Les bouleversements et les questionnements provoqués par la renaissance en Europe se sont en particulier manifestés par des interrogations sur le langage et sur le discours. Ce livre évoque ces questionnements. le centre de gravité est constitué par le livre d'Emanuele Tesauro, un jésuite italien du XVIIe siècle, le Cannocchiale aristotelico, dont le petit livre organisé par
Yves Hersant donne des extraits.
Mais avant d'aborder le livre de Tesauro, nous sont présentés des textes antérieurs qui permettent de mieux saisir son originalité et ses conceptions particulières.
Aristote tout d'abord, en quelque sorte à l'origine des questions concernant la
rhétorique et la métaphore. Mais ces concepts vont être réinterprétés et poussés d'une certaine façon à une forme extrême dans l'Italie de la fin du XVIe et début XVIIe siècle. La
rhétorique des rhéteurs devient une
poétique philosophique, la poésie est dotée d'une valeur cognitive. L'éclat du style est privilégié, il s'agit de provoquer la surprise, le choc et permettre une saisie intuitive du monde, source d'émerveillement et de plaisir intellectuel. Une manière de s'exprimer artificielle, éloignée de son référant, d'une certaine façon codée, qui oblige le lecteur à chercher le sens et ne pas toujours le trouver, est privilégiée. Il s'agit d'établir des connexions qui ne sont pas « naturelles », de mettre en jeu une inventivité de l'orateur ou de l'écrivain : la maîtrise de la parole amenant en quelque sorte à celle du monde.
L'oeuvre de Tesauro se place dans ce contexte : elle propose une théorie de la finesse, de la qualité du style et de pensée qui fait briller les arguments. Et c'est la métaphore qui tout naturellement a la première place, et devient le centre du livre. Faisant éclater le cadre rigide de la
rhétorique classique, Tesauro privilégie un libre élan créatif, manifeste une volonté de séduction dans laquelle le langage impose son modèle à la nature. La pensée logique est suspecte, grâce à la métaphore, aux images dont elle peut être porteuse, aux émotions qu'elle provoque, à la surprise et à l'émerveillement qu'elle suscite, il s'agit de saisir intuitivement un sens. La métaphore établit des relations, entre des objets parfois très distants, et par là devient l'acte intellectuel par excellence. Au-delà d'un mot, elle peut régir un discours entier. Métaphoriser devient créer et la Création elle-même est métaphore, elle rend au final l'homme égal à Dieu.
Cette vision baroque du langage et de la pensée va vite se heurter à des vives résistances, en particulier en France. Un rejet du « galimatias », une idéologie de la clarté, vont s'exprimer ; le classicisme va limiter et condamner la métaphore. La pensée analogique devient suspecte, c'est sur des démonstrations logiques, en dehors des séductions et des beautés des mots et des images que doit se construire un raisonnement qui aspire au vrai. La métaphore perd son statut philosophique, pour devenir un pur ornement, suspect et trompeur.