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Une lecture inoubliable, un chef-d'oeuvre, un monument littéraire.
Quelle écriture magnifique, subtile, puissante, avec des traits de pure poésie qui émerveillent, et des horreurs racontées en quelques mots sobres, qui serrent le coeur.
Trois chapitres nous racontent les destins liés de deux hommes exilés de Tanzanie : l'un déroule sa vie, puis c'est le tour du deuxième, et enfin leur rencontre permet à chacun de compléter les blancs de leurs histoires familiales.
Une intrigue qui semble, au début, n'être que prétexte à évoquer l'histoire de Zanzibar, ancienne place forte du commerce dans l'Océan Indien, puis livrée à la colonisation britannique, et enfin son indépendance et les exactions de gouvernements corrompus.
Mais Près de la mer, c'est beaucoup plus que cela.
À travers la destinée de ces deux familles, Gurnah nous dit sur quelles traditions et hiérarchies s'est construit l'Etat tanzanien, et nous fait sentir l'immense difficulté à "faire nation" sur la base de haines recuites, de spoliations d'héritage et de conflits d'honneur.
Ou, comme le souligne l'un des deux hommes : "Je hais les familles."
Parfaite traduction de Sylvette Gleize.
Challenge Nobel
Challenge Globe-trotter (Tanzanie)
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Un homme âgé, Saleh Omar, débarque en Angleterre pour demander l'asile politique muni d'un faux passeport et prétendant ne pas parler anglais. Il ne correspond pas au profil du migrant et il est pris en charge par une jeune femme qui va s'occuper de lui trouver un logement et se lier d'amitié avec lui. L'accueil des migrants est traité de manière sarcastique, d'autant plus lorsqu'il apparaît que le vieil homme est à la fois cultivé et bilingue. Installé dans une petite ville du bord de mer, il raconte les raisons de son exil, ses promenades dans les magasins de meubles et comment il s'est approprié la petite phrase de Bartleby " Je préfère ne pas".

Dans la deuxième partie du roman, sous la fausse identité de Rajab Shaaban Mahmud, il est mis en relation avec Latif, un universitaire exilé, fils du véritable Mahmud. C'est alors Latif qui prendra en charge la majeure partie de la narration. Il aborde la situation politique du Tanganyiaka, ancienne colonie allemande qui s'est unie avec l'île de Zanzibar, sous protectorat britannique. La question du colonialisme, de la persécution des communautés musulmanes, des alliances commerciales et des trahisons est mise en parallèle avec l'histoire plus intime d'une famille. Les rivalités, jalousies et mesquineries feront alors le lien entre les deux hommes qui partagent qui à la fois une histoire nationale et une histoire privée. Chacun interprète cette histoire commune à son avantage, apportant des informations complémentaires et des révélations étonnantes.

La plume d'Abdulrazak Gurnah est très littéraire et plutôt classique, avec une pointe d'auto-derision qui accentue l'humanisme de son roman. Quelques longueurs cependant dans l'histoire de la Tanzanie, lorsque l'on ne connaît pas tous les méandres.
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Challenge autour du Monde : direction la Tanzanie et plus précisément l'île de Zanzibar.
Ce livre sauvé in extremis de l'incinérateur est une belle découverte.

Qu'est ce qui pousse un vieil homme à quitter son île de Zanzibar pour demander , sous une fausse identité, l'asile politique en Angleterre? Arrivé dans les années 90 en Angleterre Omar Saleh qui ne semble parler que le Swahili, se voit attribuer par les services d'aides aux réfugiés, un traducteur originaire lui aussi de Zanzibar, Latif Mahmud. Ces deux hommes ne sont pas des inconnus et leur destin est étroitement lié.

Par l'évocation de leurs souvenirs respectifs se met en place, petit à petit, le scénario qui a poussé Omar Saleh à se réfugier en Angleterre
Histoire d'honneur et d'héritage, de trahison et de vengeance, tout ceci sur fond de décolonisation, Vers la mer nous entraîne de l'île de Zanzibar et ses croyances, jusqu'en Angleterre, terre d'exil en passant par l'Orient et ses marchands et la RDA, terre d'accueil pour les étudiants originaires des "pays frères".

J'ai vraiment été séduite par ce livre. On se demande parfois où tous ces souvenirs vont nous conduire mais on se laisse facilement emporter par la belle écriture d'Abdulrazak Gurnah.
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Un livre qui démarre comme une histoire de réfugié en Angleterre, mais qui se construit progressivement autour de deux hommes et de leur histoire familiale, quelque part près de la mer, dans la Tanzanie decolonisée d'après guerre.
L'intrigue nous emmène sur quelques dizaines d'années dans ces deux vies où l'argent, les affaires, les coups tordus, mais aussi des amitiés et des histoires d'amour à peine effleurées, se télescopent dans une ambiance à la fois nonchalante et violente.
L'écriture est subtile, la psychologie très juste, il y a de l'humour (la description d'un intérieur anglais étriqué et crasseux est savoureuse) et le choc des cultures (de)colonisés / européens est toujours en toile de fond.
Un très beau livre, qui prend son temps, sans jamais cesser de nous intéresser à toutes les détours de ces deux vies presque ordinaires.
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« Près de la Mer » est un des rares romans de Abdulrazak Gurnah a avoir été publié en français, après avoir été traduit par Sylvette Gleize (2006, Editions Galaade, 313 p). Histoires compliquées de cet auteur et de ce pays, la Tanzanie. Hélas, la maison d'édition, fondée par Emmanuelle Collas, spécialiste de l'Antiquité, l'a dirigée jusqu'à la cessation de son activité en 2017. L'auteur vient d'être couronné par le prix Nobel.

Le pays tous d'abord, c'est la réunion de l'ancien Tanganyika et de l'île de Zanzibar. Comme tout pays, il a une capitale officielle, Dodoma, située à l'intérieur du pays, mais c'est Dar es Salam, le grand port sur la côte qui forme le pôle économique. Zanzibar City est l'ancienne capitale de la grande île. Deux autres îles, Pemba et Mafia, au nord et au sud, sont rattachées au pays. Anciennement colonie allemande, le Tanganyika s'est donc réuni avec Zanzibar, qui était sous protectorat britannique, et qui servait essentiellement de réservoir d'esclaves pour le sultanat d'Oman. le premier président de la nouvelle république, en 1964, Julius Nyerere essaye de mettre en place un régime, plutôt socialisant, avec une société égalitaire et un gros effort sur l'éducation. Des communautés villageoises, les Ujamaas, sont organisées sur des principes collectivistes. le développement se fait non sans mal, avec des déplacements de population à la chinoise. Nyerere se retire en 1985. Des nouvelles élections ont lieu et actuellement le pays est dirigé par l'ancienne vice-présidente, Samia Suluhu depuis mars 2021. le pays a deux langues officielles, l'anglais et le swahili. Tout comme la culture qui est sous influence allemande, avec des chrétiens luthériens, des animistes et des musulmans, ces derniers étant notamment à Zanzibar. La découverte et l'exploitation d'hydrocarbures apportent une certaine richesse au pays.
On comprend donc que la vie de Abdulrazak Gurnah n'a pas toujours été facile, puisque né sur l'île de Zanzibar, il appartient à une communauté arabe persécutée. Il part à 18 ans pour l'Angleterre, change de langue en passant du swahili à l'anglais, langue de son écriture. Il obtient un doctorat à Université of Kent avec une thèse « Criteria in the Criticism of West African Fiction ». Une dizaine d'ouvrages publiés, dont trois traduits, qui traitent tous de ses thèmes préférés : l'appartenance, le déracinement et les migrations, suite au colonialisme, ainsi que de la mémoire.
« Près de la Mer » raconte l'histoire de Saleh Omar, originaire de Zanzibar, qui se présente à la douane à Gatwick, à sa descente d'avion avec un faux passeport. « Je suis un réfugié, un demandeur d'asile. J'ai débarqué à l'aéroport de Gatwick en fin d'après-midi le 23 novembre de l'an dernier ». le passeport est au nom de son ancien ennemi Rajab Shaaban Mahmud, le propriétaire de Hussein, un marchand persan qui l'a floué.

Tout commence avant la réunification du pays. Omar Saleh, trente et un ans est propriétaire d'une entreprise de meubles prospère. Il se lie d'amitié avec Hussein, un marchand marin de Bahreïn sans scrupules. Omar accepte de lui prêter une grosse somme d'argent, en échange de quoi on lui donne en garantie les titres de propriété de la maison de Rajab Shaaban Mahmud, le propriétaire de Hussein. le marchand avait prêté une somme d'argent identique et avait reçu ces titres en gages. Comme Omar le soupçonne, Hussein disparait et Omar est obligé de réclamer le remboursement de la dette. Là-dessus se greffe une sombre histoire de tante qui joue double jeu. Elle orchestre une campagne pour discréditer Omar et le faire arrêter et envoyer en détention, d'où il libéré onze ans plus tard. Sa famille s'est dispersée. Ruiné, Omar, se fait passer pour Rajab Shaaban Mahmud, et obtient l'asile politique en Angleterre. Sa seule richesse, un petit sac dans lequel se trouve son bien le plus précieux : une boîte en acajou contenant de l'encens (ud-al-qamari).
C'est un homme déjà âgé de 65 ans, qui apparemment ne parle que swahili, qui débarque dans les années 90 en Angleterre. On lui trouve un traducteur, lui aussi originaire de Zanzibar, Latif Mahmud. Les deux hommes ont a priori des relations communes. « C'est un point culminant, mineur et familier de nos histoires que de quitter ce qu'on connaît pour arriver dans des lieux étranges, emportant avec soi pêle-mêle des bribes de bagages, bâillonnant des ambitions secrètes et embrouillées ».

En fait, ce roman d'Abdulrazak Gurnah, le sixième, aborde deux points particuliers de l'écriture actuelle en Afrique, tout comme dans les cinq autres rpmans. En effet, l'auteur se penche tout d'abord sur les sur le fonctionnement de la mémoire et pour cela il décrit la manière dont elle traduit les récits historiques.
Dans le roman, on trouve face à face Omar Saleh et Latif Mahmud. Ce dernier a complètement coupé les liens avec sa famille à Zanzibar. Il mène une vie confortable en Angleterre en tant que poète et professeur à l'Université de Londres. Par comparaison, Saleh Omar est dans l'esprit de Latif, l'homme qui a ruiné sa famille et leur a volé leurs biens dans les années qui ont précédé l'indépendance de Zanzibar. Il a cependant déchu d'une situation de prospère homme d'affaires, puis progressivement petit commerçant, suivi d'un long séjour en prison comme prisonnier d'État, puis enfin migrant sans papiers à Londres dans un pays qu'il ne connait pas.
L'auteur montre tout d'abord le fonctionnement de la mémoire et son façonnement de l'histoire. Puis, il donne un aperçu du rôle des modes culturels islamiques dans la formation de l'identité nationale avant et après l'indépendance et la révolution. On retrouve alors la vie à Zanzibar avant la réunification lors de courts flashbacks. Naturellement, ces récits des vies antérieures des deux hommes à Zanzibar sont assez contradictoires.
Omar décrit le parfum de l'« ud-al-qamari » comme « la sensation d'une expérience », car l'odeur de l'encens déverrouille une série de souvenirs passés qui reviennent et déclenchent son processus d'introspection. C'est en quelque sorte la madeleine de Proust revisitée par Omar. « C'est peut-être cela vieillir, quand le soleil et la pluie ont effacé les uns après les autres les contours et changé les images en une ombre pelucheuse. Même si tout ce flou et ce vague laissent encore des traces, fragments, toujours plus rares de ce qui constituait le tout : le regard chaleureux d'un visage oublié, un parfum, une musique dont la mélodie échappe, une chambre, alors que le souvenir de la maison ou son emplacement nous fuit, une prairie le long d'une route au milieu du néant ». Omar Saleh, c'est un « raiiya », un citoyen arrivé de l'île de Zanzibar car contraint de fuir sa maison, qui réclame le statut de réfugié qu'il obtient, et qui finit par vivre en exil dans une petite ville anglaise au bord de la mer.
Omar Saleh se replie dans le mutisme pour contrer toute « contamination » européenne, toute pollution de son intégrité et de son monde originaire. Comme cet Angolais, Alfonso, rencontré dans un centre de détention qu'il refuse de quitter tant qu'il n'aura pas fini d'écrire son livre, par crainte de perdre le fil de ses souvenirs au contact des Anglais. « Parfois, je pense que c'est mon destin de vivre dans les décombres et la confusion de maisons en ruine ». Il a choisi de ne pas parler anglais et se conforme au rôle imposé du réfugié sans défense, à l'histoire toute tracée. Il rejoint en celà ses compagnons de rencontre : Alfonso l'Angolais, Ibrahim du Kosovo, Georgy un Rom de Tchéquie et Ali le Guinéen.
Latif Mahmud a suivi une autre voie. Il part pour l'Allemagne de l'Est grâce à une bourse en 1966, donc juste après la réunification, et le début d'une vie socialisante. Très vite, il se rend compte de s'être fourvoyé. Il s'échappe de la République démocratique allemande, déguisé en réfugié politique et arrive en Grande-Bretagne. Là, il préfigure ironiquement la fuite d'Omar de Zanzibar. Cependant, entre temps, il est devenu professeur à l'Université de Londres, donc, c'est quelqu'un de respectable. Il a complètement coupé les liens avec sa famille à Zanzibar. C'est une appropriation de l'histoire, tout comme des politiciens sans scrupules et égoïstes l'ont fait en Tanzanie, plus soucieux d'assurer leur propre avenir que celui de la nation naissante. Cela apparait encore plus fortement dans ses derniers romans, dans lesquels Gurnah décrit de façon cinglante le despotisme irrationnel des nationalistes africains. C'est cette dénonciation d'absence de tout discours hégémonique est récompensée par la Nobel.

Le second point important des romans de Abdulrazak Gurnah traite du rôle des modes culturels islamiques et leurs implications dans les modifications des identités traditionnelles africaines. Et ceci avec le point de vue de la Tanzanie, nation pourrait-on dire au passé double avec Zanzibar et la Tanganyika, malgré son colonialisme allemand. Sur ce point, le roman est écrit du point de vue musulman. En effet, les pratiques musulmanes de Zanzibar sont le ciment qui unit la société, mais qui elles peuvent devenir gênantes si elles deviennent trop oppressives pour le reste de la nation. Tout d'abord, il y a le passé de l'île, qui a été longtemps un point de passage des négriers du Golfe Arabique et un lieu d'échange et de commerce maritime. « Il était une fois des cartes commerciales coloniales qui transformaient la corne de l'Afrique, affectant les petites villes le long de la côte avec leurs balisages. Après l'indépendance de ces pays, les commerçants sont brusquement partis, laissant les villes au bord de la mer dans le désarroi, ne faisant plus de commerce du ghee et de la gomme, des chiffons et des bibelots grossièrement martelés, du bétail et du poisson salé, des dattes, du tabac, du parfum, de l'eau de rose, de l'encens... ». Cette coexistence entre africains, arabes et indiens ne va pas sans poser des problèmes. Il y a eu à Zanzibar une révolte des natifs contre les Omanais. Les rabes commencent à coloniser la côte de Zandj, comme ils la nomment, à partir du Xeme siècle, installant des comptoirs commerciaux actifs durant tout le Moyen Âge. Ils assurent le commerce et les relations de l'Afrique de l'Est avec le monde arabo-persan du Nord-Est, mais aussi avec l'Indonésie et la Chine. D'ailleurs, Sayid Saïd, imam de Mascate (1804-1856) se fait construire un palais à Zanzibar, où il séjourne fréquemment, en faisant sa véritable capitale à partir de 1840.
L'Afrique de l'Est est alors un espace de migrants, avec des relations quelquefois très éloignées des jeux de pouvoir politique. Cela se répercute sur les relations à l'intérieur même des familles. Gurnah traduit ce contexte par des narrations multiples. le tout est enveloppé dans un contexte d'ironie, de coïncidences involontaires, avec des silences et des élisions. C'est un peu le jeu double que pratique la tante qui orchestre une campagne pour discréditer Omar, le faire arrêter et envoyer en détention d'où il sortira ruiné.
Il faudra que les deux hommes, Omar et Latif, se retrouvent en Angleterre, après une quinzaine d'années pour que la discussion se rétablisse et que la vérité soit enfin révélée. Il a fallu pour cela que le terrain change, que ce soit dans un pays « neutre », loin de l'Afrique de l'Est. Entre ces deux épisodes, il y a eu bien des désertions, de pays, d'amis de rencontre, et des reniements, envers son pays, mais aussi sa famille. Les premières rencontres sont pleines de suspicion et presque de haine. Ruine pour l'un, perte de son identité pour l'autre, avec en plus des conflits provoqués par la famille.

Par ailleurs, le livre est plein d'allusions explicites à Bartleby dans la nouvelle éponyme d'Herman Melville « Bartleby » traduite par Michèle Causse (2012, Flammarion, 201 p). C'est l'histoire d'un employé qui commence à travailler dans un bureau, puis refuse d'effectuer diverses tâches, puis tout son travail, et enfin décide de rentrer chez lui en disant à chaque fois «I would prefer not to » (Je préférerais ne pas).

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Voici ma première rencontre avec Abdulrazak Gurnah, récipiendaire du prix Nobel de littérature 2021, mais cela ne sera probablement pas la dernière tant la puissance de son écriture et la finesse de ses personnages m'ont subjuguée.
Saleh Omar, soixante-cinq ans, débarque à l'aéroport de Londres en provenance de Zanzibar et réclame le statut de réfugié en usurpant l'identité d'un autre, Rajab Shaaban. Placé dans une petite ville côtière par un service d'aide aux réfugiés, il s'adapte tant bien que mal à sa nouvelle vie. Mais les circonstances le mettent en contact avec le fils de Shaaban, Ismaïl Mahmud, dit Latif. le destin de ces deux hommes, ancré dans un passé mêlant injustices, mensonges et non-dits, les conduit à se revoir et à engager une conversation pour dissiper les ombres qui entourent les drames vécus.
On peut attribuer tous les qualificatifs en vogue au roman de Gurnah : littérature postcoloniale, de l'immigration, écriture migrante ou diasporique. Mais ce que j'ai lu est, avant tout, un formidable roman d'aventures. Empruntant la forme du récit au recueil des Mille et Une Nuits et le thème du voyage au conte de Sinbad le marin, chacun des protagonistes va raconter à l'autre ses errances. le lecteur est alors embarqué dans les voyages des marchands poussés par les vents de mousson, les pérégrinations liées aux études, l'itinérance hébétée des prisonniers ou la fuite vers un asile. Saleh et Latif retracent leurs périples en explorant leur propre paysage intérieur pour sonder leurs remords et leurs colères, et débusquer les faux-semblants d'une mémoire lacunaire.
La singularité du style de Gurnah provient de sa langue poétique qui sculpte la phrase sans que la ciselure ne devienne trop précieuse, artificielle. L'érudition de l'écrivain, habile connaisseur de la littérature occidentale, sert le texte avec une ironie distanciée (ainsi le leitmotiv de Bartleby).
J'ai subi un véritable enchantement avec ce livre, celui qui soumet l'auditoire au conteur avant de succomber à la magie des belles histoires.
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« J'ai du temps sur les mains, je suis entre les mains du temps, alors autant que je m'explique. Tôt ou tard, il faut en venir là. »
Et du temps, il en mettra le narrateur, de son vrai nom Saleh Omar, pour nous raconter à sa façon tortueuse et obsédante, ce qui lui vaut, dans sa soixantième année, le statut de réfugié en Grande-Bretagne. Une affaire de jeunes, qu'on lui répète à son arrivée, cette envie de quitter son pays pour recommencer ailleurs. Lentement et inexorablement, le lecteur se voit entraîner dans les filets de la mémoire de ce vieil homme originaire de Zanzibar, entortillé dans les affres d'une sombre histoire de famille dans laquelle s'entremêlent honneur et vengeance.
Un roman des mille et un jour retraçant le destin croisé de deux hommes aux prises avec un passé commun troublé et qui, dans leur nouvelle patrie d'adoption, cherchent enfin la paix et le pardon.
Une narration envoûtante, relevant de l'art du conte, contribue au charme de ce roman évoluant hors du temps. Je me suis perdue avec bonheur dans les méandres de ce récit aux accents douloureux, planté dans un décor exotique, nullement épargné des turpitudes de l'existence.
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Un vieil homme de 65 ans, arrive à l'aéroport de Gatwick en provenance de Zanzibar. Les seuls mots anglais qu'il prononcent sont pour demander l'asile politique.

Il est envoyé dans un centre d'hébergement le temps de trouver un traducteur qui permette de le comprendre .

L'assistante sociale qui s'occupe de lui, Rachel, lui trouve une place dans une maison, puis rapidement un logement pour lui seul, dans une petite ville près de la mer.

Il lui avoue alors parler anglais et, quand elle lui donne le nom du traducteur, il lui dit le connaitre.

Après cette brève première partie, le roman se poursuit dans la narration de la vie de cet homme de son enfance, dans une île alors colonisée par les anglais, dans les relations entre colons et africains, dans une ville portuaire où, antiquaire, il récupérait de vieux et beaux objets pour les vendre aux touristes ... 

Quand la parole passe à son traducteur, fils d'une de ses connaissances tanzaniennes, on découvres les tours et détours de leurs vies respectives, les arnaques, vols et détournements et les ressentiments ... 

Mais ce n'est pas l'histoire qui fait le charme de ce roman , mais la langue, l'écriture, le récit hypnotique ou les énoncés d'une partie sont réécrits à la lumière u vécu de l'autre protagoniste qui vient s'opposer au récit déjà lu.

Un roman sur l'exil, le colonialisme, la décolonisation, l'appartenace (ou la difficulté de s'insérer) dans un nouveau pays.

Belle découverte que ce roman du Nobel 2021.

 



 
Lien : http://les-lectures-de-bill-..
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L'évocation des souvenirs de ses deux protagonistes permet à l'auteur de revenir sur l'histoire aussi riche que mouvementée de Zanzibar, depuis la période de la colonisation britannique jusqu'à la dictature qui a très vite suivi l'indépendance, sans oublier les influences du sultanat d'Oman ou du bloc soviétique. On découvre ainsi une île et un pays aux multiples facettes, livrés à la convoitise des uns et des autres.
En multipliant les temporalités et les perspectives sur de mêmes événements, en usant d'habiles suspenses et de savoureuses digressions, l'auteur capte notre attention tel une Shéhérazade moderne. J'ai cependant eu un peu de mal à entrer dans l'histoire avant que le style de l'auteur et les vies tragiques de ses personnages ne réussissent à éveiller et retenir mon intérêt. J'ai pu achever ma lecture sans difficulté, mais sans véritable engouement, sans doute parce que je ne me suis pas attachée aux deux personnages principaux. Je les ai plaints pour les drames qu'ils ont connus mais ils ont aussi leurs défauts, et surtout ils semblent englués dans le passé et emmurés dans leur solitude et leurs regrets. Si je peux comprendre leurs raisons, j'ai quand même eu parfois envie de les secouer un peu.
Même s'il ne manque pas de qualités, ce roman ne m'a donc pas totalement convaincue. Il dévoile néanmoins une très intéressante « vision de l'intérieur » de Zanzibar, de son histoire et de ses habitants. Et j'ai été sensible à la plume pleine de charme de l'auteur-conteur qu'est Abdulrazak Gurnah.
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Saleh Omar arrive clandestinement à Londres avec un faux passeport au nom de Rajab Shaaban Mahmud. A 65 ans, il a quitté Zanzibar et demande l'asile avec dans son petit bagage de l'ud-al-gamari (encens). Il prétend ne pas parler anglais. C'est son histoire, celle de sa famille, son commerce et ses relations avec les colons que raconte la première partie "Reliques". La 2ème est consacrée à Latif, censé lui servir d'interprète. Installé lui aussi en Angleterre il a fui Zanzibar à 18 ans et a coupé les liens avec sa famille. Il est le deuxième fils de Mahmud. Pourquoi Saleh a-t-il le passeport de son père aujourd'hui décédé ? La troisième partie fait le lien entre leurs deux récits et reconstitue le passé.
Ce roman est riche d'anecdotes, d'évènements et de tractations financières où l'on se perd un peu. Mais les références littéraires ( Melville- Skakespeare ) et en filigrane l'histoire de la Tanzanie sont judicieuses et donnent à réfléchir sur les conséquences du colonialisme.
Je retiens de cette lecture les différentes sensations, les odeurs surtout, les rites religieux et les habitudes culturelles de l'île. L'auteur s'intéresse aux statuts de réfugiés et ses personnages affrontent de nombreuses épreuves avec une grande dignité. C'est très beau.
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