Plangon la Milésienne fut en son temps une des femmes les plus à la mode d’Athènes. Il n’était bruit que d’elle dans la ville ; pontifes, archontes, généraux, satrapes, petits-maîtres, jeunes patriciens, fils de famille, tout le monde en raffolait. Sa beauté, semblable à celle d’Hélène aimée de Pâris, excitait l’admiration et les désirs des vieillards moroses et regretteurs du temps passé. En effet, rien n’était plus beau que Plangon, et je ne sais pourquoi Vénus, qui fut jalouse de Psyché, ne l’a pas été de notre Milésienne. Peut-être les nombreuses couronnes de roses et de tilleul, les sacrifices de colombes et de moineaux, les libations de vin de Crète, offerts par Plangon à la coquette déesse, ont-ils détourné son courroux et suspendu sa vengeance ; toujours est-il que personne n’eut de plus heureuses amours que Plangon la Milésienne, surnommée Pasiphile.
Le ciseau de Cléomène ou le pinceau d’Apelles, fils d’Euphranor, pourraient seuls donner une idée de l’exquise perfection des formes de Plangon. Qui dira la belle ligne ovale de son visage, son front bas et poli comme l’ivoire, son nez droit, sa bouche ronde et petite, son menton bombé, ses joues aux pommettes aplaties, ses yeux aux coins allongés qui brillaient comme deux astres jumeaux entre deux étroites paupières, sous un sourcil délicatement effilé à ses pointes ? À quoi comparer les ondes crespelées de ses cheveux, si ce n’est à l’or, roi des métaux, et au soleil, à l’heure où le poitrail de ses coursiers plonge déjà dans l’humide litière de l’Océan ? Quelle mortelle eut jamais des pieds aussi parfaits ? Thétis elle-même, à qui le vieux Mélésigène a donné l’épithète des pieds d’argent, ne pourrait soutenir la comparaison pour la petitesse et la blancheur. Ses bras étaient ronds et purs comme ceux d’Hébé, la déesse aux bras de neige ; la coupe dans laquelle Hébé sert l’ambroisie aux dieux avait servi de moule pour sa gorge, et les mains si vantées de l’Aurore ressemblaient, à côté des siennes, aux mains de quelque esclave employée à des travaux pénibles.
Après cette description, vous ne serez pas surpris que le seuil de Plangon fût plus adoré qu’un autel de la grande déesse ; toutes les nuits des amants plaintifs venaient huiler les jambages de la porte et les degrés de marbre avec les essences et les parfums les plus précieux ; ce n’étaient que guirlandes et couronnes tressées de bandelettes, rouleaux de papyrus et tablettes de cire avec des distiques, des élégies et des épigrammes. Il fallait tous les matins déblayer la porte pour l’ouvrir, comme l’on fait aux régions de la Scythie, quand la neige tombée la nuit a obstrué le seuil des maisons.
Plangon, dans toute cette foule, prenait les plus riches et les plus beaux, les plus beaux de préférence. Un archonte durait huit jours, un grand pontife quinze jours ; il fallait être roi, satrape ou tyran pour aller jusqu’au bout du mois. Leur fortune bue, elle les faisait jeter dehors par les épaules, aussi dénués et mal en point que des philosophes cyniques ; car Plangon, nous avons oublié de le dire, n’était ni une noble et chaste matrone, ni une jeune vierge dansant la bibase aux fêtes de Diane, mais tout simplement une esclave affranchie exerçant le métier d’hétaire.
Ce qui vous étonne, mes beaux seigneurs athéniens, mes précieux satrapes à la barbe frisée, est une chose toute simple ; c'est que vous ennuyez Plangon qui vous amuse ; elle est lasse de vous donner de l'amour et de la joie pour de l'or ; elle perd trop au marché ; Plangon ne veut plus de vous. [...] Plangon n'est plus une courtisane, elle est amoureuse.
En 1834, Balzac imagine et commande une canne somptueuse à l'orfèvre parisien le Cointe.
La « pomme » en or, finement ciselée des armoiries des Balzac d'Entraigues, qui n'ont aucun lien avec l'écrivain, est ornée d'une constellation de turquoises, offertes par sa bien-aimée Mme Hanska.
Cette canne est excessive en tout, et très vite, elle fait sensation parmi journalistes et caricaturistes. C'est la signature excentrique de l'écrivain, la preuve visible et provocante de son énergie et de sa liberté, imposant sa prestance au milieu de la société des écrivains. Pour Charlotte Constant et Delphine de Girardin, amies De Balzac, la canne est investie d'un pouvoir magique…
Pour en savoir plus, rdv sur le site Les Essentiels de la BnF : https://c.bnf.fr/TRC
Crédits de la vidéo :
Direction éditoriale
Armelle Pasco, cheffe du service des Éditions multimédias, BnF
Direction scientifique
Jean-Didier Wagneur
Scénario, recherche iconographique et suivi de production
Sophie Guindon, chargée d'édition multimédia, BnF
Réalisation
Vagabondir
Enregistrement, musique et sound design
Mathias Bourre et Andrea Perugini, Opixido
Voix
Geert van Herwijnen
Crédits iconographiques
Collections de la BnF
© Bibliothèque nationale de France
Images extérieures :
Projet d'éventail : l'apothéose De Balzac
Grandville, dessinateur, entre 1835 et 1836
Maison de Balzac, BAL 1990.1
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
La canne De Balzac
Orfèvre le Cointe, 1834
Maison de Balzac, BAL 186
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Sortie des ouvrières de la maison Paquin, rue de la Paix
Béraud Jean (1849-1936)
Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1662
Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
La pâtisserie Gloppe, avenue des Champs-Elysées
Béraud Jean (1849-1936)
Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1733
Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
Balzac à la canne
Illustration pour Courtine, Balzac à table, Paris, Robert Laffont, 1976
Maison de Balzac, B2290
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac, croquis d'après nature
Théophile Gautier, 1830
Maison de Balzac, BAL 333
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Portrait-charge de Balzac
Jean Pierre Dantan, sculpteur, 1835
Maison de Balzac, BAL 972
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Honoré de Balzac
Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839
Maison de Balzac, BAL 252
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac en canne
Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839
Maison de Balzac, BAL 253
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Comtesse Charlotte von Hardenberg
Johann Heinrich Schroeder (Boris Wilnitsky)
Droits réservés
Delphine Gay (Portrait de Delphine de Girardin)
Louis Hersent, 1824
Musée de l'Histoire de France
© Palais de Versailles, RF 481
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