Avec
Yaa Gyasi, les Afro-Américains, ont probablement trouvé une remplaçante à
Toni Morrison qui vient de disparaître. le premier roman de cette native du Ghana, qui a émigré très jeune avec ses parents aux États-Unis, et fait brillantes études, est d'une puissance inouïe pour retracer ce que fût la période tragique de l'esclavage et ce qu'ont subi les générations d'africains qui l'ont vécue, mais également leurs descendants au 19 ème siècle, au 20ème et jusqu'à nos jours dans une Amérique qui peine à se débarrasser de ses vieux démons ségrégationnistes. Au XVIII ème siècle, dans la Côte-de-l'Or peuplée par les ethnies fanti et ashanti, deux demi-soeurs, Effia et Esi qui ne se connaissent pas, vont être à l'origine de lignées familiales aux destins très différents. Effia est obligée par sa mère de se marier avec
James Collins le capitaine du fort de Cape Ouest, un Anglais qui gère précisément l'emprisonnement, et l'expédition des esclaves dont fait partie Esi qui croupit dans les cachots dont sa soeur ignore l'existence. Les descendants de Effia sont métissés, ils sont éduqués, restent au pays et contribuent à la poursuite du commerce triangulaire, mais les années et siècles passants ils vont devoir survivre dans un pays déchiré par les rivalités des chefs de village. Ceux de Esi vont subir le travail forcé dans les plantations de cotons, puis les agressions, les jugements, les emprisonnements arbitraires liés à leur couleur de peau. Il faut fréquemment se référer à l'arbre généalogique qui figure au début du livre, car chaque chapitre est consacré à un descendant différent soit de Effia, soit de Esi, tel que Quey, Ness, Willie, Sonny etc... jusqu'à ce que Marjorie et Marcus qui sont issus des deux lignées se rencontrent de nos jours pour visiter le point de départ de leurs aïeules, le fort de Cape Ouest. Dans un roman difficile à résumer,
Yaa Gyasi, montre que, bien que le commerce des esclaves était initialisé par les Européens , en l'occurrence dans son roman, les anglais, les africains ont pris une part importante, par les guerres tribales en vendant les prisonniers, en organisant des enlèvements pour vendre hommes et femmes aux trafiquants. Ensuite, elle s'attache à montrer le rôle des missionnaires blancs, des traditions africaines, les conditions monstrueuses dans les bateaux des négriers, puis en Amérique les sévices subis par les noirs dans les plantations, qui s'enfuient pour résister et échapper à la cruauté des maîtres, la discrimination liée à la couleur de la peau dans la vie courante, notamment dans les états du sud, les différences dans les jugements et dans les peines d'emprisonnements. Elle nous entraîne à Harlem, nous montre la position parfois difficile des métisses dans la société américaine, le désoeuvrement des jeunes drogués, le comportement inégal de la police vis à vis des noirs qui est souvent à l'origine d'émeutes. Avec
No home, ce sont trois siècles de déchirements de la population noire africaine et américaine qui défilent sous nos yeux, et nous permettent de mieux comprendre les inquiétudes des afro-américains à la suite de l'élection de
Donald Trump qui a réveillé les idées racistes toujours latentes aux USA. Heureusement le roman se termine sur une note positive avec Marjorie et Marcus qui tous deux sont de brillants élèves d'université. Formidable!