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David Fauquemberg (Traducteur)
EAN : 9791037107541
176 pages
La Table ronde (14/01/2021)
3.58/5   31 notes
Résumé :
Par un matin glacial de janvier 1967, en pleine guerre civile du Guatemala, un commerçant juif et libanais est enlevé dans une ruelle de la capitale.
Pourquoi ? Comment ? Par qui ?
Un narrateur du nom d'Eduardo Halfon devra voyager au Japon, retourner à son enfance dans le Guatemala des années 1970 ainsi qu'au souvenir d'une mystérieuse rencontre dans un bar miteux - situé au coin d'un bâtiment circulaire - pour élucider les énigmes entourant la vie ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
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Halfon est de la lignee de Modiano. Non qu'il raconte toujours la meme histoire, mais que chacun de ses livres devoile une nouvelle facette d'une histoire qui s'etire et s'etire et devient oeuvre. Une oeuvre ou des biographies romancees de ses parents et ses ancetres cotoient son autobiographie romancee ou revee, s'attachent aux confidences que lui font nombre de personnes rencontrees par hasard, comme si ce juif a tete de rabbin defroque se coltinait partout un confessionnal portatif, a l'isoloir transparent, s'entremelent aux derives de l'histoire avec un petit h de differents pays, de differentes regions, pour aboutir a questionner sans cesse son identite. Ou ses identites. Comment commence ce livre? “J'arrivai au Japon deguise en arabe". Et plus loin: “J'etais au Japon pour participer a un congres d'ecrivains libanais. En recevant l'invitation quelques semaines plus tot, apres l'avoir lue et relue pour etre bien certain qu'il ne s'agissait pas d'une erreur ou d'une plaisanterie, j'avais ouvert l'armoire et y avais trouvé le deguisement libanais – parmi tant d'autres deguisements – herite de mon grand-pere paternel, natif de Beyrouth. Je n'etais encore jamais alle au Japon. Et on ne m'avait encore jamais demande d'etre un ecrivain libanais. Un ecrivain juif, oui. Un ecrivain guatemalteque, bien sur. Un ecrivain latino-americain, evidemment. Un ecrivain d'Amerique centrale, de moins en moins. Un ecrivain des Etats-Unis, de plus en plus. Un ecrivain espagnol, quand il etait preferable de voyager avec ce passeport-la. Un ecrivain polonais, une fois, dans une librairie de Barcelone qui tenait – tient – absolument a classer mes livres dans le rayon devolu a la litterature polonaise. Un ecrivain francais, depuis que j'ai vecu un temps a Paris et que certains supposent que j'y vis encore. Tous ces deguisements, je les garde a portee de main, bien repasses et pendus dans l'armoire. Mais personne ne m'avait jamais invite a participer a quoi que ce soit en tant qu'ecrivain libanais”.

Halfon part donc au Japon. Pour quoi faire? Pour y rencontrer des ecrivains qui l'injurient, en un arabe qu'il ne comprend pas, en tant que juif captieux essayant de miner un colloque d'intellectuels libanais. Pour y croiser une jeune femme qui lui transmettra Hiroshima. Pour y raconter le periple de vie de son grand-pere, installe au Guatemala apres avoir fui le Liban et passe quelques periodes en Corse, a Paris et a New York. Pour essayer de se representer le kidnappage de ce grand-pere par la guerilla guatemalteque et ainsi de decoder un tant soit peu l'histoire de ce pays. La violente, calamiteuse, histoire de ce pays, que le grand-pere (qui s'appelle aussi Eduardo Halfon) resume par: “le Guatemala est un pays surrealiste". le jeune Eduardo, ou l'auteur, est quant a lui plein de commiseration, pour tous ses habitants, de tous bords, tous etant, citant Baudelaire, “alternativement victime et bourreau". Et le recit de ce voyage au Japon est entrecoupe de souvenirs d'enfance, et de rencontres, a Paris avec un archiviste consciencieux, a Guatemala-City avec d'anciens guerilleros.

Tellement d'histoires en si peu de pages! Des histoires qui vont dans tous les sens, pour aboutir a plus de questions que de reponses, pour dessiner la carte, forcement imprecise, d'une identite; pour tracer le cheminement de l'auteur dans sa quete, les differentes directions ou il semble se perdre. Mais est-ce vraiment Halfon qui se cherche, ou tout n'est que fiction? Est-ce qu'il s'invente une ascendance, un passe, une histoire? Pour le lecteur que je suis si c'est fiable ou pas n'a aucune importance, ses parcours, ses affabulations, m'interpellent et la sauce a laquelle il accomode tout cela m'est gouteuse. Son ecriture est addictive et je suis devenu accro. Il donne l'impression de ne jamais arriver nulle part? Pas grave, je partirai toujours en voyage avec lui.
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Un écrivain guatémaltèque , Eduardo Halfon , est invité à un colloque d'auteurs libanais au Japon. L'occasion pour lui de revenir sur l'histoire de sa famille et notamment de son grand père né à Beyrouth, et kidnappé lors de la guerre civile qui secoua le Guatemala à partir des années 60.

Un roman court mais exigeant tellement l'auteur mélange les époques, les personnages . Pour autant, le lecteur lui n'est pas perdu et s'accroche aux phrases avec beaucoup de plaisir , la qualité de la plume n'y étant sans doute pas étrangère.
Le grand père kidnappé , c'est l'histoire dans l'Histoire de ce petit pays où là aussi les USA sont venus foutre le bordel, ce coup ci au prétexte d'aider une compagnie productrice de fruits dont les terres en jachère depuis des années venaient d'être redistribuées.

On dégage un démocrate , on met un tyran au pouvoir et c'est le bazar pour des décennies .

Et Cancion alors , c'est quoi donc ? C'est un personnage du livre , sorte de fil rouge entre ce qui semble être différentes histoires . Un champion lui aussi.
Un bon moment de lecture avec ce qu'il faut de dépaysement, de qualité de plume et d'intérêt de l'histoire.
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«  Peu importait désormais ce que je racontais sur mon grand- Père maternel était vrai ou même pertinent , la seule chose qui importait , c'était de parler de lui sans m'arrêter . »

«  Nul n'ignore que le Guatemala est un pays surréaliste » .

Deux extraits significatifs de ce court roman autobiographique qui pourrait ressembler à ceux de Modiano——revenir indéfiniment sur son histoire familiale——-sauf que beaucoup de points resteront en pointillé , l'auteur brouille les pistes en nous invitant dans les méandres mouvementés de son histoire familiale , la mêlant avec humour et talent au récit national….

Il suit les traces de son grand- Père immigré, un commerçant juif',qui se disait libanais mais qui ne l'était pas, «  enfin pas exactement » au Guatemala , autoritaire , à la voix puissante, mixée d'un fort accent arabe ,un diamant étincelant au doigt.
Ce personnage de roman régnait sur son alcazar jusqu'à son enlèvement un matin froid de janvier 1967, où il est kidnappé par un certain Canción, qui donne son titre au livre, un guérillero au visage d'enfant mais au coeur sanguinaire , de petite taille.
Il s''exprimait sous forme de phrases courtes , cryptiques , sibyllines , poétiques presque…
Le grand-père , né dans une famille juive au Liban , alors sous domination syrienne , fuit le pays en 1917 au plus fort de la Grande Famine du Mont- Liban ,habite un temps à New- York, Haïti puis Paris avant le Guatemala …

Lors de l'enlèvement , ce pays est alors en pleine guerre civile ,,écartelé entre les Forces Armées Rebelles et les dictateurs qui se succèdent , à sa tête , sous la coupe des États - Unis.

La prose est teintée d'ironie et d'humour, l'auteur nous convie dans différents points du globe de Tokyo , où l'auteur narrateur est convié à un colloque en tant qu'écrivain libanais ,,il nous conte l'aventure de ses ancêtres de Beyrouth à Guatemala - Cuedad , en passant par Ajaccio, New- York, Haïti , le Pérou , au Mexique puis Paris …

Vous l'aurez compris , difficile de ne pas lire ce livre d'une traite , sinon on perd le fil , à cause des différents espaces temporels, du cheminement de pensées , de l'embrouillamini de la mémoire familiale, des conversations , de la transmission de la mémoire , au rythme effréné , du fait de passer d'une histoire à une autre , une musique des mots où l'auteur ne cesse d'interroger une histoire récente complexe et brutale de son pays …..explore avec fièvre les rouages de l'identité .
Un livre foisonnant entrelaçant autobiographie et fiction , agréable à lire , étonnant et déroutant mais très difficile à décrypter.
Un auteur que je ne connaissais pas .
Je pense à découvrir ses autres oeuvres .
Publié au Quai Voltaire traduit de l'espagnol par David Fauquemberg.
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Le Guatemala, pays surréaliste

Eduardo Halfon brouille les pistes avec un art consommé. Croyant partir avec son narrateur-auteur à la découverte du Japon, on se trouve aux prises avec la Guerre civile du Guatemala, qui a bien secoué son arbre généalogique.

Habile à brouiller les pistes, Eduardo Halfon nous convie tour à tour dans différents points du globe en ouverture de ce roman étonnant à plus d'un titre. Après Tokyo, où l'écrivain-narrateur est convié à un colloque en tant qu'écrivain libanais, il va nous raconter les pérégrinations de ses ancêtres de Beyrouth à Guatemala Ciudad, en passant par Ajaccio, New York, Haïti, le Pérou, Paris et le Mexique. Ces jalons dans la vie du narrateur et de sa famille lui permet d'endosser bien des costumes. Celui qu'il étrenne à Tokyo étant tout neuf. Invité comme «écrivain libanais», il lui faudra toutefois remonter jusqu'à son grand-père pour offrir semblant de légitimité à cette appellation d'origine. Car ce dernier avait quitté le pays du cèdre depuis fort longtemps – il est du reste syrien – et s'était retrouvé au Guatemala où il avait fait construire une grande villa pour toute la famille.
C'est dans ce pays d'Amérique centrale, secoué de fortes tensions politiques, que nous allons faire la connaissance de Canción, le personnage qui donne son nom au titre du roman. Il s'agit de l'un des meneurs de la guérilla qui combat le pouvoir – corrompu – alors en place. En janvier 1967, avec son groupe, il décide d'enlever le grand-père du narrateur en pleine rue, au moment où il sort de la banque où il a retiré l'argent pour payer les maçons qu'il emploie. Canción va négocier le versement d'une rançon et se spécialiser dans ce type d'opérations, passant à la postérité pour la tentative avortée d'enlèvement de l'ambassadeur américain, John Gordon Mein. Car le diplomate tente de s'enfuir et est alors «aussitôt mitraillé par les guérilleros. Huit blessures par balles dans le dos, détaillerait le juge après l'autopsie.» C'est alors que Canción gagne son surnom: le Boucher (El Carnicero).
Avec humour et ironie, Eduardo Halfon montre que durant toutes ces années de guerre civile, il est bien difficile de juger où est le bien et le mal, chacune des parties comptant ses bons et ses mauvais éléments. Si l'on trouve légitime de s'élever contre un pouvoir corrompu, soutenu par les Américains et leur United Fruit Company, pratiquement propriétaire de tout le pays, on peut aussi se mettre à la place de cette famille qui a immigré là pour fuir d'autres conflits et se retrouve, bien malgré elle, au coeur d'un autre conflit. D'autant qu'elle va se retrouver accusée par le pouvoir d'avoir financé les forces armées rebelles en payant la rançon. Pour appuyer cette confusion, l'auteur n'hésite pas à passer, au fil des courts chapitres, dans une temporalité différente. de Tokyo à la guerre civile et à une conversation dans un bar où l'on évoque les chapitres marquants de l'épopée familiale. le fait que le grand-père et son petit-fils s'appellent tous deux Eduardo Halfon n'arrangeant pas les choses! On file en Pologne pour parler des origines juives, puis au Moyen-Orient qui ne sera pas un refuge sûr avant d'arriver dans un pays «surréaliste», le Guatemala. Il est vrai qu'entre coups d'État, dictature, guérilla, ingérence américaine et criminalité galopante, enlèvements et assassinats, cette guerre civile qui va durer plus de quarante ans offre un terreau que le romancier exploite avec bonheur, tout en grimpant dans les arbres de son arbre généalogique à la recherche d'une identité introuvable.
Le tout servi par un style foisonnant, échevelé qui se moque de la logique pour passer d'une histoire à l'autre et donner une musicalité, un rythme effréné à ce roman où il sera même question d'amour. Voilà une nouvelle version de la sarabande d'Éros et Thanatos, luxuriante et endiablée.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Eduardo Halfon, auteur guatémaltèque nous raconte dans ce court roman l'enlèvement de son grand-père immigré juif libanais au Guatemala en 1967.


Grâce à ce livre, je m'attendais à en apprendre davantage sur l'histoire du Liban et du Guatemala. Autant le dire de suite, cet objectif-là est manqué : Ici on n'apprendra rien sur l'histoire du Liban et bien peu de choses sur celle du Guatemala. L'auteur lui-même avoue avec une certaine auto-dérision être un complet imposteur, un "Libanais" qui n'a jamais mis les pieds au Liban et dont le grand-père a quitté le pays quand la région était encore syrienne. Si la guerre civile au Guatemala est évoquée, c'est presque uniquement par le petit bout de la lorgnette et l'on sent un certain malaise, mélange d'attraction et de répulsion vis à vis des guérilleros marxistes qui furent responsables de l'enlèvement du grand père et dont l'un d'eux, Canción, donne son nom au présent ouvrage. Avant tout, le livre nous parle avec justesse d'histoire familiale et de la quête d'identité de son auteur.


Si l'histoire racontée par le livre ne m'a pas transcendé (c'est sans doute le propre des histoires familiales d'être imprécises, de laisser beaucoup de questions en suspens et de ne pas fournir les rebondissements qu'on attendrait dans un roman fictionnel), j'ai en revanche beaucoup apprécié la très belle prose d'Eduardo Halfon teintée d'un humour discret mais efficace. C'est pour moi, le principal point fort du livre et ce qui en fait une lecture agréable. Ce style fin et l'auto-dérision qui l'accompagne m'ont d'ailleurs rappelé (et ce n'est pas là un mince compliment) l'écriture d'Umberto Eco.


Voilà donc un livre sympathique sans être inoubliable dont, une fois n'est pas coutume, j'ai davantage apprécié la forme que le fond. Un grand merci aux éditions La Table ronde pour ce roman reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.
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critiques presse (4)
Liberation
20 octobre 2021
A travers l’histoire de Canción, le guérillero boucher et la sublime Sara qui le garde en captivité, l’auteur retrace magnifiquement la complexité de celui que l’on surnommait «Turc» comme tous les Arabes.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeMonde
29 mars 2021
L’écrivain, né à Guatemala City, a grandi aux Etats-Unis et vit en Europe. Ce puzzle familial et ces exils forment la matière de son œuvre, qui se poursuit dans « Cancion ».
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeSoir
19 mars 2021
Halfón a raison d’écrire, comme il le fait en fin de roman, que ses histoires donnent « toujours l’impression de s’égarer, de ne mener nulle part ».
Lire la critique sur le site : LeSoir
LaCroix
12 mars 2021
Conteur hors pair, Eduardo Halfon poursuit avec ce récit son exploration familiale douce-amère sur les traces de son grand-père, enlevé au Guatemala un hiver de 1967.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Tu as tout bu, ma chérie ? demanda-t-il.
La mère de Bérénice s’essuya les lèvres, prit un air affligé et répondit que oui, presque tout, qu’elle n’avait laissé que le marc humide.
Au fond de ta tasse, dit-il, repose un soixantième du café.
Comment ça, un soixantième ? s’étonna-t-elle.
L’oncle Salomon plissa un peu ses yeux et son front, et lui répondit que, selon les discussions rabbiniques du Talmud, le feu représente un soixantième de l’enfer, le miel un soixantième de la manne, le shabbat un soixantième du monde à venir, le sommeil un soixantième de la mort et les rêves un soixantième de la prophétie.
J’ai compris, dit-elle.
Au ton de sa voix, j’eus l’impression que la mère de Bérénice n’était pas habituée ou n’appréciait pas cette manière de parler de l’oncle Salomon, à la fois paradoxale et parabolique.
Pose la soucoupe sur ta tasse, lui dit-il, mais à l’envers.
La salle à manger s’était remplie d’enfants et d’adultes. Nous étions debout pour la plupart, tout près de l’oncle Salomon.
Bien, dit-il. Maintenant soulève la tasse et la soucoupe et tout doucement, avec précaution, fais tourner le tout trois fois, vers ta gauche. C’est-à-dire, dans le sens contraire des aiguilles d’une montre.
Il y eut un silence. La mère de Bérénice, comptant à voix haute avec un sourire nerveux, fit tourner trois fois la tasse, tandis que depuis son lit d’appoint de l’étage supérieur, le Nono manifestait lui aussi sa présence.
Très bien, dit l’oncle Salomon. Maintenant, toujours avec précaution, et toujours en tenant la tasse dans ta main droite, pose ta main gauche sur la soucoupe. Comme ça, oui. Et là, d’un seul mouvement rapide, je veux que tu retournes le tout, vers le bas.
Comment ça, tout retourner vers le bas ? La tasse et la soucoupe, ensemble?
C’est ça, oui, ensemble. Pour que la tasse se retrouve à l’envers, sur la soucoupe. Sans rien renverser, tu comprends ?
Oui, oui, dit-elle et, après avoir soupiré, elle parvint à retourner la tasse et sa soucoupe sans que rien ne tombe.
Quelqu’un applaudit.
Voilà, c’est terminé, ma chérie, tu peux poser tout ça sur la table, chuchota l’oncle Salomon, calmement, en sortant un paquet blanc de la poche intérieure de sa veste en daim. Et à présent une cigarette, dit-il, le temps d’attendre que le marc sèche et se dépose, et qu’il nous apprenne quelque chose.
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(C'etait Lutvic qui, dans un commentaire, m'avait envoye un souhait, un vieux dicton des Balkans. J'ai trouve sa version judeo-espagnole dans ce livre. Je m'empresse donc de le lui rendre.)

Bérénice était venue de Buenos Aires avec ses parents pour rendre visite au Nono. C’est ainsi que nous appelions le mari d’une des sœurs de ma grand-mère, Nono, un vieux à la chevelure blanche et aux gestes lents et tendres. Je me souviens de quatre choses le concernant. Un : c’était un inconditionnel des westerns. Deux : bivas, kreskas, engrandeskas, komo un peshiko en aguas freskas – vis, grandis et forcis comme un poisson en eau claire –, amén, disait-il en ladino, sa langue maternelle (il était né à Salonique, en Grèce), dès que quelqu’un éternuait.
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INCIPIT
J’arrivai à Tokyo déguisé en Arabe. Un petit comité d’accueil de l’université m’attendait à la sortie de l’aéroport, bien qu’il fût minuit passé. Un des professeurs japonais, le chef à l’évidence, fut le premier à me saluer en arabe, et je me contentai de lui sourire, par politesse autant que par ignorance. Une jeune fille, l’assistante du chef ou peut-être une étudiante de troisième cycle, portait un masque chirurgical blanc et des sandales si délicates qu’elle semblait aller pieds nus ; elle n’arrêtait pas de courber le front devant moi, en silence. Un autre professeur, dans un mauvais espagnol, me souhaita la bienvenue au Japon. Un de ses collègues, plus jeune, me serra la main puis, sans la relâcher, m’expliqua en anglais que le chauffeur officiel du département de l’université allait me conduire à l’hôtel afin que je puisse me reposer avant la rencontre du lendemain matin. Le chauffeur, un vieil homme courtaud et grisonnant, portait une tenue de chauffeur. Après avoir récupéré ma main et les avoir tous remerciés en anglais, je pris congé en imitant leurs gestes révérencieux et suivis dehors le vieil homme courtaud et grisonnant, qui m’avait devancé sur le trottoir et marchait d’un pas nerveux sous un léger crachin.
Nous fûmes en un rien de temps à l’hôtel, qui se trouvait à deux pas de l’université. Du moins, c’est ce que je crus comprendre dans la bouche du chauffeur, dont l’anglais était encore pire que les cinq ou six mots d’arabe que je maîtrisais. Je crus aussi l’entendre dire que ce quartier de Tokyo était connu pour ses prostituées ou pour ses cerisiers, ce n’était pas très clair, et je n’osai pas demander. Il se rangea devant l’hôtel et, moteur allumé, descendit de voiture, courut ouvrir le coffre, posa mes affaires devant la porte d’entrée (tout cela, eus-je l’impression, avec la précipitation de qui a une forte envie d’uriner) et me laissa en murmurant quelques mots d’adieu ou de mise en garde.
Je restai planté sur le trottoir, déconcerté mais content d’être là, enfin, dans le vacarme lumineux de la nuit japonaise. Il avait cessé de pleuvoir. L’asphalte noir luisait d’un éclat de néon. Le ciel était une immense voûte de nuages blancs. Je songeai que marcher un peu me ferait du bien avant de monter dans ma chambre. Fumer une cigarette. Me dégourdir les jambes. Respirer le jasmin de la nuit encore tiède. Mais j’eus peur des prostituées.

J’étais au Japon pour participer à un congrès d’écrivains libanais. En recevant l’invitation quelques semaines plus tôt, après l’avoir lue et relue pour être bien certain qu’il ne s’agissait pas d’une erreur ou d’une plaisanterie, j’avais ouvert l’armoire et y avais trouvé le déguisement libanais – parmi tant d’autres déguisements – hérité de mon grand-père paternel, natif de Beyrouth. Je n’étais encore jamais allé au Japon. Et on ne m’avait encore jamais demandé d’être un écrivain libanais. Un écrivain juif, oui. Un écrivain guatémaltèque, bien sûr. Un écrivain latino-américain, évidemment. Un écrivain d’Amérique centrale, de moins en moins. Un écrivain des États-Unis, de plus en plus. Un écrivain espagnol, quand il était préférable de voyager avec ce passeport-là. Un écrivain polonais, une fois, dans une librairie de Barcelone qui tenait – tient – absolument à classer mes livres dans le rayon dévolu à la littérature polonaise. Un écrivain français, depuis que j’ai vécu un temps à Paris et que certains supposent que j’y vis encore. Tous ces déguisements, je les garde à portée de main, bien repassés et pendus dans l’armoire. Mais personne ne m’avait jamais invité à participer à quoi que ce soit en tant qu’écrivain libanais. Et devoir me faire passer pour un Arabe l’espace d’une journée, dans un congrès organisé par l’université de Tokyo, me paraissait peu de chose si cela me permettait de découvrir ce pays.

Il a dormi dans son uniforme de chauffeur. C’est ce que je me dis en le voyant planté debout à côté de moi, tranquille, impassible, attendant que j’aie terminé mon petit déjeuner pour me conduire à l’université. Le vieux avait les mains dans le dos et ses yeux gonflés fixaient un point précis du mur, devant nous, dans la cafétéria de l’hôtel. Il ne me salua pas. Ne m’adressa pas un seul mot. Ne me pressa pas. Mais tout son être évoquait un globe rempli d’eau sur le point d’éclater. Et donc, je ne le saluai pas non plus. Je me contentai de baisser les yeux et continuai de déjeuner aussi lentement que possible, en relisant mes notes sur un papier à en-tête de l’hôtel, et en répétant à voix basse les différentes manières de dire merci en arabe. Choukran. Choukran lak. Choukran lakoum. Choukran jazilen. Puis, quand j’eus fini de boire ma soupe miso, je me levai, adressai un sourire au globe noir et blanc planté à côté de ma table, et allai me resservir.

Mon grand-père libanais n’était pas libanais. J’ai commencé à le découvrir ou à le comprendre il y a quelques années, à New York, alors que je cherchais des pistes et des documents concernant son fils aîné, Salomon, mort tout petit non pas dans un lac, comme on me l’avait raconté lorsque j’étais enfant, mais là-bas, dans une clinique privée de New York, et enterré dans l’un des cimetières de la ville. Je n’ai trouvé aucun document concernant le jeune Salomon (pas un seul, rien, comme s’il n’était pas mort là-bas, dans une clinique privée de New York), mais j’ai trouvé en revanche le livre de bord – l’original, en parfait état – du bateau qui avait débarqué mon grand-père et ses frères à New York, le 7 juin 1917. Ce bateau s’appelait le SS Espagne. Il avait appareillé à Ajaccio, la capitale corse, où tous les frères avaient débarqué avec leur mère après s’être enfuis de Beyrouth (quelques jours ou quelques semaines avant de partir pour New York, ils l’avaient enterrée en Corse, mais encore aujourd’hui, nul ne sait de quoi est morte mon arrière-grand-mère, ni dans quel recoin de l’île se trouve sa tombe). Mon grand-père, ai-je pu lire dans le livre de bord du bateau, avait alors seize ans, il était célibataire, savait parler et lire le français, travaillait comme vendeur (Clerk, tapé à la machine) et était de nationalité syrienne (Syrian, tapé à la machine). Juste à côté, dans la colonne Race or People, le mot Syrian était également tapé à la machine. Mais ensuite, le fonctionnaire de l’immigration avait corrigé son erreur ou s’était ravisé : il avait barré cette mention et juste au-dessus, à la main, avait inscrit le mot Lebanon. Mon grand-père disait toujours, en effet, qu’il était libanais, précisai-je dans le microphone qui fonctionnait à peine, bien que le Liban, en tant que pays, n’eût été créé qu’en 1920, c’est-à-dire trois ans après le départ de Beyrouth de mon aïeul et de ses frères. Jusqu’à cette date, Beyrouth faisait partie du territoire syrien. Donc, d’un point de vue juridique, ils étaient syriens. Ils étaient nés syriens. Mais ils se disaient libanais. Peut-être pour une question de race ou de groupe ethnique, comme il était écrit dans le livre de bord. Peut-être pour une question d’identité. Ainsi, je suis le petit-fils d’un Libanais qui n’était pas libanais, lançai-je au public japonais de l’université de Tokyo, et je repoussai le micro. Respectueux ou dérouté – lequel des deux, je l’ignore –, le public japonais resta muet.
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La Roge. C'est ainsi que ses proches et ses amis appelaient Roselia Cruz. En 1958, âgée de dix-sept ans, alors qu'elle achevait ses études à l'Instituto Normal de Senoritas Belén, une école normale d'institutrices, elle fut élue Miss Guatemala. L'été suivant, elle se rendit à Long Beach en Californie — son premier et unique voyage à l'étranger — pour participer au concours de Miss Univers. Elle ne l'emporta pas. Mais dans son discours, vêtue de l'habit traditionnel maya, elle critiqua l'intervention au Guatemala du gouvernement américain, qui, en juin 1954, avait orchestré et financé le renversement du président Jacobo Arbenz — le deuxième président démocratiquement élu de l'histoire du pays.
Arbenz, également connu sous le surnom de Blondin (El Chelon) ou Le Suisse (El Suizo), déclara dans son discours d'investiture que le Guatemala était régi par un système économique de type féodal et, en 1952, il entreprit de mettre en œuvre sa loi de réforme agraire, le fameux Décret 900, dont l'objectif essentiel — proclamait-il — était de développer l'économie capitaliste des paysans. Des paysans décimés par la misère et la famine (selon le recensement de cette année-là, 57% d'entre eux ne possédaient aucune terre ; 67% mouraient avant l'âge de vingt ans). Première mesure de cette réforme agraire : mettre fin au système féodal toujours en vigueur dans les campagnes (sont abolies, détaillait le décret, toutes les formes de servitude et, par conséquent, toute prestation personnelle non rémunérée de la part des paysans). Deuxième mesure : s’octroyer le droit d’exproprier les terres en friche — c'est-à-dire seulement les terres improductives — contre une indemnisation sous forme de bons, et redistribuer ces propriétés aux pauvres et aux nécessiteux, indigènes et paysans. En 1953, Arbenz expropria ainsi quasiment la moitié des terres en friche d’un des principaux propriétaires terriens du pays, la United Fruit Company - bien que possédant plus de la moitié des terres cultivables du Guatemala, elle en exploitait moins de 3% -, terres dont l’entreprise bananière américaine avait hérité gratuitement en 1901, cadeau du président et dictateur Manuel Estrada Cabrera. La United Fruit Company ne tarda pas à réagir. Par l'intermédiaire des frères Dulles (John Foster Dulles, alors secrétaire d'État des États-Unis, et Allen Dulles, alors directeur de la CIA, avaient travaillé comme avocats au service de la multinationale et siégeaient désormais à son conseil d’administration), elle fit pression sur le gouvernement du président Eisenhower, et Arbenz fut promptement renversé dans le cadre d’une opération de la CIA baptisée OPÉRATION PBSUCCESS. Le pays bascula alors dans une spirale de gouvernements répressifs, de présidents militaires, de militaires génocidaires, et dans un conflit armé interne qui allait durer près de quatre décennies (John Foster Dulles, pendant ce temps-là, était désigné Personnalité de l'année 1954 par Time Magazine). p. 80-83
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Nul n'ignore que le Guatemala est un pays surréaliste.
C'est par ces mots que s'ouvre la lettre de mon grand-père publiée dans Prensa Libre, l'un des principaux journaux du pays, le 8 juin 1954, trois semaines avant le renversement d'Arbenz. p. 83
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Eduardo Halfon - "Signor Hoffman" et "Le boxeur polonais" .Eduardo Halfon vous présente son ouvrage "Signor Hoffman" et "Le boxeur polonais" parus aux éditions Quai Voltaire. Retrouvez les livres : http://www.mollat.com/livres/halfon-eduardo-boxeur-polonais-9782710375616.html http://www.mollat.com/livres/halfon-eduardo-signor-hoffman-9782710376163.html http://www.mollat.com/livres/halfon-eduardo-pirouette-9782710369745.html http://www.mollat.com/livres/halfon-eduardo-monastere-9782710370833.html Notes de Musique : "Dream Culture" par Kevin MacLeod (http://incompetech.com) https://www.facebook.com/Librairie.mollat/ https://twitter.com/LibrairieMollat http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/ https://vimeo.com/mollat https://instagram.com/librairie_mollat/ https://www.pinterest.com/librairiemollat/ http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ https://soundcloud.com/librairie-mollat http://blogs.mollat.com/
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