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3,51

sur 4030 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
J'ai lu avec une sorte de plaisir gourmand cet ouvrage qui a déjà provoqué beaucoup de commentaires, de réactions et de polémiques, parfois de haut niveau. C'est donc avec modestie et sincérité que je me permets de dévoiler ce qui m'a plu.

J'ai aimé la fluidité de l'écriture. La syntaxe, très maîtrisée, s'accommode fort bien de phrases à rallonges fantasques, de passages en langage parlé, ainsi que de l'insertion cocasse d'expressions en usage dans la pub, les commentaires d'actualité ou les bulletins météo.
J'ai aimé retrouver dans le narrateur le personnage houellebecquien classique, commentateur lucide mais "résigné et apathique" du déclin de la société, qui aménage sa petite survie matérielle, son petit confort, ses petits plaisirs. Comme dans Extension du domaine de la lutte, il observe que la capacité de séduction des hommes dépend de leur position sociale et il s'en accommode personnellement, sans fausse honte, avec un pragmatisme désabusé.
J'ai n'ai pu m'empêcher de rire aux commentaires absolument fracassants sur des hommes politiques nommément cités.
Quelques passages sont très très crus... C'est Houellebecq. On sourit en imaginant certaines réactions de lecteurs (-trices).

Et j'ai suivi avec intérêt le fil de cette fiction d'anticipation, qui voit un parti "islamiste modéré" prendre démocratiquement le pouvoir en France et, sous couvert de déclarations d'ouverture et de tolérance bienveillantes, imposer en douceur un mode de vie inspiré des sociétés arabo-musulmanes les plus traditionnelles du Moyen Orient : éducation religieuse, suprématie masculine, polygamie.
Quelques soient ses convictions, religieuses ou non – et je pense que c'est aussi vrai pour les Français de confession musulmane –, on est forcément hérissé lorsque les défenseurs du nouveau régime, fraîchement convertis, en font valoir tous les avantages. Avantages surtout pour les hommes, apparemment prêts à vendre leur médiocre âme faustienne et "à leur maître complaire" comme un certain chien chez La Fontaine.
Soumission des hommes, donc. Pour la résistance, il faudra compter sur les femmes. Aux armes, citoyennes !

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Au 19e siècle, Huysmans se convertit au catholicisme, au 21e siècle, François se convertit à l’islam. On peut invoquer toutes les raisons les plus légitimes et sérieuses pour expliquer un revirement religieux, mais il semblerait que les vraies raisons soient d’une trivialité qui ferait honte à n’importe quel homme. Elles tiennent à peu de choses : le choix insouciant d’un sujet de thèse, la confortable léthargie qui suit un repas de confit de canard, l’ennui.


Avant François, René Guénon s’était déjà converti à l’islam. Michel Houellebecq, qui semble s’être intéressé à l’histoire des religions et à l’ésotérisme, nous rappelle que le passage du christianisme à l’islam est souvent envisagé comme un phénomène naturel.


« Le véritable ennemi des musulmans, ce qu’ils craignent et haïssent par-dessus tout, ce n’est pas le catholicisme : c’est le sécularisme, la laïcité, le matérialisme athée. Pour eux les catholiques sont des croyant, le catholicisme est une religion du Livre ; il s’agit seulement de les convaincre de faire un pas de plus, de se convertir à l’islam : voilà la vraie vision musulmane de la chrétienté, la vision originelle. […]"


Le plus rationaliste de ces penseurs, le théoricien des cycles Jean-Charles Pichon, nous a fait découvrir dans son Histoire des mythes ou dans L’homme et les Dieux une humanité qui se construit dans la succession des mythes et des religions, depuis des millénaires. Michel Houellebecq écrit d’ailleurs que nous vivons peut-être une étape où le « combat [est] nécessaire pour l’instauration d’une nouvelle phase organique de civilisation ». Ce combat ne peut plus être mené au nom du christianisme qui arrive à son terme, après un mois précessionnel de bons et loyaux services, de transformations et de catastrophes, de croisades sanglantes et de dérision scientifique. Comme le christianisme avait déjà supplanté le judaïsme, l’islam supplanterait à présent le christianisme. Même si nous bénéficions aujourd’hui d’une connaissance généralisée et plutôt globale de l’histoire de notre civilisation, cette connaissance se limite essentiellement aux deux derniers millénaires de notre Occident. Nous ne connaissons vraiment bien qu’un seul paradigme, et tout changement nous fait frissonner.


Que craignent le plus les hommes ? Le changement de paradigme religieux, ou la violence que suppose tout changement ? La violence du changement provient-elle de nouveau modèle imposé, ou de notre résistance à tout changement ? Pour Michel Houellebecq, la réponse est la dernière. Si nous y mettions un peu de bonne volonté, tout pourrait se passer assez calmement, sans grands massacres, sans triperies ni sanglantes fariboles. François, le personnage de Soumission, se résigne ainsi à accepter le grand changement. Il s’en fout, de toute façon, la société moderne ne lui procurait plus beaucoup de satisfactions et puis, surtout, François s’entend vivre. Ce n’est pas un personnage déprimé ni déprimant. Il jouit encore de la possession de toute son énergie physique, il aime les repas copieux et fait l’amour avec plaisir, malgré la tristesse que lui inspire une société pornographique et sans imagination. Oui, tout n’est pas parfait, non pas parce que François est un minable, mais parce que les moyens de se réaliser offerts ici-bas sont avares. François constate que la civilisation occidentale s’épuise et ne propose plus rien de vrai. C’est une impasse, mais il se pourrait bien qu’une nouvelle voie s’ouvre bientôt.


Michel Houellebecq n’affirme pas que l’islam va et doit bientôt supplanter le christianisme. Cela ne se fera peut-être même jamais en dépit de tout le confort que nous apporterait une théorie rationnelle de la succession des cycles. Michel Houellebecq écrit un roman, pas un essai. Il part de l’hypothèse que l’islam supplante bientôt le christianisme en faisant victoire dans un parti politique pour proposer une manière intelligente de se comporter, loin de toute islamophobie. On comprend que les média, excités quant à eux lorsqu’ils dénoncent l’islam comme un bouc-émissaire, récupèrent le roman de Houellebecq avant que les lecteurs n’aient eu le temps de le lire pour le réduire en miettes. De bouche à oreille, l’idée se répand que le dernier livre de Houellebecq serait raciste et belliqueux, alors qu’il se situe par-delà le bien et le mal des convictions religieuses, morales et culturelles. L’Histoire a peut-être un sens, une direction qu’elle doit atteindre, de gré ou de force. Dans ce cas, le mieux que nous puissions faire serait encore d’accepter d’abandonner nos systèmes de croyance et de fonctionnement des deux derniers millénaires pour laisser place à autre chose. Michel Houellebecq nous propose d’abandonner notre volonté de lutter et notre sale manie de brandir à toute occasion nos quelques ridicules prétentions temporelles pour permettre aux nécessités de l’éternel de se manifester. C’est une expérience d’humilité à laquelle il nous convie. Elle semblera peut-être totalement inconsciente, et elle l’est en effet si l’on considère que nos réalisations politiques et scientifiques contiennent de l’or en barre, un truc extatique qu’on ne devrait jamais toucher sous peine de provoquer la disparition de l’humanité. Mais il faut bien l’admettre, lorsqu’on se tourne vers notre lointain passé : l’humanité semble avoir survécu à nombre d’autres événements bien plus dramatiques.


Avec Soumission, Michel Houellebecq prouve qu’il est lui-même un homme de changement. On le connaissait désespéré, drôlement cynique et pessimiste, on le découvre ici plus apaisé, avec l’espoir d’une solution. Finalement, l’homme est né pour être heureux et se contenter de plaisirs simples. Parfois, il est bon pour lui de ne pas trop réfléchir, de ne pas trop s’attacher à sa culture, de ne pas croire qu’elle fait partie prenante de sa personnalité. Il demande que l’homme accepte de se laisser flotter. Autrefois, Michel Houellebecq constatait L’extension du domaine de la lutte, maintenant il s’en fout, il en est sorti. C’est-à-dire que l’homme ne risque jamais d’être heureux en s’emprisonnant dans le dogme de ses idées. François, lui, bénéficie d’une remarquable souplesse et ouverture d’esprit, il tient bien peu au narcissisme de ses petites différences, et la vie le récompense finalement pour cette disponibilité face à l’éternel.
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Je ne ferai pas de vraie critique sur ce livre car elles sont déjà nombreuses et de qualité...
Juste un commentaire car j'ai bien aimé cette histoire fiction et je suis surprise qu'elle ait suscité autant de polémiques !
Evidemment, le livre est sorti à un très mauvais moment.
Certes, le sujet est provocateur mais intéressant. Un héros attachant, déprimé, accro à l'alcool et à la clope. Une réflexion sur la religion et le politique. Quelques scènes de sexe comme il se doit chez Houellebecq.
J'ai trouvé que c'était bien écrit. Je ne suis pas particulièrement fan de cet auteur mais j'avais beaucoup aimé "les particules élémentaires" et ce roman est pour moi, un bon cru.
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J'ai beaucoup aimé ce roman, il fait réfléchir, sans nul doute... Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à ce que Huysmans en soit le fil rouge, mais l'auteur mêle avec une grande habileté la littérature et les considérations politiques.
Je continue à penser que Houellbecq est l'un des génies de notre époque. Certains passages sont incroyablement drôles, il y a des fulgurances, des moments qui sonnent tellement justes...
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le livre vaut le coup d'être lu mais n'est pas le meilleur de l'auteur.

D'un point de vue littéraire, le style est incertain et chaotique durant les 70 premières pages et il faut vraiment attendre la moitié du livre pour se sentir porté dans la lecture.
Je n'ai pas aimé du tout les premières pages et ai dû attendre une journée avant de me relancer (apartés entre parenthèses à toutes les lignes). A croire que c était volontaire de la part de MH de cacher son talent derrière une hideuse façade !

Ensuite on retrouve le style efficace qui claque avec des envolées lyriques et intellectuelles puissantes. Merci.
A plusieurs reprises, MH retombe dans une forme de facilité. On pourra citer les scènes de cul sans intérêt et dont le cynisme est forcé alors qu'elles étaient amusantes dans ses livres précédents. Bref la corde a été usée.

Sur le fond, j'ai bien aimé. L'anticipation est intéressante, surtout dans le dernier quart du livre. Les échanges avec Robert Rédiger sont savoureux. le croisement des idées de Huysmans avec le contexte de l'anticipation est riche. 
Je n'ai pas d'avis politique : le livre est riche et MH contribue à nous asticoter intelligemment sur de réels sujets de société tout en nous faisant plaisir (et un peu peur). 

En conclusion : bien mais le début du livre est bâclé. La fin rattrape bien le tout.

Axel Roques



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Avant de porter un regard critique sur ce roman de politique fiction, il est à mon avis nécessaire dans résumer le contenu :
Nous sommes en 2022, François, quadragénaire, professeur de littérature à la Sorbonne, connait une crise existentielle alors que « La France » est secouée par des événements majeurs.
Mohammed Ben Abbes, de la Fraternité Musulmane, vient d’être élu Président de la République grâce à une alliance entre le PS, L’UMP et son parti. François Bayrou devenant 1er Ministre.
Une fois en place, le gouvernement prévoit entre autre l’obligation pour les professeurs publics d’être convertis à l’islam.
Nous observons ces changements à travers le regard de François.
C’est le 1er livre de M.H. que Je lis. J’ai pris un énorme plaisir. Facilité de lecture indéniable.
Pour moi, Michel Houellebecq n’est pas islamophobe. Il n’est pas contre, Il nous dépeint l’islam comme une religion conquérante qui ne cherche qu’à s'imposer au monde.
Je conseille vivement cet ouvrage qui fait peur quant à la puissance de l’islam mais qui nous oblige à une réflexion sur notre devenir.
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Difficile de mettre des mots sur une telle lecture. Soumission est un roman profondément controversé, et l'était avant même sa parution. Et l'on comprend pourquoi. le protagoniste – dont le nom n'est cité qu'une fois, de mémoire, je l'ai donc oublié – est un quasi anti-héros qui ne facilite pas l'identification. Sans intérêt, sans passion réelle hormis sa thèse sur Huysmans transversale au roman, en rien accessible, il représente une classe sociale et intellectuelle qui se veut réfléchie, à l'image de son auteur. Evoluant dans un milieu élitiste, professeur de lettres modernes à la Sorbonne, ce personnage évoque tout au long du roman des références qui m'étaient connues, mais qui ne sont pas nécessairement engageantes pour un lecteur non-averti.

Au sein même du roman, les propos sont extrêmement polémiques, ce qui rend ma critique difficile. Comme vous le savez, la trame narrative retrace l'accès au pouvoir d'un candidat d'un nouveau parti politique français, le Front Musulman, auquel se sont ralliés l'UMP et le PS. le fond du roman est donc nécessairement une réflexion politique, ce qui rapproche davantage le contenu de l'essai inventif que du roman réaliste.

Le plus effrayant est probablement la facilité avec laquelle le protagoniste, pourtant effrayé et fuyant, accepte le sort de cette France qui n'est plus celle qu'il a connue. Avec un discours qui ne m'a vraiment pas plu sur l'éducation des femmes dans un état islamique, Michel Houellebecq pousse la réflexion aux limites de l'acceptable.
Cette acceptation est assez déconcertante. Les affrontements du début du roman font très, trop rapidement place à l'assentiment du peuple. Totalement soumis, le protagoniste ira jusqu'à se détourner de sa personnalité pour s'acclimater aux nouvelles conditions qui l'entourent. C'est ce qui m'a le plus choquée, et c'est bien là la volonté de Houellebecq.

Cependant, je ne peux que souligner la qualité de la plume de l'auteur. C'est un réel plaisir de lire une langue de ce niveau. L'enchaînement rapide des chapitres permet une lecture fluide, qui sert assez bien le dessein du livre.
En conclusion

Difficile d'attribuer une note à un ouvrage qui ne ressemble à aucun autre. Pour son contenu profondément polémique, à prendre avec un recul nécessaire, Soumission mérite d'être lu, digéré, et médité…
Lien : https://carnetparisien.wordp..
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La polémique sur Soumission le dernier roman de Michel Houellebecq n'a pas eu le temps de se développer, balayée qu'elle fut par l'attentat du 7 janvier, le jour même où l'auteur commençait la promotion de son ouvrage. Les critiques que j'ai pu lire sur ce site prouve à quel point Michel Houellebecq et "clivant" pour reprendre un terme à la mode. Pourtant son dernier roman est certainement le moins provocant de toute son oeuvre pour qui sait le lire sans les "éléments de langage" que la presse a distillé avant sa parution. On y retrouve les vieilles obsession de l'auteur ou plutôt la principale, celle qu'il formulait de manière si claire dans Plateforme : «Jusqu'au bout je resterai un enfant de l'Europe, du soucis et de la honte; je n'ai aucun message d'espérance à délivrer. Pour l'Occident je n'éprouve pas de haine, tout au plus un immense mépris. Je sais seulement que, tous autant que nous sommes, nous puons l'égoïsme, le masochisme et la mort. Nous avons créé un système dans lequel il est devenu simplement impossible de vivre; et, de plus, nous continuons à l'exporter» (J'ai lu, 2002, p. 349).
Donc cette fois çi il s'agit d'un roman d'anticipation dans lequel le narrateur, universitaire spécialiste de Huysmans, assiste à l'élection d'un président musulman suite à la déliquescence de la situation politique. Nous sommes en 2022, François Hollande termine son deuxième mandat et pour faire barrage au Front National, c'est le chef du parti musulman Ben Abbes qui arrive à la magistrature suprême et qui nomme François Bayrou premier ministre comme caution humaniste. Cette partie du roman est effectivement drôle mais aussi assez impitoyable sur le personnel politique et les publicistes qui seront, selon Houellebacq toujours les mêmes dans sept ans ce qui est malheureusement assez vraisemblable.
Mais l'anticipation va plus loin car le nouveau chef de l'Etat est un visionnaire dont l'ambition stratégique est de devenir président de l'Europe de déplacer le centre de gravité de celle-ci vers la Méditerranée et il faut bien dire que l'idée force le lecteur à réfléchir.

Mais on retrouve aussi dans ce roman l'autre grande obsession de l'auteur c'est à dire l'amour ou plutôt la perte de l'amour, l'absence, la séparation puisque le narrateur pourrait reprendre à son compte les propos du personnage de la Possibilité d'une île (Fayard, 2005, le Livre de poche, 2007, p. 299) : «Ce n'est pas la lassitude qui met fin à l'amour, ou plutôt cette lassitude naît de l'impatience, de l'impatience des corps qui se savent condamnés et qui voudraient vivre, qui voudraient, dans le laps de temps qui leur est imparti, ne laisser passer aucune chance, ne laisser échapper aucune possibilité, qui voudraient utiliser au maximum ce temps de vie limité, déclinant, médiocre qui est le leur, et qui partant ne peuvent aimer qui que ce soit car tous les autres leur paraissent limités, déclinants, médiocres». le narrateur, professeur d'université sera mis hors jeu sexuellement par le départ de sa compagne Myriam qui fuit la France pour Israël. Les scènes de sexe dans ce dernier roman sont loin de présenter le caractère provoquant des précédents et on a le sentiment que c'est un sujet qui n'intéresse plus vraiment Michel Houellebecq, qu'il a déjà tout dit et qu'il se contente de s'autoparodier.

Mais il faut revenir au coeur du roman dont le titre pourrait être finalement Islam, puisque ce mot (الإسلام) signifie non seulement soumission en français, mais allégeance ou bien résignation.

C'est précisément par le sexe, que Houellebecq explique le phénomène de soumission, évoquant la fameuse Histoire d'O dans la bouche du personnage qui essaie de convertir le narrateur : «L'idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue. C'est une idée que j'hésiterais à exposer devant mes coreligionnaires, qu'ils jugeraient peut-être blasphématoire, mais il y a pour moi un rapport entre l'absolue soumission de la femme à l'homme, telle que l'a décrit Histoire d'O, et la soumission de l'homme à Dieu, telle que l'envisage l'islam» (p. 260). Dit comme cela et lu rapidement et pris hors du contexte on comprend les commentaires incendiaires que l'on trouve dans certaines critiques de ce site mais peut-être faut-il aller plus loin. Soumission n'est pas plus une apologie de l'islam qu'une critique et Michel Houellebecq bien trop intelligent pour qu'on puisse réduire son livre à une simple provocation.
Non ce qui est intéressant chez le personnage du narrateur ce sont ses efforts désespérés pour retrouver sa foi catholique. Cela commence lors d'un dîner avec un membre de la DGSI, qui se met à citer des vers de Péguy, plus précisément de son oeuvre poétique, Ève, et qui précise : «Vous voyez, dès la deuxième strophe, pour donner suffisamment d'ampleur à son poème, il doit évoquer Dieu. À elle seule l'idée de la patrie ne suffit pas, elle doit être reliée à quelque chose de plus fort, à une mystique d'un ordre supérieur» (pp. 161-2). le personnage poursuit, affirmant que Péguy, «aussi républicain, laïc, dreyfusard qu'il ait pu être», a pourtant ressenti «que la véritable divinité du Moyen âge, le coeur vivant de sa dévotion, ce n'est pas le Père, ce n'est même pas Jésus-Christ; c'est la Vierge Marie» (p. 162)
Puis le narrateur se rend à Rocamadour, où le frappe immédiatement la statue de la Vierge noire et du Christ en raison de «l'impression de puissance spirituelle, de force intangible» qu'elle dégage (cf. p. 166). Cette impression plongent le narrateur dans une rêverie où il sent lui aussi son «individualité se dissoudre» dans «le peuple chrétien tout entier» de ces temps de «l'âge roman», où le "jugement moral, le jugement individuel, l'individualité en elle-même n'étaient pas des notions clairement comprises". Là se situe peut-être l'un des plus beau passage du roman :
«Bien autre chose se jouait, dans cette statue sévère, que l'attachement à une patrie, à une terre, ou que la célébration du courage viril du soldat; ou même que le désir, enfantin, d'une mère. Il y avait là quelque chose de mystérieux, de sacerdotal et de royal que Péguy n'était pas en état de comprendre, et Huysmans encore bien moins. le lendemain matin, après avoir chargé ma voiture, après avoir payé l'hôtel, je revins à la chapelle Notre-Dame, à présent déserte. La Vierge attendait dans l'ombre, calme et immarcescible. Elle possédait la suzeraineté, elle possédait la puissance, mais peu à peu je sentais que je perdais le contact, qu'elle s'éloignait dans l'espace et dans les siècles tandis que je me tassais sur mon banc, ratatiné, restreint. Au bout d'une demi-heure je me relevai, définitivement déserté par l'Esprit, réduit à mon corps endommagé, périssable, et je redescendis tristement les marches en direction du parking» (p. 170).
C'est très certainement la scène clé du livre et qui renvoit à une autre obsession de Houellebecq peut-être la plus profonde, peut-être même la clé de son oeuvre et qu'on retrouve dans cet extrait du premier chapitre des Particules élémentaires, intitulé, significativement, le Royaume perdu : «On peut imaginer que le poisson, sortant de temps en temps la tête de l'eau pour happer l'air, aperçoive pendant quelques secondes un monde aérien, complètement différent – paradisiaque. Bien entendu il devrait ensuite retourner dans son univers d'algues, où les poissons se dévorent. Mais pendant quelques secondes il aurait eu l'intuition d'un monde différent, un monde parfait – le nôtre». C'est bien ce manque ou plutôt le souvenir (souvenir d'enfance) d'un monde parfait et inaccessible et pourtant aperçu qui fonde ce qu'on pourrait appeler la mystique de Michel Houellebecq. Mais ce christianisme dans lequel il voudrait pouvoir se fondre à nouveau échappe inexorablement au narrateur ( à l'auteur ?). Mais le narrateur de Soumission n'est pas pour autant un véritable athée : les «vrais athées, au fond, sont rares» (p. 250) et c'est donc sans regret ( le livre se termine par "je n'aurais rien à regretter") qu'il collabore au nouveau régime islamique qui achète grâce à l'argent des monarchies pétrolières les universitaires et accepte la conversion qui lui donnera le bonheur petit bourgeois et la satiété sexuelle auxquels il aspire désormais.



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Je crois que tout fan de l'écriture de Houellebecq se demandera légitimement pourquoi ce livre a fait tant de bruit. Il n'a rien de si particulier, je trouve, au regard des livres antérieurs de l'auteur. Comme dans le roman de David Lodge Un tout petit monde, certains découvriront la vie des universitaires. Ce n'est donc pas là qu'il faut chercher la spécificité.
Ah, on me dit dans l'oreillette, qu'il faut creuser du côté de l'aspect politique du roman. C'est donc ça qui a choqué ! Il ne faut pas grand-chose aux gens quand même...
https://lesyeuxdansleslivres.blog/2023/10/12/soumission/
Lien : https://lesyeuxdansleslivres..
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Il a suffit de quelques jours de voyage pour que je prenne beaucoup de retard dans mes chroniques. Pour "Soumission", récit de politique fiction, je vais aller à l'essentiel et épargner un énième résumé.
Face au lent déclin de notre civilisation européenne, Houellebecq imagine pour la France une situation socio-politico-religieuse éloignée de nos valeurs traditionnelles.
Plus que sujet à polémique, j'y vois matière à réflexion.
C'est du pur Houellebecq, un auteur qui ne laisse jamais indifférent : on l'aime ou le déteste. On y retrouve sa marque de fabrique : un ton désabusé, un humour insolent, des fantasmes sexuels, de l'impertinence et un grande lucidité, toutes ces caractéristiques qui font que je ne m'ennuie jamais en sa compagnie. Mais avec lui que la chair est triste, la solitude désespérante et l'avenir sombre. Fortement influencé par le pessimisme de Nietzsche, il apporte à ce roman une autre dimension en se référant de façon récurrente à l'oeuvre de Huysmans, un auteur que j'ai un peu négligé au temps lointain de mes études mais il n'est jamais trop tard pour compenser mon ignorance.
Voilà donc un autre mérite de ce roman que je conseille à tous ceux qui ne font pas de l'anti Houellebecq systématique et qui trouveront une belle occasion de débattre avec leurs proches.
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