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EAN : 9782020206044
283 pages
Seuil (08/03/1999)
3.21/5   12 notes
Résumé :
Les Anges et les Faucons. Il a vingt-trois ans et vient achever ses études à Paris. Il lui faudra bientôt passer de l'autre côté, chez les adultes, et le désir autant que la peur d'entrer dans la vie l'obsèdent.
Marguerite, sa logeuse manchote, se dresse au seuil de sa destinée : le jeune homme sent qu'une partie serrée va se jouer entre eux. Car Marguerite, qui a connu tant de malheurs, balance entre une vitalité tapageuse et une curiosité, presque une avidi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Grainville Patrick (1947-) – "Les anges et les faucons " – Seuil/Points, 2019 (ISBN 978-2-7578-8118-7) – cop. 1994

Grosse déception. A plusieurs titres, hélas.

D'abord parce que la réédition que je viens de lire est sortie en mai 2019, soit quelques semaines après l'incendie du 15 avril 2019 : l'éditeur commet une quatrième de couverture racoleuse affirmant rien moins que "Notre-Dame rayonne au coeur de ce roman", ce qui est tout de même fort exagéré, mais je me suis laissé piéger.
En effet, ayant beaucoup apprécié "L'atelier du peintre" (publié en 1988 – cf recension), j'ai supposé que l'auteur parviendrait dans ce roman à faire vivre la cathédrale comme il avait su incarner l'activité d'un peintre. Tel n'est hélas pas le cas ici : la cathédrale est très loin d'occuper la place centrale dans ce récit. Par ailleurs autant le peintre est saisi dans son activité même dans le précédent roman, autant ici le "héros" ne peut que se limiter à visiter le bâtiment, sans rien y créer. Et les fantasmagories qu'il élabore (dans un style littéraire surchauffé, que certains pourraient trouver quelque peu ampoulé) face aux voûtes, arcs boutant, statues et graffitis etc, s'avèrent finalement très communes : toute admiratrice et tout admirateur se livrant à la découverte des grandes cathédrales connaît ces rêves et délires par coeur.
Tiens, j'en profite pour évoquer au passage la remarquable série d'ouvrages publiée par les éditions de la Nuée Bleue sous l'intitulé "la Grâce d'une cathédrale" (cf recensions), et si vous voulez vraiment vous régaler d'un roman tissé dans les méandres des bâtiments religieux (de style roman, certes), lisez donc "Le pape des escargots" d'Henri Vincenot...

Ensuite parce l'auteur cède ici à la facilité consistant à ne pas trier, à intégrer à parts égales un grand nombre d'intrigues : l'hypothétique rejeton d'Egon Schiele et son tableau secret, la logeuse Margot (son infirmité, son entourage, son caractère tout à la fois gai et morbide, sa chatte irascible), la liaison de Wolf avec sa soeur (décalque facile du rapport de l'inceste de Schiele avec sa soeur), le monde des homosexuels incarné par Osiris, David, Maurice, le resto-U spécial, etc etc.
Cette profusion de thèmes n'est hélas pas structurée, de sorte qu'elle semble n'être qu'une suite de juxtapositions.

Quel est finalement le thème central de ce roman ?

L'auteur situe précisément l'époque de la narration, puisque l'un des chapitres (pp. 85-94) met en scène la mort de Charles de Gaulle (sans citer la date précise, à savoir le 9 novembre 1970).
A plusieurs reprises, il prend soin par ailleurs de préciser qu'il relate cette période de la vie de son héros (le récit semble très autobiographique, mais il s'agirait tout de même d'un roman) environ vingt ans plus tard, soit dans les années mille neuf cent quatre-vingt dix, époque d'écriture du roman (publié en 1994).
L'auteur tente de ressusciter ce que fut alors sa liaison amoureuse avec sa compagne nommée Anny, tous deux jeunes étudiants plus ou moins désargentés, vivant leur première liaison de couple non éphémère.
De ce point de vue, la décennie qui suivit le mythique "mai-1968" enregistra une véritable transformation des moeurs, non seulement en raison d'un soi-disant "vent de liberté" (qui ne concerna qu'une infime tranche de population) mais aussi (et peut-être surtout) en raison de la "loi Neuwirth" (adoptée le 19 décembre 1967) qui autorisait l'usage de la pilule contraceptive féminine : le cadre restrictif qui accompagnait cette loi ne tarda pas à voler en éclats, les ancien(ne)s soixante-huitard(e)s s'en souviennent fort bien. Notre génération eut donc l'immense privilège de découvrir les ébats amoureux délivrés de la peur d'une grossesse non désirée, et elle en profita largement.
Notons au passage que seul le Pape Paul VI eut l'imbécillité de s'opposer à cette contraception, et le fait que son encyclique publiée en juillet 1968 ne soit pas du tout évoquée dans ce roman montre à quel point cette initiative (désastreuse pour l'église catholique romaine) passa alors largement inaperçue ou tout au moins sans intérêt aucun.

Grainville tente donc ici de restituer cette ambiance particulière, sans reculer devant la description de scènes érotiques que l'on qualifie aujourd'hui d'explicites.

Malheureusement, au moment de l'écriture, vingt ans plus tard, il le fait avec le poids des années, qu'il s'agisse de ses années à lui (il atteint la quarantaine) ou plus encore des années "d'évolution des moeurs". Ce faisant, il tombe le plus souvent dans cette pornographie standardisée mais anachronique, qui s'installe progressivement (le film "gorges profondes" sort en 1972, "exhibition" en 1975, Brigitte Lahaie commence sa carrière dans le X en 1976 etc).
Autant que je me souvienne, vingt ans plus tôt, dans les années soixante-dix, la jeunesse préférait – et de loin – la pratique, n'éprouvant pas le besoin d'aller voir ce genre de films "cochons", diffusés dans des salles glauques et nauséabondes dont les seuls abords suscitaient déjà le besoin de changer de trottoir. D'ailleurs, du côté masculin, nous savions opportunément offrir à la belle du moment l'intéressante publication du MLF "Notre corps, nous-mêmes" (première édition en français en 1977, l'ouvrage vient d'être réédité en février 2020), une bonne moitié du stock s'est probablement vendue de cette manière...

Les descriptions de scènes de sexe dépeintes ici par Grainville semblent en décalage par rapport à l'époque.
Cet anachronisme prend une tournure beaucoup plus large : le personnage central de ce récit est un étudiant souffreteux, obnubilé surtout par son propre sexe, et accessoirement par le sexe des autres. Admettons. Même dans les années soixante-dix, ce genre d'individu a probablement existé et correspond vraisemblablement au vécu de l'auteur.

Pour les gens de ma génération, cette mise en scène provoque cependant un irrépressible sentiment de falsification : la jeunesse estudiantine de ces années immédiatement post-soixante-huitarde fut certes "très active" charnellement, mais elle fut aussi très majoritairement et très largement extravertie, manifestant à qui mieux mieux contre toutes sortes de conflits en cours, à commencer par la guerre du Vietnam et les diverses tentatives de réformes de l'université (deux énormes lacunes dans ce récit), rêvant du "grand soir" d'une hypothétique "révolution".
C'est l'époque de l'université de Vincennes, de la "gauche prolétarienne" maoïste, de la "ligue communiste" trotskyste de Krivine, de Sartre sur son tonneau devant l'usine Renault de Billancourt etc etc. Certes, il n'est pas interdit de constater rétrospectivement que ce "mouvement de mai" fut initié par de "grands penseurs" bien abrités et prenant soin de leur carrière (Althusser, Sartre, Foucault etc etc), que les jeunes furent manipulés par d'habiles gourous de sectes (Badiou, Benny-Lévy, Bensaïd, Glucksmann, Geismar, Henri Weber, les "lambertistes" etc) ou des bateleurs de foire (Cohn-Bendit, Serge July), il n'en reste pas moins que ce bouillonnement est totalement absent du présent roman, ce qui ne le rend guère crédible.
Sur ce point, voir par exemple les romans ou témoignages comme "Maos" de Sportès, "Nos lieux communs" de Chloé Thomas, "Ce grand soleil qui ne meurt pas" de Bernard Sichère, "Rouge c'est la vie" de Thierry Jonquet etc etc.

En revanche, il est pour le moins troublant de constater à quel point ce pôvre jeune homme préfigure les héros de Houellebecq : le personnage central de "Sérotonine" incarne le devenir de cet étudiant dépressif, morbide, maladivement centré sur son sexe. Tendance hélas fort peu romanesque et fictive, puisqu'elle s'illustre aujourd'hui jusqu'au sommet de l'Etat : après les turpitudes du Straus-Kahn/Dodo-la Saumure, nous avons eu droit au lamentable trio Griveaux-de Taddeo-Pavlenski...

Une remarque pour terminer : c'est tout de même rigolo de constater à quel point les auteurs masculins mettent en scène – comme dans ce roman – des jeunes femmes, aussi "intelligentes" que "bien roulées" en adoration devant "la bite" du héros (l'auteur nous ressort même une allusion à la théorie freudienne du désir de phallus !), pendant que leurs consoeurs se vautrent dans les histoires d'enfance abusée, de viols, d'abus des vilains bonshommes mettant "en dépendance" la pôvre héroïne qui finit par "se révolter" contre la phallocratie.

Au train où vont les choses, Grainville devrait se méfier : maintenant qu'il incarne le septuagénaire mâle blanc bien installé à L Académie Française, l'une de celles qui servit de modèle au personnage d'Anny, de la "jeune juive" ou de l'étudiante anorexique va peut-être découvrir, avec quarante ans de retard, qu'elle était en fait sous influence et victime abusée par un grand méchant auteur...

Heureusement, Grainville a publié des romans beaucoup plus réussis que celui-ci (voir recensions)...
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Lecture de Patrick Grainville tiré du livre Figures d'écrivains, dirigé par Étienne de Montety.
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Pour en savoir plus : https://www.albin-michel.fr/figures-decrivains-9782226436351
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