Amphitryon 38 (
Giraudoux - 1929),
La machine infernale (
Cocteau - 1934),
La guerre de Troie n'aura pas lieu (
Giraudoux - 1935),
Electre (
Giraudoux- 1937),
Les Mouches (
Sartre - 1943),
Antigone (
Anouilh - 1944)... Les mythes antiques reprennent des couleurs, dans les années 30 et 40, et encore je n'ai cité ici que les plus importants, six chefs-d'oeuvre qu'on rêve de voir à nouveau interprétés sur les planches, ou sur un plateau de télévision.
Actualisation du mythe, modernisation de la tragédie antique, quoi de plus naturel, en somme ? Les tragiques grecs ont posé les fondements du théâtre occidental, et en plus ont puisé dans leur mythologie des thèmes éternels qui sont encore les ressorts dramatiques des pièces d'aujourd'hui : la vie, la mort, l'amour, la fatalité, l'infini imbroglio des relations humaines. Il n'est pas étonnant que des géants du théâtre comme
Giraudoux,
Cocteau,
Sartre ou
Anouilh prennent à leur compte ces joyaux antiques pour en faire des joyaux modernes.
C'était en 1ère, dans les années... ne cherchez pas, c'était au siècle dernier. En Textes Anciens on étudiait
Les Choéphores d'
Eschyle. Pour illustrer son propos, le prof (Albert si tu nous écoutes...) nous lisait en contrepoint
Electre de
Giraudoux. On pouvait saisir ainsi les emprunts ou au contraire les rejets que l'auteur de Siegfried avait faits concernant l'oeuvre de l'auteur de
l'Orestie (dont
Les Choéphores constitue la 2ème partie, mais je ne vous apprend rien). C'était bien sûr passionnant.
Au retour de la guerre de Troie,
Agamemnon a été assassiné par sa femme Clytemnestre et Egisthe, l'amant de cette dernière. Leur fille
Electre, qui hait sa mère sans savoir pourquoi, cherche à savoir la vérité (c'est qui l'assassin de papa ?) Son frère Oreste, écarté par les assassins au moment du crime, refait son apparition. La vérité va finir par éclater. Tel est le sujet de la pièce.
Comme l'
Antigone d'
Anouilh quelques années plus tard,
Electre est une fille entière habitée par une obsession : elle veut savoir (
Antigone, elle, ne voulait rien savoir). Et quand elle sait, elle veut se venger. La recherche de la vérité constitue l'ossature de la pièce : soupçons au début, puis certitudes après un drôle de rêve et surtout des révélations involontaires d'Agathe, la femme du président. La tragédie est constamment présente; Mais l'auteur, grâce à des petits traits d'humour, à des personnages décalés, à une vivacité de dialogue permanente, à des anachronismes réjouissants, apprivoise le drame pour mieux nous le faire sentir. La malédiction des Atrides finit par s'exercer.
Et pourtant, tout n'est pas noir et blanc, dans cette tragédie en noir et blanc comme le dallage noir et blanc de la piscine où
Agamemnon a été assassiné. J'aime bien le personnage du jardinier qui aurait bien aimé
Electre, malgré sa condition inférieure... J'aime aussi le personnage du mendiant qui joue ici le rôle du choeur, à la fois acteur et témoin.
C'est à lui que l'on doit les derniers mots de la pièce (peut-être les plus beaux) :
"- Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
- Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'aurore."