Soumission étant sorti la veille des attentats de janvier dernier et présenté comme brûlant voire scandaleux par ceux qui évidemment ne l'avait pas encore lu, en a subi aussitôt les conséquences directes et inverses : ruée furieuse et curieuse de la part de non-lecteurs habituels de
Houellebecq (et ils ont été nombreux, à voir les chiffres de ventes assez impressionnants), et bannissement par les bien-pensants manifestants "Tous Charlie" (qui aujourd'hui pour la plupart n'en ont plus rien à battre, se prélassant sur une plage, preuve que la terre tourne encore pas trop mal, c'était prévisible, oui je sais, en écrivant ça je ne vais pas me faire que des amis...et la liberté d'expression alors ?! Vous avez déjà oublié ?).
Bref, passons...après quelques mois de recul pour garder la tête froide et le laisser vieillir comme un bon vin dans ma bibliothèque, il était temps de le déguster.
Sur l'histoire, disons qu'à la faveur d'une dégradation lente et continue de la situation politique en France, émaillée d'incidents répétés dans les rues, Mohammed Ben Abbès, leader de la Fraternité Musulmane, devient président de la République en 2022 en battant
Marine le Pen, bénéficiant d'un front républicain gauche-droite, avec
François Bayrou pour (bien pâle) Premier Ministre.
Dès lors, François, le narrateur, environ 45 ans, prof d'université à la Sorbonne et passionné de
Joris-Karl Huysmans, va assister aux mutations progressives de la société sous la férule habile du nouveau régime.
Houellebecq confère à nouveau à son personnage principal des tendances bien dépressives, dont l'existence apparaît solitaire, vide et absurde, jalonnée de plans culs qui ne l'excitent même pas et avec une dose de machisme.
Jusque-là, rien d'anormal, sacré Michel, fidèle à lui-même !
Mais l'originalité vient d'une double entrée pour appréhender d'une part les réflexions de son narrateur, à travers la personnalité et l'oeuvre du sujet d'étude de son "héros", Huysmans, et notamment de son rapport à la religion, et d'autre part capter les évolutions en cours autour de lui, au travers de ses échanges avec des connaissances de son milieu universitaire.
Contre toute attente, la société semble se satisfaire du nouveau pouvoir, dans une forme "d'acceptation tacite et languide". Et pour cause, quand on voit par exemple le sort réservé aux intellectuels, qui semble bien tentant...Démissionner et percevoir une retraite immédiate équivalente à son salaire, ou collaborer dans une Sorbonne islamisée pour un salaire triplé, voire même une belle promotion...et évidemment, ce qui tente encore davantage François, la "mise à disposition" de plusieurs jeunes femmes étudiantes bien dévouées.
Mais cette docilité ne sonne-t-elle pas comme un renoncement de toute la société française, et au-delà des sociétés occidentales, de leur culture, construite sur une religion chrétienne dès le départ incapable de guider ses adeptes vers un projet collectif moteur et de donner du sens ?
Ah ! l'amollissement général des consciences né du conformisme et du confort de nos sociétés modernes occidentales...
Cette faiblesse de la chrétienté et du politique provoque chez le bon peuple un désir de croyance renouvelé en ces temps troublés et de pertes de repères...pain béni, si l'on peut dire, pour la dynamique et opportuniste religion musulmane, et son leader Ben Abbès...qui s'avère finalement être un Président modéré, pragmatique, fin stratège pour gérer ses relations avec les puissances financières d'Arabie saoudite ou du Qatar...et qui sait pour l'avenir, suffisamment fort et charismatique, tel Napoléon, pour reformer l'équivalent d'un nouvel empire Romain autour de la Méditerranée ?
François va-t-il accepter après avoir démissionné, de réintégrer l'université et se laisser amadouer par la promesse d'une vie douce, malgré la petite mort intellectuelle qui l'attend, il le sait bien ?
Ce roman est forcément un peu provocant, mais pour qui finalement ? Il sonne juste sur bien des points, comme toujours avec cet auteur à l'intelligence subtile, clairvoyant, observateur attentif de notre société et de ses travers, qu'il ne dénonce même pas vraiment, à quoi bon, il en vit aussi...
On retrouve, le sourire aux lèvres, les obsessions de son héros, les incursions de scènes de sexe dispensables et la manie de descriptions courtes mais d'une précision chirurgicale de produits techniques (automobiles, appareils électroniques...), l'apparition surprise de vedettes des média (
David Pujadas, plutôt bien vu), et là pour l'occasion d'hommes politiques actuels (
Manuel Valls,
François Bayrou, qui se fait démonter en règle...) et dans le style, avec parfois de l'agacement, les adjectifs pauvres et imprécis habituels ("variable", "vaguement"...)...mais c'est peut-être aussi ce qui fait sa force et son audience quasi universelle, avoir un style de bonne tenue générale mais parfaitement accessible.
Houellebecq, écrivain populaire ? Pourquoi pas, qui a ici en plus le grand mérite de piquer notre curiosité au sujet de Huysmans, grand écrivain en son temps et aujourd'hui quasi oublié, peut-être à cause de son inspiration assez originale et inclassable ?