Je ne lis pas beaucoup de livres politiques. Quand je le fais, je me penche toujours vers des hommes ou des femmes que j'ai un certain potentiel à admirer, car j'ai l'impression de passer ainsi un temps en leur compagnie et de pouvoir m'inspirer de leur engagement.
Gisèle Halimi est décédée en juillet 2020, en pleine période de la pandémie, et n'a sans doute pas eu tous les hommages qu'elle aurait mérité. Née en Tunisie, ayant fait ses études de droit en France, elle revient s'établir à Paris comme avocate en 1956. Elle est alors de tous les combats du féminisme naissant (dépénalisation puis droit à l'avortement, criminalisation du viol), ce qui lui donne une aura médiatique certaine. Elle se lance alors en politique aux côtés de François Mitterand et est élue à l'assemblée en 1981. C'est cette confrontation à la politique qui est la source de cette nouvelle cause des femmes, après la lutte pour le droit à l'avortement qui était le sujet central du premier livre sur
la cause des femmes.
En effet,
Gisèle Halimi, voit débarquer lors de la première séance, dans l'hémicycle qu'elle vient d'intégrer, le flot des hommes ultra majoritaires dans cette assemblée. Elle prend conscience que les femmes n'y représentent finalement que 5 %, elles qui constituent tout de même 50 % de l'humanité. Son nouveau combat est tout trouvé, la parité.
Elle nous fait partager cet engagement, de la première idée des quotas aux municipales qui lui sera retoqué par un Conseil Constitutionnel qui décrit les femmes comme une simple « catégorie » de citoyen. La majeure partie du livre évoque ensuite l'Observatoire de la parité auquel elle participe sous le gouvernement Juppé. Au sein de cette organisme, elle nous convie avec elle aux auditions des différents spécialistes (historiens, juristes, philosophes, hommes et femmes politiques, journalistes, constitutionnalistes) afin d'évaluer l'intérêt et la faisabilité de cette parité.
Gisèle Halimi est une passionnée, une femme convaincue de la justesse de ses combats. Elle passe de fait plus de temps à détailler la pensée de ceux qui vont dans le sens de cette évolution de l'histoire, mais elle n'élude pas complètement les réticences de certains, plus particulièrement les constitutionnalistes et… certaines femmes politiques ou journalistes elles-mêmes, sans doute surprises et déçues qu'il faille en passer par une modification de la constitution pour permettre à des femmes de s'imposer face aux hommes. Par les différentes interventions, le livre démontre la force de ce patriarcat, renforcé par une Révolution Française qui aura surtout servi à placer de nouveaux hommes aux manettes, et aura finalement enlevé du pouvoir aux femmes qui étaient beaucoup plus influentes dans la noblesse qu'elles ne le furent dans les débuts de la République (rappelons que le vote des femmes n'a été autorisé qu'en 1945…).
Remarque tout de même, on se dit qu'en moins de 30 ans le propos de
Gisèle Halimi a beaucoup vieilli… sur la question du genre. Elle énonce l'évidence que les genres sont deux, que l'humanité ne se conçoit qu'à travers les deux sexes qui constituent la condition de sa perpétuation. Elle serait systématiquement contredite aujourd'hui par les militants LGBTQ+ qui pointeraient son binarisme face à cette question. Il est assez intéressant de voir que c'est cette affirmation du binarisme qui est l'arme principale pour justifier le combat de la parité, et que sans lui ce combat féministe n'aurait sans doute pas abouti. Les militants d'aujourd'hui reprochent parfois à certaines féministes de refuser l'ouverture des droits à toutes les minorités sexuelles, mais ils semblent oublier que ces mêmes droits ont été conquis très récemment, et que l'argument que les femmes constituent la moitié de l'humanité a finalement été le plus pertinent pour faire reconnaitre l'évidence que cette moitié ne pouvait être plus longtemps totalement écartée des lieux du pouvoir.
Finalement, on se félicite de voir aujourd'hui que le combat de
Gisèle Halimi aura porté des fruits productifs. En effet, alors que 10% à peine des femmes constituaient le Parlement élu au moment de la parution du livre, elles sont aujourd'hui 40 %. Les différentes évolutions constitutionnelles (1999) ou législatives (2000 puis 2013) ont permis que le chemin vers la parité soit clairement amorcé, même s'il n'est pas totalement gagné. Et les militantes d'aujourd'hui, plutôt que de critiquer un manque d'ouverture des féministes les plus anciennes, devraient s'inspirer de leur force de caractère, elles qui n'avaient presque rien comme droits quand elles commencèrent leur lutte et qui parvinrent à renverser l'ordre établi.