Assez perturbée par ce texte, à tel point que j'ai du mal à formuler ma critique : il alterne entre le sublime - la beauté de certaines formules, des descriptions de paysage, la philosophie du plaisir, et le naïf grandiloquent digne d'un manuel de développement personnel.
D'abord, j'ai été gênée, dès le début, par le fait qu'un poète refuse la poésie, refuse le pouvoir poétique, dans la mesure où le Narrateur demande de jeter son livre une fois lu. Et il le répète plusieurs fois dans "l'Envol", la dernière page ; cela suggère donc, en tout cas c'est comme cela que je l'ai compris, que la jouissance, le plaisir, ne peuvent venir de l'art et de l'esthétique. Il l'affirme, tout est sensation, sans intellectualisation. Si j'ai lu il y a quelques jours le même jour de formules chez
Proust, notamment dans le Contre
Sainte-Beuve,
Proust ne refuse pas l'art, au contraire, il explique qu'il faut ressentir l'émotion esthétique sans l'analyser. Ici, il n'y a même plus de livre, pas d'art - même si, paradoxalement, le Narrateur voyage à Florence, Rome, mentionne
Virgile...
Ensuite, si j'approuve le fait de trouver une forme de jouissance dans la satisfaction des sens, certaines formules peuvent faire sourire : mettre les pieds dans l'herbe, boire dans les ruisseaux et manger des fruits en sentant la légère brise... Oui, on dirait un coach en bien-être pour se reconnecter à la nature en vagabondant sans se soucier du lendemain ni du matériel... Comme si le Narrateur et son cercle étaient déconnectés de la réalité, du contexte social, économique et politique. Or, la domination sociale affleure - il y a des paysans, des ouvriers en arrière-plan, ceux qui doivent travailler pour vivre, et qui ne peuvent adopter cette philosophie. de même, la domination coloniale transparaît dans les descriptions de l'Algérie.
On pourrait croire aussi lire un guide de voyage new age, avec une liste de différents lieux, de jardins italiens au désert algérien. Je note d'ailleurs la 5ème partie qui tranche avec le reste, car le Narrateur décrit la Normandie en automne, la pluie, l'humidité et les pressoirs à cidre. C'est la partie que j'ai préférée, sûrement parce que le ton change, sûrement aussi parce que c'est ma région natale.
Les dernières pages, en écho aux premières, m'ont fait penser au "Bateau ivre" de Rimbaud : à la fin aussi, lassé de vagabonder, le Bateau aspire au calme apaisant. Et peut-être que, finalement, il faut se rappeler le début : c'est le livre d'un convalescent, qui rêve sans doute de retrouver des sensations, de voyager, de prendre le soleil...