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EAN : 9782070124381
224 pages
Gallimard (12/02/2009)
4.67/5   3 notes
Résumé :

L'effroyable a déjà eu lieu ne cesse d'avoir lieu. En un sens, il n'y a plus rien à craindre. Ce livre s'adresse à tout personne de bonne foi cherchant un accès à la délivrance au cœur de la catastrophe planétaire. A chaque instant s'ouvre la possibilité du sauf. Mais qui le désire ? Vous, peut-être.

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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
(*) « Le rapport avec le sacré, depuis le début - même si cela n’a pas toujours été dit -, est l’orientation principale de Ligne de risque. Pour autant, aucune affiliation à une religion, encore moins manipulation de je ne sais quelles données occultistes. Nous ne croyons pas, par le fait même d’écrire, que le monde profane reflète une réalité ultime. »

p. 24

Car, dans le sexuel, il y a évidemment autre chose qu’une petite affaire à deux. J’aime beaucoup cette phrase, très profonde, de Gilles Deleuze : « Quelle triste idée de l’amour, qu’en faire un rapport entre deux personnes. » On sort là de l’idéologie libidinale, qui réduit les corps au balancier fastidieux de la satisfaction et du manque.

Car l’amour est précisément ce qui déborde le rapport entre un homme et une femme ; il ne se limite pas à l’ajointement entre les deux corps, mais ruisselle dans l’élément du réveil.

p. 40

Il ouvre l’existence des amants au réveil. L’amour est le nom du réveil permanent de cette jouissance qui, en vous faisant passer - comme dit Rimbaud - de la « mécanique érotique » à 1’« invention amoureuse », élargit votre existence à la dimension du champ libre.

Ici la dimension de l’amour et celle du langage coïncident. Phrases de réveil, amour de réveil. Éros et le langage sont pour moi une même chose.

Je pense qu’Éros n’est pas seulement cette divinité qui flamboie dans l’instant de la rencontre érotique ; mais qu’il est l’autre nom du temps.

L’éclair d’Éros est possible à chaque instant : Athéna, dans l’Odyssée, est toujours présente pour Ulysse, par exemple sous la forme d’une hirondelle. De même, Éros est une disponibilité du temps lui-même.

Un acte érotique consiste ainsi à se rendre disponible à cette disponibilité. Alors le langage devient une zone érogène. Je propose que nous appelions cet acte une extension du domaine de l’érotisme.

F.M. - Ce que nous remettons en cause, c’est la croyance sexuelle. Houellebecq, par exemple, piège son public en exploitant cette croyance. Tout le monde hallucine l’emprise sexuelle comme la réalité la plus intime, et ce n’est qu’un mirage : une croyance fondée sur un tour de passe-passe psychique. Un envoûtement, en somme. La capacité à résister à un tel envoûtement donne la mesure de la liberté spirituelle d’un individu.

p. 41

La « sexualité », au sens où on l’entend actuellement, remonte-t-elle à la plus haute Antiquité ? Eh bien, non. Elle ne remonte pas plus haut que le XIXe siècle, comme Michel Foucault l’a établi il y a trente ans. N’est-elle pas en train de devenir un obstacle à l’amour ? L’industrie pornographique n’exhibe-t-elle pas le lien entre compulsion sexuelle et compulsion de meurtre ? Ces questions nous semblent de véritables questions politiques. Elles demandent de nouveaux développements dans la pensée et dans la compréhension.

Sans doute faudrait-il en finir avec le « sexe » comme dogme, avec cet enkystement d’Éros dans le corps anatomique envisagé comme organisme.

Sur ce plan, la littérature peut faire quelque chose - pas seulement décrire, mais agir.

La question de l’érotisme ne peut être entièrement dissociée de celle de l’amour. La spectacularisation du « sexe » permet d’oblitérer l’amour, ou de le cantonner dans la sentimentalité bébête. L’accueil fait aux romans de Houellebecq a ici valeur de symptôme. Il y a tellement peu d’amour, et cette absence engendre un tel désarroi - une telle tristesse - que le tableau délétère de cette sous-existence s’impose comme le produit éditorial par excellence.

Ce n’est pas chez Houellebecq que l’on trouvera la phrase de réveil. Cependant le mouvement qui nous lance à la poursuite de cette phrase, peut-être est-ce lui qui nous amène à reprendre la question de l’amour. D’une certaine façon, nous devons remettre en cause la théorie sexuelle de Freud.

À son époque, elle était fondée. Freud y tenait pour faire barrage, disait-il à Jung, à la marée noire de l’occultisme.

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Il avait raison. Mais nous n’en sommes plus là. Les verrous sautent, les uns après les autres. Il est temps, sans doute, de renoncer à cette théorie sexuelle pour une érotique. Une érotique qui soit simultanément une poétique.

ANGST. - Selon Georges Bataille : « L’être aimé est l’être attendu, qui remplit le vide (l’univers n’est plus intelligible sans lui). » Qu’en pensez-vous ?

Y. H. - La phrase de Bataille, je préfère la retourner : pour moi, l’être aimé c’est précisément celui que je n’attends pas - c’est l’inattendu. Et c’est celui qui ne va surtout pas remplir le vide, mais ouvrir au vide. Quelque chose comme l’amour se met à exister en surgissant d’un jeu avec le vide. Le corps amoureux, c’est un corps qui se dégage, qui s’épanouit hors des barrages. François a raison, en un sens il faudrait sortir de la théorie freudienne. C’est un peu lamentable que l’acte sexuel soit considéré, suivant la vulgate freudienne, comme le point qui cristallise les embarras d’un individu et condense ses névroses. Car c’est aussi - et surtout - l’instant où au contraire plus aucun embarras ne tient face à l’intensité de la rencontre. Où les barrières tombent. Où le corps bondit hors de ses déterminations. Dans l’acte sexuel, on a enfin un corps.

Autre chose : on répète un peu partout, comme un cliché, que dans la jouissance, le langage s’arrête, que la jouissance désintègre le langage. Possible si l’on n’envisage celle-ci que d’un point de vue organique. Mais ce point de vue ne tient pas. Car ce qui a lieu dans la jouissance - dans cette jouissance qui ne se limite pas à la satisfaction du coït,

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mais s’ouvre, à partir d’une étreinte, à tous les domaines de l’existence -, cela relève de cette énergie qui fait passer de la mort à la vie, énergie qui est de nature poétique.

La jouissance fait exister : elle donne la parole. Le corps amoureux est précisément celui qui s’ouvre au langage celui qui se révèle en état de langage. D’ailleurs, c’est ce corps qu’on a lorsqu’on écrit.

Ainsi la jouissance n’est-elle pas une privation momentanée de langage, mais un accès illimité à cette parole qu’il y a dans la parole.

Ce que François appelle « une érotique qui soit en même temps une poétique » a lieu pour moi entre ces trois pôles : l’être aimé, le vide, les phrases. Les livres que j’essaie d’écrire et l’existence dans laquelle j’évolue coïncident à travers le jeu d’un triangle : amour, vide, langage.

F.M. - L’être aimé est toujours celui que l’on n’attend pas. Mais pourquoi ne serait-ce pas la même personne, chaque fois ? Ce qui fait qu’on l’aime pose cet être comme singularité toujours surgissante, comme inattendu. Que cela arrive rarement ne prouve rien contre cette hypothèse, au contraire.

Par ailleurs, l’une des raisons de mon scepticisme face à une « sexualité » rabattable sur l’anatomie tient à ceci : le corps amoureux ne ressemble pas à celui que j’ai au début de l’acte sexuel. Je veux dire par là que le corps amoureux n’est pas celui de la quotidienneté ; seul l’acte me le donne, et l’être avec lequel je l’accomplis. Il faut la rencontre d’un autre corps pour qu’il surgisse : il ne préexiste pas à la rencontre. Il existe potentiellement, dans cette corpropriété

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subtile que j’évoquais tout à l’heure ; mais il ne vient au jour que par cet événement improbable : la rencontre d’un autre corps. Après, le corps amoureux se module. Et cette modulation peut emplir toute une vie, car elle prend la forme d’une spirale perpétuellement ouverte.

L’ amour est donc un faire ; mais également une connaissance.

Y.H. - Ce que tu décris là, c’est exactement la naissance du poétique, la manière dont surgit le poétique.

F.M. - Et cela excède complètement l’anatomie. L’acte, s’il a vraiment lieu, ce qui est autre chose qu’une copulation, s’apparente à ce que les linguistes désignent comme un performatif. Aimer fait être le corps qu’il met en jeu il le fait naître aussi. Le corps amoureux n’existe que dans l’acte de faire l’amour. Il n’a rien à voir avec le corps que l’on économise, qu’on lave, qu’on entretient ; et pas non plus avec celui qui fait l’objet d’un narcissisme, lequel est beaucoup plus imaginaire que subtil, n’étant que le support d’une image. Nullement le corps amoureux, celui que l’on bichonne, dont on adonise la carcasse. Une chair qui tourbillonne autour des halos de la jouissance interrompt la continuité du monde. Elle disperse les limites. Seul un événement lui donne naissance. Et cet événement, mieux vaut ne pas l’assimiler à un fait. Le coït ressortit au domaine de la factualité, pas l’acte dont je parle. En ce sens, Lacan avait raison : « Il n’y a pas de rapport sexuel. » Aucune copulation ne suffit à l’asseoir - aucun fait.

Alors, évidemment, quand on baise avec sa viande, il n’en résulte que le plaisir d’organe - et c’est ce qui fait écran à la jouissance.

p. 45

Y.H. - La plupart des romans qui se publient ne font que reproduire les énoncés de la société sur elle-même ; ils ne sont jamais que la manière dont la société se parle à travers un « monologue effréné », comme dirait Debord. Et l’unique sujet de ces romans, leur sujet universellement emmerdant, c’est le manque. Le manque à vivre. Le manque à être. La servitude du manque. Comment ça doit manquer. Se manquer, ou être manqué. Bref, comment ça n’existe qu’en termes d’impasse, dans le rétrécissement calamiteux de la consommation déçue. L’impossibilité à vivre en dehors des critères de la valeur d’échange, et même à concevoir sa vie en dehors du marché, mène au malheur le plus boursouflant, ainsi qu’à l’atermoiement le plus boueux. Ni le confort, ni l’argent, ni même le pouvoir ne sont capables de combler les inconsolés du nihilisme. Rien ne compense l’inaccès à la poésie, même pas l’abjection qui la condamne. Les inconsolés du nihilisme se sentent abandonnés, quand c’est eux-mêmes qui se sont abandonnés en recherchant ce qui, précisément, ne les comble pas : l’argent, le confort et le pouvoir ; et en se d
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Le corps amoureux selon Haenel & Meyronnis

ANGST. - Dans la livraison de Ligne de risque « Éros contre le nihilisme », en analysant les pathologies de l’amour, vous faites référence aux diverses approches et conceptions quant aux pratiques sexuelles. Pensez-vous que ces pratiques soient accessibles à l’homme occidental ?

F.M. - Le corps amoureux n’est pas le même que le corps anatomique. Depuis qu’André Vésale a fait surgir, au XVIe siècle, le corps anatomique, celui-ci obnubile les cerveaux européens. C’est surtout vrai, comme le montre Foucault, à partir du XIXe siècle.

p. 38

Depuis cette époque, il devient presque impossible de lui échapper. Et dès que l’on rabat le corps amoureux sur le corps disséqué, il en résulte une sorte de lourdeur asphyxiante. L’« amoureuse humeur », comme dirait Aragon, est subordonnée à la physiologie animale, au sens le plus étroit du terme.

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Calder, Joséphine Baker III, vers 1927, fil d’acier
Exposition Centre Pompidou, jusqu’au 20 juillet 2009
On croit évident de toute éternité que l’on fait l’amour avec le corps né pour mourir, avec le corps de la vie-mort biologique. Mais ce n’est pas si sûr. La tradition chinoise et la tradition indienne, par exemple, voient les choses autrement. D’après ces traditions, un corps subtil double et redouble le corps matériel. Et sans être initié à lui, pas d’érotique. Cela induit un autre commerce avec le corps, beaucoup plus détendu, beaucoup plus léger. Ah, vraiment, l’Occidental gagnerait à ne pas être enfermé dans ses préjugés anatomiques ! S’identifier à une viande qui agonise, quelle prémisse désastreuse ! Cela aboutit à confondre la jouissance avec le plaisir d’organe, avec pour résultat la frustration. Quelle misère ! Vite, un peu de Chine ! Un peu d’Inde ... Un peu de raffinement, de civilisation ... La grande tradition courtoise, qui se prolonge très tard, jusqu’au XVIIIe siècle, avec le libertinage qui la renverse, cette tradition occidentale de l’amour n’avait pourtant rien de rustre. Mais elle est si loin, aujourd’hui. Aussi exotique, au fond, que l’art érotique des Chinois, ou celui des Indiens. L’Occident a gâté le jeu de l’amour, par le triomphe de la science. Contrairement à ce que raconte la propagande, lorsque la science prend la place de la religion chrétienne, Éros s’étiole.

p. 39

Y.H. - Pour décrire ce qui a lieu dans le monde occidental sous le nom de « rapport sexuel », Antonin Artaud a une expression amusante : il parle de « Monsieur Coït Satisfait » et de « Madame Érotique Orgasme ». Il semblerait qu’Artaud ait vu dans le sexuel le lieu même d’un envoûtement. C’est l’un des premiers à comprendre qu’entre un homme et une femme, ce qui a lieu reproduit le conditionnement social ; et que le sexuel, par conséquent, est une modalité de contrôle - une sorte de marquage, un identifiant.

Mais il existe, dans le sexuel, quelque chose d’autre qui ouvre. François vient de parler de la pensée taoïste et de la pensée védique, qui sont des opérations érotiques. Dans 1’« art de la chambre à coucher », comme disent les Chinois, vide et jouissance coïncident ; et cette rencontre dégage une réserve de libre.

Walter Benjamin essayait de trouver ce qu’il appelait « un champ de force entre la Tora et le tao ». Celui à qui apparaîtra ce champ de force sortira de l’envoûtement ; il aura accès à cette jouissance qui interrompt l’emprise - qui libère.

Cette jouissance est sexuelle, mais si elle provient du râle humain, elle ne s’y limite pas : elle est l’autre nom du réveil.
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Vidéo de Yannick Haenel
« Je crois que j'ai organisé ma vie depuis que j'ai commencé à écrire, depuis la fin de l'adolescence, pour atteindre ce point à chaque instant. Je crois que c'est ça, que j'appelle le sacré. Quelque chose qui n'a pas besoin d'un Dieu, d'une transcendance, et encore moins d'une religion. C'est un accès à autre chose que ce que la société nous donne. »
Andrea Poupard est parti à la rencontre de Yannick Haenel, auteur de "Le Trésorier-payeur" (2022) et de "Tiens ferme ta couronne" (Prix Médicis 2017). En avril 2024, Yannick Haenel est également à l'initiative de la revue littéraire "Aventures", dont le premier numéro invite 65 auteurs et autrices à répondre à la question suivante : "Écrivez-vous des scènes de sexe ?"
Ce film a été réalisé en partenariat avec le Master Scénario, Réalisation, Production de l'École des Arts de la Sorbonne Université Paris 1.
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