Vous vous souvenez peut-être de cette jeune femme noire, spectaculaire avec son manteau jaune et son serre-tête rouge, déclamant un poème puissant lors de l'investiture de Biden.
Souvent la poésie ce sont de petits livres, qui paraissent écrits avec minutie et difficulté ; ici,
Amanda Gorman semble écrire comme elle respire (même si, bien entendu, c'est difficile pour elle aussi.)
Fondamentalement : respirer.
Comment a-t-on respiré sous les masques pendant la pandémie ?
Comment l'esprit a-t-il respiré, loin de la culture et des amitiés ?
Au début cela semble un peu des plaintes de jeune femme privée de sorties et de ses proches, contrainte à l'enfermement et à la solitude. On est triste pour elle, mais… (Moi qui ai vécu le confinement comme une parenthèse enchantée, j'ai eu du mal à m'identifier.)
Puis le propos s'élargit :
"Les funérailles sans les familles.
Les mariages en souffrance.
Les naissances en isolation.
Que plus jamais personne
Ne doive commencer, aimer, ou finir, seul."
La pandémie est mise en relation avec des documents historiques sur la grippe espagnole de 1918. Elle est décrite par analogie avec les animaux en cage, avec le récit du naufrage du bateau heurté par un cachalot (à la source de Moby Dick), dont les marins avaient survécu de cannibalisme.
Puis le propos s'élargit encore : parce qu'
Amanda Gorman appartient à une population qui dans l'Histoire a été confinée, enfermée, privée de droits et de liberté.
"L'année dernière nous sommes entrés dans un ascenseur.
Nous avons poliment demandé à la dame blanche derrière nous
Si elle voulait bien prendre le suivant
Afin de préserver la distanciation sociale.
Son visage s'embrasa comme une croix dans la nuit.
VOUS VOUS MOQUEZ DE MOI ? hurla-t-elle."
Les formes sont très variées, pleines d'invention. C'est sous forme de scénario de film qu'elle retrace une chronologie, incluant le COVID,
Joe Biden, la mort de George Floyd et de Breonna Taylor, les incendies… Inventive aussi est la mise en page : phylactères, calligrammes, effacements entre les lettres, jeu du pendu, et même du Morse (ce qui rend la lecture un peu fastidieuse par endroits.)
Harmonieusement traduit par
Santiago Artozqui.
Challenge Poévie