il n'en est plus un", et se joue à chaque paragraphe de l'espace et du temps. Plusieurs époques qui se répondent en écho, plusieurs théâtres d'opérations, plusieurs "héros" mais une même folie meurtrière, les mêmes erreurs sans cesse répétées, un même sentiment de culpabilité et une même corruption des âmes, qu'il décortique avec une finesse inouïe.

Incontestablement, Gaudé fait vibrer quelque chose en nous.
Quelque chose de fort.
Lire son texte, s'en imprégner, c'est voir "l'Histoire qui se saisit du cours des choses et qui écrit le monde pour quelques instants, déjouant les plans et surprenant les vivants".
C'est tout simplement "être dans L Histoire [...], la sentir, être dans les endroits du monde où elle se cherche, se convulse, hésite, prend des formes effrayantes, démesurées, sentir son souffle, voir comment elle modèle des pays, déforme des vies, créé des espaces singuliers".
Il y a dans ces mots quelque chose qui confine à l'universel, quelque chose qui m'a saisi et je ne suis pas près d'oublier.

Vous l'aurez compris : c'est complètement conquis que je referme Écoutez nos défaites, heureux d'avoir savouré un grand livre et néanmoins un peu inquiet à l'idée que ma toute première lecture de l'année risque aussi d'être la plus forte ! Qui lira verra...
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