C'est - finalement, lorsque j'ai fini par y voir clair - un très beau livre. L'écriture est belle, mais la construction est compliquée, ce qui peut être une qualité si l'auteur aide suffisamment le lecteur à ne pas s'y perdre. J'ai probablement le cerveau un peu faible, en particulier quand je lis avant de m'endormir le soir, mais je dois avouer qu'au cours de ma lecture je me suis parfois demandé qui parlait, et à quelle époque.
En effet, le récit entremêle habilement les époques, et aussi le narrateur change, il faut être attentif à bien repérer les noms des personnages (d'autant plus que l'un prend le nom du père de l'autre...). Bref, j'ai terminé le livre en me disant que je n'avais pas bien compris qui était qui et à quel moment. Et c'est grâce à une semaine de Covid que j'ai pris quelques heures pour reprendre tranquillement tout le livre et reconstituer l'histoire. Quand elle s'est enfin éclairée, je l'ai trouvée magnifique.
Le livre nous emmène à travers plusieurs univers différents, tous passionnants à découvrir, mais qui nécessitent de fréquents recours à Wikipédia pour qui comme moi n'est pas familier de l'histoire de la Tanzanie (et l'aide de l'auteur dans ce domaine est très succincte). Nous voyageons en Tanzanie (Zanzibar, Tanganyka...) à différentes époques d'avant et après la révolution de 1964, participons aux disputes entre familles (avec beaucoup de détails juridiques auxquels on s'intéressera si on peut), nous découvrons les tensions entre africains, arabes et indiens dans ces régions, et le récit de l'emprisonnement jusqu'à un séjour extraordinaire dans une île est passionnant. Puis c'est l'exil vers l'Angleterre (dans d'assez bonnes conditions, comme ce fut d'ailleurs le cas pour l'auteur dans la vie réelle), et en trame générale du livre une étonnante histoire de deux "ennemis" d'autrefois qui se retrouvent et s'entraident.
L'auteur a émigré en Angleterre à 18 ans, il s'y est très bien intégré et est devenu professeur de littérature (avec une spécialité pour les études post-coloniales) à l'Université de Kent. Il écrit en anglais, il explique que le swahili ne lui offre pas les mêmes possibilités d'expression. Mon sentiment est que finalement il nous parle de l'Afrique d'assez loin. On trouvera 2 émissions récentes sur lui sur France Culture (La grande table), très intéressantes, et une sur France Inter (Boomerang) où il est plus politique, et développe une critique post-colonialiste qui n'est pas totalement originale. Cela m'a fait penser que le
Prix Nobel de Littérature, qui a couronné son oeuvre en 2021 (une dizaine de livres si j'en crois Babelio, dont 3 disponibles en français), ne se contente pas seulement de saluer une oeuvre littéraire, mais aime aussi à se situer dans les grands questionnements de l'air du temps.