Ou le désespoir d'amour ... thème toujours d'actualité, me direz-vous ! D'accord sur ce point, mais pas raconté comme cela, pas avec ces mots là, pas avec ces élans lyriques exacerbés, pas avec ces trémolos dans la voix, pas avec tout ce "trop" qui rend ce livre "écoeurant" de romantisme ! En tout cas, pas comme cela... aujourd'hui ! Mais ...
Je revois mon prof d'allemand, la larme à l'oeil, nous lisant en allemand des passages de ce premier chef d'oeuvre du jeune
Goethe, mais la larme à l'oeil de rire, hein, et non d'émotion ! car, pour lui, imaginer ce fringant
Goethe écrivant cela était à se tordre.
Évidemment, lorsqu'on visualise l'écrivain, abandonnant à son triste sort la douce Frédérique Brion, son premier amour, séduite et abandonnée, après lui avoir concocté des vers enflammés ! il y a vraiment de quoi rire.
Vue sous cet angle, la chose ne manque pas de piquant. Vous en conviendrez aisément, je présume !
Mais ...
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que ce bougre de
Goethe a un sacré souffle ! et que sa description enflammée de la passion naissante a tout du chef d'oeuvre. On peut difficilement faire mieux, sauf peut-être Racine dans Phèdre, qui, en quatre vers concis, dépeint les ravages du délire d'amour :
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.
Et là, il est vrai qu'on atteint le niveau de l'indépassable chef d'oeuvre.
Mais
Goethe a l'art de mettre en évidence le désir d'absolu que chaque être humain porte en lui et que
Werther déploie jusqu'à l'incandescence.
Si, chez
Goethe, la chose prend un peu plus de temps que chez Racine, pour autant, elle n'en est pas moins ardente et dévastatrice, au point d'amener le jeune
Werther (comme Phèdre) à la mort !
Et là, le talent de
Goethe est véritablement éclatant.
Quelle maestria dans l'art d'orchestrer un départ pour l'au-delà !
Au lyrisme succède la sécheresse, mais il ne s'agit pas là de la sécheresse de l'écrivaillon d'aujourd'hui, sans envergure, incapable d'aligner plus de trois mots ! Non, ce qui éclate à la fin de l'ouvrage, dans un style totalement novateur pour l'époque, en phrases courtes, hachées, percutantes, c'est l'urgence de l'action, cette action définitive, qui emporte
Werther vers l'au delà, là où se consume l'esprit, là où le désir s'achève, là où intervient enfin le repos de l'âme.