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sur 981 notes

Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Comme il est difficile, parfois, d'avoir un avis et un seul concernant une oeuvre. Mais il serait tout aussi ridicule d'avoir ¾ d'avis sur cette partie-ci et ¼ sur celle-là quand l'ouvrage est clairement identifiable comme un tout. Ô magie et difficulté de la nuance ! Si aisée en théorie, si difficile en pratique.

Le Rivage Des Syrtes de Julien Gracq figurait depuis longtemps sur mon road book. Il était écrit que nous nous rencontrerions tôt ou tard à un carrefour, lui et moi. Je ne vous cacherai pas que j'avais placé en lui quelques attentes et que les belles et généreuses critiques que j'avais pu en lire y avaient passablement contribué.

Eh bien…

Pendant trois bons quarts du roman, je m'y suis ennuyée, et pas qu'un peu, oh oui, particulièrement ennuyée ! J'avais pourtant l'espoir au ventre à chaque nouveau chapitre — La Littérature À L'Estomac, pourrait-on dire — j'aurais souhaité m'enflammer ; j'aurais voulu vous en parler avec palpitation, mais de ceci : point.

Grosse déception ou plutôt, pour être plus précise avec mon ressenti, grosse incompréhension. Vous savez, un peu comme à ces soirées où l'on rencontre des gens dont on a longuement entendu parler, dont on connaît par coeur les mérites, et avec qui, pourtant, l'on n'a rien à se dire. Eh bien c'est un peu ça pendant les 200 premières pages ; le Rivage Des Syrtes et moi, on n'a rien à se dire. Pourquoi ?

Parce que le Rivage Des Syrtes m'a fait faire le Virage Des Trystes, le virage de celles qui avaient commencé enthousiastes et qui peu à peu deviennent mornes et lasses, hélas. Une vulgaire resucée du Désert des Tartares de Dino Buzzati, en moins bien partout. Buzzati avait placé son désert au nord d'une vague Italie, dans les montagnes ; Gracq, avec une originalité exceptionnelle place lui son machin au sud, au bord de la mer. Quelle imagination !

Pour le reste, chlluuuup ! repompage intégral mais… en moins bon, moins talentueux, moins maîtrisé, moins bien senti. Même s'il n'est pas le premier à le faire, au moins Choderlos de Laclos ou Corneille avaient-il réussi à faire mieux que le modèle en plagiant Richardson et Guillén de Castro respectivement.

Car ici, sur les trois premiers quarts du bouquin, le moment qui m'a semblé le plus divertissant, c'est certainement quand vous vous amusez à découper les pages que l'éditeur Corti ne juge pas bon de désolidariser dans ses livres. Mais passé ce déCORTIcage de l'ouvrage, je vous conseille d'avoir sur vous des allumettes pour étayer vos paupières et les maintenir ouvertes car ce n'est pas cette lecture qui va vous y aider, bien au contraire.

(À ce titre, il faudrait d'ailleurs sérieusement songer à inscrire ce livre sur la liste des remèdes faisant l'objet d'un remboursement sécu car il est régulièrement prescrit par les médecins pour soigner les incurables insomnies et, j'en atteste, il m'a permis de bien m'endormir pendant plus de deux mois malgré un nombre de pages que l'on peut qualifier de raisonnable et aucun effet secondaire constaté d'accoutumance. Donc, à vous, ministère de la santé et l'ordre national des médecins de voir ce que vous pouvez faire mais n'oubliez pas d'exiger l'inscription en quatrième de couverture du petit pictogramme spécifiant les risques d'endormissement liés à la prise de ce principe actif.)

Blague à part. Pourquoi ce livre me tombe-t-il des mains au sens propre ? Une écriture très sophistiquée, très travaillée, mais également très ampoulée et parfois absconse. Je ne compte plus les fois où je suis retournée voir le début de la phrase à rallonges pour en mieux saisir la fin, si tant est que j'en ai réellement saisi la fin et sans garantie non plus quant au milieu. C'était tellement stylistiquement élégant et abouti chez Buzzati !

Julien Gracq est un écrivain peintre, pas du tout un écrivain musicien. C'est de la littérature en 2D, vous ne pénétrez jamais dedans. Pourtant, il y a du style, c'est indéniable, il y a des qualités d'écriture, mais cela m'a semblé totalement désincarné, totalement hermétique, totalement sans vibration, totalement hors moi.

— Mais, où est-elle donc cette nuance dont tu nous parles si fort au départ ?
— J'y viens, j'y viens. Juste le temps pour moi de préciser que comme je suis têtue et batailleuse, au lieu d'abandonner ma lecture comme l'aurait fait n'importe quelle personne sensée et saine d'esprit en regard du ressenti sur les trois premiers quarts, j'ai poussé la lutte au maximum, je me suis accrochée bec et ongles pour aller au bout coûte que coûte.

Bien souvent, cette attitude est bête et infructueuse ; or ici, pour une fois, je ne l'ai pas regrettée. Je n'irai pas jusqu'à prétexter que cela a remboursé toutes mes longues heures d'ennui et de lecture végétative mais j'y ai trouvé un authentique intérêt. le dernier quart de l'ouvrage est construit et écrit exactement comme tout ce qui précède ; il n'y a donc pas de changement fondamental page à page, mais un changement d'envergure qualitative.

Je m'explique : si vous observez un champ qui vient d'être labouré, l'intérêt est moindre. Si vous y fixez votre attention et patientez résolument jusqu'à voir poindre les minces plantules après germination, là encore l'intérêt est limité. Si vous poursuivez attentivement l'examen lorsque chaque pied de colza débutera sa lente ascension vers les cieux, il est encore probable que vous vous y ennuierez. Mais il existe un moment magique, celui où tout le champ de colza est fleuri et projette un jaune phosphorescent qui fait des merveilles s'il a le bon goût d'être associé à un ciel d'orage. Eh bien, c'est un peu ça le Rivage Des Syrtes : il faut patienter longtemps et s'accrocher dru pour jouir d'un petit moment de grâce.

En fait, il n'y a quasiment pas de mouvement dans ce roman, mais ce n'est pas du tout ce qui me dérange en soi (bien entendu, si vous êtes fan des polars qui remuent bien, je vous déconseille cette lecture). On y voit un personnage, Aldo, qui est aussi notre narrateur. Il est jeune et il suffoque à l'étroit entre les murs de sa ville d'Orsenna.

L'auteur crée une chimère d'État ou de cité-état mais on y reconnaît plus ou moins Venise pour Orsenna et la longue péninsule dont l'extrémité sud semble si éloignée de sa capitale. Cette extrémité sud, ce sont les Syrtes, présentés comme de vastes platitudes semi désertiques, à mi chemin entre les steppes et les marécages infréquentables, manière de Camargue au Kazakhstan. (Dans les faits, les Syrtes, évoqués par Virgile, existent et correspondent à la zone située entre le Golfe de Gabès en Tunisie et le Golfe de Syrte en Libye.)

Depuis des temps immémoriaux, Orsenna est en guerre avec le Farghestan situé de l'autre côté de la mer des Syrtes, pays tout aussi énigmatique mais qui pourrait avoir quelques ressemblances avec la Libye ou la Palestine. La guerre active est abolie depuis des lustres, c'est juste que les deux puissances n'ont pas signé de paix, si bien qu'il faut toujours continuer à faire semblant de surveiller les côtes alors qu'il y a des siècles et des siècles qu'on n'a pas vu une escarmouche.

C'est à ce poste « avancé » qu'est envoyé Aldo, fils d'un haut dignitaire d'Orsenna, pour lui faire passer sa fougue et son désir de mouvement. Il y fait la rencontre d'un vieux capitaine, Marino, qui assure depuis des années la direction de la forteresse située en bord de mer. Rencontre de la sagesse et de la fougue, de l'inconscience et de l'immobilisme, ces deux personnages qui se respectent et s'estiment symbolisent pourtant deux axes majeurs de la pensée humaine.

Et c'est là que le roman de Julien Gracq prend tout son intérêt à mes yeux. Sans qu'il s'y passe jamais rien, seulement par le sourd travail de la rumeur, une sorte d'angoisse latente, indéfinie, sournoise — probablement née de l'ennui et du désir d'action subséquent —, on va voir s'opérer, peu à peu, des changements de paradigme.

Le thème de ce roman me semble être, tout bien considéré, l'édification d'une construction mentale collective, née de rien, sauf peut-être de quelques obscurs qui tirent des ficelles en coulisse, mais dont les conséquences sont majeures.

Dans la petite ville de Maremma qui jouxte la forteresse des Syrtes, tout d'abord, Aldo apprend qu'il y aurait des bruits. Quels bruits ? Nul ne sait le dire. Mais cela concerne le Farghestan. Ce faisant, une manière de fébrilité, d'excitation envahit progressivement tout et chacun. La rumeur court et s'enfle tout à la fois. En retour, elle appelle des réactions de la part des autorités d'Orsenna.

De sorte qu'Aldo, en charge un moment du commandement de la forteresse tandis que Marino a été convoqué à la capitale, entreprend une expédition de reconnaissance — de curiosité serait le terme exact — dans les eaux territoriales du Farghestan. Je n'en dis pas davantage mais cette thématique dernière me semble réellement très intéressante.

Comment forge-t-on l'opinion publique pour lui laisser entendre l'inévitabilité d'une guerre ? Marino me paraît symboliser la paix et Aldo, l'aiguillon de la guerre. Aldo est lui-même tout à fait manipulé, sans qu'il en soit conscient, car ce n'est pas, par nature, un farouche belliqueux.

Bref, exactement à l'instar du cinéaste Wong Kar-wai qui a signé un très beau film sur l'étrange alchimie qui conduit ou non à l'amour sous le titre In The Mood For Love, on peut considérer que Julien Gracq a écrit une manière de In The Mood For War, que je trouve particulièrement d'actualité par les temps qui courent. Bien entendu, ce n'est que mon avis, c'est-à-dire vraiment pas grand-chose de ce côté-ci de la mer des Syrtes.
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L'effacement de la vie privée de Julien Gracq (1910-2007) contraste avec la consécration que ses oeuvres lui valurent, une particularité marquée par son refus d'un prix Goncourt qui lui fut attribué en 1951 pour le Rivage des Syrtes. Je suis aujourd'hui convaincu que la lecture de cet écrivain – et de ce livre en particulier – est réservée aux littéraires les plus éclairés. Je m'en doutais un peu avant de m'y lancer, mais je n'avais pu résister à ma curiosité sans limites. Peut-être m'étais-je aussi laissé aller à une forme de challenge personnel irréfléchi, assez proche, finalement, de l'état d'esprit d'Aldo, le personnage principal du roman, lors de son geste crucial.

Celui-ci, un jeune homme issu d'une grande famille de la Seigneurie d'Orsenna – une cité-Etat à l'ancienne – est envoyé comme observateur dans une forteresse éloignée de la capitale, au bord de la mer des Syrtes. Sur la rive opposée, invisible, l'Etat ennemi héréditaire, le Farghestan. Officiellement, Orsenna et Farghestan sont en guerre, même si cela fait trois siècles qu'aucun acte de belligérance n'a plus été signalé entre eux. Mais la paix n'a jamais été signée, les relations diplomatiques sont au point mort et les populations sont dans l'expectative. Comme sous une chape de léthargie collective.

Cette torpeur nationale prendra fin après l'initiative inattendue d'Aldo, un acte qu'il commet aux commandes d'un petit navire armé, sous le coup de la curiosité, de l'imprudence et d'une envie immature de transgression. Aldo subit aussi l'influence indirecte et maligne de Vanessa, une belle jeune femme issue d'une caste noble, fameuse à Orsenna depuis plusieurs générations pour ses frasques et ses provocations. A la suite de cet acte qui ne reste pas sans réponse, insensiblement, inexorablement, de mauvais instincts se réveillent, de mauvais esprits s'activent, les bonnes consciences se révélant fatalistes. On imagine qu'il en est de même sur l'autre rive, au Farghestan. Personne ne prêche pour un retour en arrière, personne n'appelle au calme. Des provocateurs en rajoutent. Les rumeurs fondées et non fondées circulent et sapent la confiance. La guerre aura lieu.

Le sens profond de l'ouvrage est amené subtilement. A la lecture, la tension augmente insensiblement, enveloppée dans une écriture d'une richesse d'expression incroyable, comportant toutefois une petite tendance à l'emphase. Une sorte d'hermétisme littéraire qui traduit sans doute un certain dédain du lecteur lambda. L'exceptionnel talent de plume de l'auteur révèle un manque de simplicité, peut-être même un manque d'humanité. le lecteur moyen que je suis a eu beaucoup de mal avec le lyrisme froid et statique des cent cinquante premières pages, très difficiles d'accès.

Je ne peux que reprendre textuellement une phrase que l'auteur met dans la bouche d'Aldo, lorsqu'il reçoit une lettre d'instruction en provenance de sa hiérarchie : « Pris dans leur isolement, tous les mots de ce texte m'étaient clairement compréhensibles, et pourtant la signification de l'ensemble me demeurait brouillée ». C'est ce que j'ai souvent ressenti à la lecture de certaines phrases incroyablement longues et complexes, que je m'efforçais de reprendre à leur début dès que j'en perdais le fil, m'y remettant même à plusieurs reprises avant de finir par… m'assoupir.

J'ai cherché de l'aide dans les ouvrages de commentaires patentés. Ce fut encore pire, je suis tombé sur des charabias qui ne sont pas à ma portée.

La fiction prend place en un temps et en un lieu imaginaires, dont les structures sont puisées dans l'Histoire et la Mythologie. Elle est aussi inspirée par l'inertie pusillanime et suicidaire montrée par les démocraties lors de la montée des nationalismes guerriers dans les années trente, puis après la guerre, lors des premiers signes de la guerre froide. On pourrait voir les mêmes mécanismes insidieux face aux propos actuels de chefs d'Etat autoritaires forts en gueule.

Dans nos antagonismes franco-français, on retrouve le travail de sape des rumeurs, de ce qu'on n'appelait pas fake news du temps de Julien Gracq, et les stratégies sournoises de certains politiques en mal de pouvoir, soufflant sur les braises dans le but de tirer leur épingle du jeu.

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Je ne regrette pas d'avoir lu ce livre mais je reste partagé sur ce que je dois en penser. Et c'est peu de le dire car j'ai tout à la fois aimé et détesté. Est-ce la faute de l'auteur ou du lecteur ?
Un pays imaginaire, une cité impériale languissante qui vit dans le souvenir de son glorieux passé. À la frontière sud, une mer qui sépare l'empire des ennemis barbares que l'on n'a plus rencontrés depuis la suspension des guerres trois siècles auparavant. Sur le rivage, à deux jours de navigation de l'ennemi, des ruines, une forteresse antique et une garnison figée dans ses rituels militaires qui surveille sans plus savoir pourquoi une frontière oubliée. C'est dans cette atmosphère de fin de règne savamment entretenue que l'intrigue se développe lentement. de jeunes gens qui voudraient croire en leur avenir tentent de secouer l'ancien monde au risque de réveiller les démons assoupis.
Autant le dire tout de suite, il ne se passe presque rien dans ce roman, ce qui n'est pas pour me déplaire. Faut-il voir dans ce récit énigmatique un écho de la débâcle française face aux troupes hitlériennes ou bien la guerre froide avec une Union soviétique insaisissable ? Ce qui est certain, c'est que le rivage des Syrtes utilise les mêmes ressorts que le désert des Tartares : une forteresse immobile qui monte la garde devant une étendue désertique, des événements minuscules auxquels le désoeuvrement prête une dimension fantasmatique, la vie qui passe dans l'attente de ce qui peut-être n'adviendra jamais. Mais là où Dino Buzzati décrit la fuite du temps dans un langage sublime de dépouillement, Julien Gracq déploie une luxuriance de style rarement atteinte en littérature.
L'écriture de Gracq et son vocabulaire sophistiqué sont fascinants. On se laisse porter par le rythme de ses phrases parfois si longues qu'on s'y perd. le halo poétique qu'elles suscitent en nous fait beaucoup pour maintenir le mystère des personnages et des lieux : « le chant triste des oiseaux des Syrtes montait avec le jour, ouaté et monotone déjà comme chacune de leurs journées, s'égrenait comme du sable sur ces espaces sans bornes ; le calme des plaines grises, toujours moites de brume au matin, ressemblait à ces aubes d'été languides qui se traînent comme assommées sous une fin d'orage. Je me retournais parfois pour apercevoir derrière moi la forteresse, d'une livide couleur d'os sous son drapé de brouillard ; devant moi, dans le lointain, les reflets de mercure de la lagune venaient mordre sur l'horizon une mince ligne noire et dentelée, et dans cette matinée déjà pesante, il me semblait sentir ces deux pôles, autour desquels maintenant oscillait ma vie, se charger sous leur voile de brume d'une subtile électricité. »
Seulement voilà, Gracq en fait trop, beaucoup trop. Il écrit pour écrire et la forme déborde sur le fond, on ne parvient jamais à oublier le travail de l'auteur derrière le récit. On ne compte plus les comparaisons affectées qui encombrent le texte en multipliant les ‘comme', ‘pareils à' et ‘on eût dit': « elle s'ébrouait dans une aise sans bornes, comme ces jeux silencieux qu'on surprend la nuit dans les clairières », « Vanessa sous ma main reposait près de moi comme l'accroissement d'une nuit plus lourde et plus close », « elle ressemblait à une reine au pied d'un échafaud », « l'expresssion (...) de l'animal apeuré qui couve au fond de sa nuit chaude l'annonce obscure d'un typhon ou d'un raz de marée », « cette souffrance stupéfiante des bêtes muettes qui semble avoir troué, pour venir jusqu'à nous, les espaces d'un autre monde ». Orgie d'adjectifs, débauche de métaphores et d'hyperboles, l'écriture paraît aussi surchargée qu'une église baroque où tout se voit sacrifié à l'ornementation. Même les personnages, les situations, le discours politique en deviennent factices, disparaissant sous le fard d'un esthétisme post-romantique qui nuit à la crédibilité de l'intrigue. Cela confère au roman cet aspect irréel, hiératique, qui ne peut que plaire à certains et faire horreur à d'autres. Il semble que je fasse partie des deux.
Chez Gracq, chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir… on a l'impression d'entendre du Baudelaire, mais la poésie et le roman sont deux langages différents, ce qui est permis à l'une ne l'est pas à l'autre. le roman a besoin de vie. La poésie versifiée elle-même n'est plus en usage et le style incandescent de la prose de Gracq l'aura bientôt rejointe au pays des langues mortes. le charme du rivage des Syrtes tient pourtant à la beauté académique de cette langue qui restera pour quelque temps encore la source inépuisable d'un français idéal au profit d'enseignants du secondaire en mal de dictée.
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Ce livre, je ne sais pourquoi, faisait partie de mes lectures mythiques. Un livre mystérieux mais peut-être difficile.
Et puis un jour, dans une brocante, il m'interpella dans son édition originale et déjà fatiguée de 1951.

J'ai tout de suite ressenti un monde cotonneux dans lequel le temps ne s'écoule pas communément, comme étouffé par une brume omniprésente voilant une lumière irréelle.
L'écriture est belle, riche, profonde mais d'une lecture exigeante.
Les descriptions sont longues, touffues, très imagées.
Rarement des mots ont su évoquer en moi des paysages si réalistes.
Quelle magie de Julien Gracq m'a permis de parcourir, aux côtés d'Aldo, les rues ruinées de Sagra, les palais délaissés ou encore le ville de Maremma, à l'image d'une Venise à la grandeur liquide perdue dont seuls les reflets de lumière des canaux dorent les murs ?
Les dialogues, peu nombreux, sont vivants.

Hélas, malgré la beauté des mots, rapidement le texte m'est devenu lourd, redondant, abscons.
A la fin, il m'était insupportable. Trop, c'était trop que ce rabâchage des mêmes descriptions, des mêmes suggestions.
Oui, j'avais bien compris que la manipulation d'un être ou celle d'un peuple peuvent conduire à des désastres, qu'il n'est pire modelage des esprits que celui provoqué par des allusions et des non-dits insidieux, que l'oisiveté est mère de tous les vices.

Pourquoi faire peser cette chape de plomb sur les épaules du lecteur ?
J'avoue avoir dû lire en diagonale les dernières pages pour en venir à bout, j'avais toujours l'espoir que quelque chose d'imprévisible arriverait à la fin.

Mais non, rien que la triste nature humaine.

Quel dommage d'avoir gâché cette écriture magistrale par ce moulin lancinant et usant.

Arrivé à la fin de ma lecture, mon vieux livre était, lui aussi, au bout du rouleau ; ses cahiers se sont dé-reliés et déchirés. rappel du temps qui passe pour les sociétés humaines, les auteurs, les livres et les lecteurs.
Relieur amateur, en ouvrant le livre précieux j'avais projeté de lui donner une seconde jeunesse, mais je crois que je n'en trouverai jamais le courage…

Un roman éprouvant.
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Faut-il vous le présenter ? le rivage des Syrtes de Julien Gracq a été publié en 1951, théoriquement primé au Goncourt, l'auteur en a refusé le prix. le 37ème tirage et 350ème mille exemplaire des éditions José Corti que je tiens entre mes mains ne propose pas de quatrième de couverture. Je n'en connaissais pas du tout l'histoire et m'y suis plongée sans filet. Aldo, notre fougueux protagoniste s'exprime à la première personne tout au long du récit. Issu d'une des plus grandes familles du royaume d'Orsenna, il part pour Maremma, à la suite d'une mésaventure amoureuse, sur la côte frontalière du pays afin d'y faire ses armes – au propre comme au figuré. le pays est en guerre depuis 300 ans avec ses voisins d'outre-mer, les Syrtes, mais le statu quo s'étire dans le temps et le calme plat règne.

Ce chef-d'oeuvre m'est finalement passé au-dessus de la tête ! Tout semblait réuni pour qu'il me plaise : solitude, attente, amour, questions existentielles, noble caractère des personnages, une écriture hors du commun… Tout au long de cette lecture, pourtant, mon esprit n'a fait que fuir, divaguer, se disperser et s'éloigner autant que possible de phrases trop alambiquées pour le retenir. L'amour des belles lettres même n'aura pas suffit pour que je suive Aldo dans ses pérégrinations d'Orsenna à Maremma du Fargestan. Frustration de n'avoir pas su être concernée par le rivage des Syrtes. Déception d'autant plus grande que ce livre m'avait été offert… (pardon, pardon !).

A laisser mûrir peut-être ?
Lien : https://synchroniciteetseren..
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J'ai longtemps résisté, j'ai cru céder, et finalement j'ai continué à résister.
À quoi? Au style de Julien Gracq dans le Rivage des Syrtes.

Rien à faire. Je pensais pouvoir entrer dans ce rythme mais cette écriture est décidément trop maniérée. Cette façon de tourner autour des choses que l'on dit, de les envelopper de mystère, me paraît inutile, inadéquate aux choses. Et cette avalanche sans fin de comparaisons: "on eût dit que", "comme si", "semblable à", ... trois fois, cinq fois, dix fois par page. Alors les images sont parfois fort belles, mais leur accumulation rend le procédé assommant et la lecture pesante.
Et pourtant si j'ai failli céder c'est que de cet ensemble émane un charme certain et des images fortes: l'évocation de rivages désolés et brumeux, la nuit poisseuse ou claire, la végétation rabougrie, l'atmosphère délétère des villes.
La réflexion qui traverse le livre n'est pas sans intérêt non plus: d'où viennent nos actions? en sommes-nous totalement responsables? quelle est la part des contraintes ou des nécessités du temps?
Et l'approche du désastre n'est malheureusement pas sans résonance avec notre époque.

Malgré cela je referme ce livre avec un sentiment ambigu, et je laisserai sûrement passer du temps avant de revenir à Gracq.
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Lire aujourd'hui le Rivage des Syrtes c'est faire une véritable expérience Littéraire .
Ici la phrase est incarnée, soupesée , sculptée et semble flotter comme en apesanteur à l'instar du récit ou l'absence de repère historique et temporel immerge le lecteur comme dans un songe.
On se désintéresse pourtant assez vite de ces personnages à la psychologie un peu amidonnée et souvent limitée à leurs expressions corporelles. Reste l'impression d'étrangeté matinée d'ennui. Unique.
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C'est le roman d'attente qu'on nous sert au menu en littérature comparée ce semestre : après les "Falaises de marbre" de Jünger dont ma critique n'aura cessé de chanter les louanges, l'austère "Désert des Tartares" de Buzzati, pas mon style mais très brillant à sa manière, nous découvrons désormais en petits écoliers émoustillés "Le rivage des Syrtes" de Gracq. On est toujours dans cette zone floue entre littérature blanche et Imaginaire, cette fois tout comme chez Buzzati plus sur du fantastique que de la fantasy, étant donné qu'une force obscure semble pousser les protagonistes à se conduire comme des gros tagazous.
Parce que oui, derrière la jolie couverture blanche et l'appel du voyage oriental que ressent le héros, tout est sombre, noir et vénéneux, dans un arrière-pays paumé et brumeux où un certain Aldo doit guetter l'arrivée des fourbes farghiens avec lesquels le pays est techniquement en guerre. Pas étonnant donc que tout le monde se mette à hurler au plagiat de Buzzati, mais quand on s'y penche un peu plus, on trouve davantage de ressemblances avec Jünger, dont Gracq avait adoré le livre : des ordres secrets qu'on connaît mal, l'impression d'une menace imminente, un pays glorieux sombrant peu à peu dans la décadence... L'ajout du capitaine Marino, faussement bon bougre et essayant de mettre sous le tapis les problèmes qui obsèdent Aldo et son envie de visiter le Farghestan, donne au tout un cachet "Cités obscures".
Le bémol, c'est que Gracq a aussi lu Proust, et ça se sent : si certains passages trouvent la grâce et comprennent toujours la tortueuse psychologie humaine de façon impeccable, les phrases s'étirent, et se font d'autant plus sentir qu'on est dans un récit où rien ne doit se passer avant les derniers chapitres. Et 300 pages à décrire ses états d'âme dans un pays gouverné par la sinistrose, c'est LONG. Même la plume fine et subtile ne change rien à cette attente qui ne semble plus seulement démesurée, mais aussi dans un cadre où tout est toxique : l'attirance sexuelle malsaine de Vanessa, les paysages mornes et médiocres, les personnages cachant presque tous des doubles jeux... Sans être un mauvais roman, on en ressort avec une certaine indigestion : tout est pessimiste et sans échappatoire, et ce sans même qu'un peu d'humour ou d'illusion d'espoir nous aide à passer la pilule ; tout au plus il y a cette escapade en haute mer qui fera se précipiter les évènements. "Le rivage des Syrtes" est une oeuvre intelligente, lucide et douce-amère ; mais elle reste pour moi avant tout l'ombre de la magie de Jünger.
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Un livre étrange dont je vais avoir du mal à parler.



J'avoue ne pas trop savoir quoi penser de cet ouvrage que je vois cité un peu partout dans divers ouvrages traitant du fantastique.



De peur de me faire lyncher, je dois bien dire que l'histoire m'a un peu beaucoup ennuyé. J'ai eu du mal avec « l'intrigue », car au final, il ne se passe pas grand-chose. On suit un jeune homme qui se retrouve nommé dans un coin perdu de son territoire, les Syrtes. de l'autre côté de ces Syrtes, le Fagherstan, l'ennemi intime, avec qui une « paix » règne.



Cedi dit, j'ai eu l'impression que c'est dans ce « pas grand-chose » que se cachait toute la force de ce livre. L'auteur passe beaucoup de temps à évoquer les ambiances, une sorte de sentiment sous-jacent, des sensations… comme si tout résidait dans le « non-dit ».

Par moment, je me disais : « mais ce n'est pas possible… si je gratte les lignes et les mots de cette page, je vais trouver un autre message dessus, caché ». Une sensation de lecture étrange que j'ai du mal à exprimer. Et c'est pour cette raison que je suis allée jusqu'à la fin de l'ouvrage (contrairement à l'une de mes dernières lectures que je n'ai pas pu terminer).



Que dire de plus ? Je me sens un peu perdu pour parler de ce livre, car j'ai l'impression de ne pas avoir « les connaissances » ou les « capacités » pour en parler avec justesse (et si possible avec intelligence). La lecture fut assez étrange pour moi et comme vous l'aurez compris je peine à évoquer mon ressenti sur cet ouvrage. Tout éclairage serait pour moi le bienvenu.

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Le roman " le Rivage des Syrtes" se situe à une époque incertaine, dans un lieu indéterminé et clos. La mer et les terres laguneuses circonscrivent les frontières de la seigneurie d'Orsenna. Rapidement le lecteur comprend que des siècles d'immobilisme sapent la suprématie de cette puissance. Elle est en guerre passive depuis 300 ans avec une autre puissance énigmatique, le Farghestan, dont on ne sait pas grand chose. J'ai songé au lent déclin de la République de Venise. Fils d'une illustre famille de patriciens d'Orsenna Aldo est affecté à une fonction d'observateur dans une forteresse militaire d'une province qui fait face au Farghestan. Il se lie d'amitié avec le capitaine Marino tombé dans la nasse langoureuse de la forteresse qu'il dirige. L'isolement, l'environnement désertique, une temporalité flasque font songer au roman de Dino Buzatti "le désert des Tartares". Pourtant à proximité la ville de Maremma et la présence de Vanessa vont conduire Aldo à sortir de l'existence monastique adoptée au début de son cantonnement. Ses initiatives transgressives vont précipiter la perte d'Orsenna.

"Le Rivage des Syrtes" hisse le lecteur dans les sommets de la littérature. La force évocatrice de Julien Gracq est puissante et rappelle que toute civilisation et toute organisation humaine, après une apogée, connaît un basculement souvent imperceptible vers le déclin et la disparition. Toutefois j'ai trouvé la lecture de l'oeuvre exigeante. le style, parfois hermétique, m'a rendu difficile la compréhension de certains passages. Son rythme poétique est à mon sens trop souvent ralenti par des descriptions surabondantes. Certaines phrases élégantes et soignées sont trop longues pour ma vitesse de lecture !
Lien : http://alain.leroux28@sfr.fr
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