Une légende coréenne raconte l'histoire d'une reine qui, désespérée après la naissance de sa septième fille, décide de l'abandonner à la mort. La petite Bari, ''l'abandonnée'', survit et, plus tard, accepte de venir en aide à ses parents mourants en allant chercher l'élixir de vie qui sauvera leurs âmes.
Une famille nord-coréenne vit le même drame : six filles déjà et une septième qui arrive au monde. Craignant la colère du père, la mère abandonne le bébé dans la forêt. Mais la chienne de la maison la retrouve et la grand-mère la prend sous son aile. Inspirée par la légende, cette chamane reconnue la prénomme Bari. La petite miraculée n'est pourtant pas au bout de ses peines. Car, même si sa famille est plutôt à l'aise, elle ne pourra échapper à la terrible famine des années 90, ni à la répression exercée par le régime nord-coréen. Bari se retrouve seule au monde mais elle a reçu en héritage les dons de voyance de sa grand-mère. Elle peut aussi communiquer avec son chien et se réfugier dans ses rêves. Des dons qui lui permettront de quitter son pays, de survivre en Chine et de traverser l'océan, à 16 ans à peine, au fond d'une cale pour arriver à Londres. Un nouveau monde, une nouvelle vie, de nouvelles épreuves.
Ancrée dans la tradition du chamanisme encore très présent en Corée, l'histoire de Sok-yong Hwang raconte la douleur du peuple nord-coréen. Dans le pays bien sûr où la famine, la peur, la dictature ont brisé bien des familles. Mais aussi à travers l'exil en Chine ou en Europe. Parqués dans des containers à fond de cale, maltraités et violés par les passeurs, les fuyards qui survivent à la traversée doivent encore rembourser le prix de leur passage et souvent les femmes sont livrées à des réseaux de prostitution. Mais malgré la douleur et les épreuves, Bari affronte la vie avec l'innocence de sa jeunesse et la force de ses dons. Capable de se dissocier de son corps, elle trouve dans ses rêves le réconfort et les conseils de sa grand-mère, la fidélité de son chien qui la guide dans les méandres de son inconscient. A Londres, elle découvre l'amitié, la solidarité mais aussi le sort réservé aux clandestins par les autorités. En se rapprochant de la communauté musulmane, Bari apprend d'autres croyances, d'autres traditions mais aussi l'amalgame fait entre musulmans et terroristes après les attentats du 11 septembre.
Princesse Bari se lit comme un conte. Naviguant entre la réalité la plus cruelle et un onirisme très poétique, c'est un roman atypique, une histoire d'errance, d'exil avec une héroïne lumineuse, forte, fragile et humaine. Sok-yong Hwang, s'il aime dans ses romans parler de son pays coupé en deux par la folie des hommes, sait transcender l'histoire nationale pour en faire une fable universelle. Une lecture à la fois tragique et enchanteresse.
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C'est l'histoire d'une jeune Coréenne du Nord.
La 1ère partie du livre est consacrée à son enfance en Corée, puis en Chine.
Ensuite, vient le moment où elle part clandestinement en Europe et sa vie en Angleterre.
J'ai aimé l'écriture de cet auteur. Ce texte se lit simplement et est très agréable.
En revanche, je suis dérangée par l'histoire en elle-même. Non pas que je souhaitais lire à tout prix une histoire accablante, triste, dure sur les conditions de vie de cette jeune coréenne, mais je suis ressortie de cette lecture avec une impression de vie, d'adaptation facile, sans trop de problèmes...
J'ai eu l'impression de survoler sa vie en Angleterre. Il se passe énormément de chose tout au long de sa vie, et pourtant on ne rentre pas dans les détails, comme s'il s'agissait d'un long résumé.
En revanche, j'ai trouvé très intéressant le mélange de culture, le passage entre l'histoire terre-à-terre et les moments poétiques de son côté chamane.
Ce livre reste poétique et se lit de façon très fluide.
Malgré mon bémol, je recommande fortement cette histoire actuelle.
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Ce livre nous plonge dans les horreurs des grandes famines en Corée du Nord, avec une petite fille qui grandira en survivant miraculeusement à des drames successifs. La famine, l'arrestation et la déchéance du père, de grandes inondations, la famine toujours, l'éclatement de la famille, la vie en forêt seule avec sa soeur et sa grand-mère qui n'y survivront pas, l'exil en Chine, puis l'exil plus loin encore avec un voyage au fond de la cale d'un cargo.
On pourrait presque croire à une biographie, tant de ces drames ont dû être véritablement vécus par des millions de Coréens du Nord. Et on pensera aussi, aux épreuves subies par d'autres millions d'êtres humains contraints à l'exil.
Roman bouleversant, parce qu'il met la lumière sur les horreurs et la violence qui ont eu lieu, et existent encore, dans certains coins de notre planète.
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Moins rugueux que dans ses premiers romans (Monsieur Han, Le Vieux Jardin), Hwang Sok-yong déroule ici un fil plus soyeux, plus féerique, pour dire, encore et toujours, le chaos de l'exil.
Lire la critique sur le site : Telerama
Un roman tragiquement emblématique, sous la plume d'un ex-dissident qui a donné un nouveau souffle aux lettres coréennes.
Lire la critique sur le site : Lexpress
L’ancien expatrié Hwang Sok-yong transpose une légende qu’il dépouille de son idéalisme, pour mettre en scène l’épreuve d’une émigrée.
Lire la critique sur le site : Liberation
La nuit, après notre dîner, je demandais à ma grand-mère de me raconter des histoires.
- Hé, tu me suis ?
- Euh... j'en suis restée là où tu disais que la princesse Bari était la septième fille...
- Bon... Ses soeurs apparaissent l'une après l'autre et éclatent en sanglots : "Oh ! quel malheur pour notre père et notre mère !"La reine, alors, se tourne vers elles : "Miséricorde, c'est encore une fille ! Votre père, le roi, va entrer dans une colère qui risque de le foudroyer ! Faisons venir un maçon pour fabriquer un cercueil de pierre. On y placera l'enfant. Les dames de la cour l'emmenèrent pour aller le jeter à la mer.
Lorsqu'elles parviennent à la mer, le chant d'une flûte retentit ; c'est sûrement le Ciel qui parle. Et voici que le Ciel et la Terre se rejoignent, bloquant le passage. "O Ciel, Ciel, nous sommes sans reproche ; ouvrez la voie, nous vous en supplions ; nous sommes au service du roi, nous ne faisons qu'obéir à ses ordres." Alors le Ciel et la Terre se séparent. Les dames jettent le cercueil."Ah, nous ne pourrons plus jamais retourner au palais..."
- Grand-mère, elle a donc, comme moi, été abandonnée ?
- Certaines disent qu'elle a été jetée dans la rivière ou à la mer, d'autres qu'elle a été abandonnée dans la montagne. Ce sont des grues qui l'ont secourue, ou bien des pies ou encore des tortues dorées.
- Après, il y a une grand-mère et un grand-père vivant reclus, qui l'ont recueillie et élevée, c'est bien ça ?
- On dit aussi qu'elle a été sauvée par le seigneur de la mer. Elle grandit et, un jour, le roi et la reine tombent malades. D'une maladie qui de jour en jour devient plus grave. Leurs sujets en sont aussi frappés. Que faire ? Les devins qu'ils consultent déclarent qu'ils ne seront sauvés qu'à la condition de retrouver la princesse Bari. On la retrouve donc dans la montagne, mais on veut s'assurer qu'il s'agit bien d'elle et non pas de quelque esprit malin ou d'un fantôme imposteur. La jeune princesse s'approche à petits et dit :"Mère, une preuve existe. - Laquelle ? - Des traces de sang sur le papier de la porte coulissante ; si mes doigts correspondent, c'est que je suis bien votre fille." En effet, il y a là des traces de sang. Elle pose ses doigts sur les marques, comme ceci, comme cela, et tout correspond exactement. "Aïgo ! Comme tu as grandi ! Tu es lisse comme la lune, forte comme le roi des animaux. Tu as grandi avec l'eau, avec le soleil, avec la rosée, comme tu as joliment grandi !"
- Je sais ce qui se passe ensuite, on lui dit d'aller puiser l'eau de la vie pour sauver ses parents et tous les autres, n'est-ce pas ?
- Bravo, ma petite Bari, tu te souviens de tout ce que je te raconte. On lui explique que l'eau de la vie se trouve à l'ouest, à l'extrémité du monde, là où le soleil se couche. Alors, il lui faut traverser le pays encombré de tous ces gens malades, aller par monts et par vaux ; malgré l'aide que lui apportent les esprits de la montage, il lui arrive quantité de
mésaventures : elle doit faire la lessive, travailler dans les champs, exécuter d'humbles besognes, chasser les mauvais esprits et même traverser l'enfer. Elle libère les condamnés et parvient à l'ouest, tout au bout du monde, où l'attend un totem. Elle perd le pari que ce dernier lui impose et se trouve forcée de l'épouser, de lui faire des enfants et de travailler à son service pendant au moins trois ans avant d'obtenir l'eau de la vie. Au terme de ce périple, la voici de retour. Entre-temps, elle a croisé les nefs chargées des âmes avec leur karma, en route pour l'autre monde, le monde des morts.
- Grand-mère, tu as oublié l'eau de la vie : elle l'a bel et bien trouvée !
- Ah oui, je perds la tête. Bari a demandé l'eau de la vie au totem. Alors, ce scélérat lui répond : "C'est l'eau qu'on utilise tous les jours pour cuire le riz ou faire la lessive..."
- La princesse a donc traversé toutes ces épreuves inutilement ?
- Non, pas exactement. Elle a gagné un coeur capable de voir ce qu'est l'eau de la vie.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Tu comprendras quand tu seras plus grande. Quand elle les a aspergés de l'eau de la vie qu'elle avait rapportée, ses parents ont recouvré la santé, ainsi que les autres malades. Depuis, Bari vit en nous, elle est avec nous. Elle est en toi comme en moi.
Chaque fois que les circonstances m'ont amenée à parler, avec les uns ou les autres, des pays que nous avons quittés, nous avons fini par évoquer la guerre, la famine, la maladie, le pouvoir détenu par des militaires violents et redoutables. Partout dans le monde, aujourd'hui encore, des gens meurent parce qu'ils ont tenté de passer une frontière à la recherche de conditions de vie meilleures.
Mon père avait consenti des efforts pour ses six premières filles. Aussi mes sœurs s'appelaient-elles Jin ( vérité), Son ( beauté), Mi ( beauté), Sook ( pudeur) et Hyun ( sagesse). Evocateurs de vertus jadis prisées, ces six caractères s'harmonisaient parfaitement. Quand, avec ma venue au monde, la famille a hérité d'une nouvelle fille, mon père a estimé que ces beaux caractères si appréciés autrefois, n'avaient plus de sens : il ne leur trouvait plus que des défauts.
Pour survivre, il fallait pouvoir compter discrètement, comme nous le faisions, sur des provisions soigneusement dissimulées. Nous préparions des soupes de maïs auxquelles nous ajoutions des herbes de la montagne, aster, chénopode ou plantain, que nous allions cueillir avec notre grand-mère. Nous avions droit à un seul bol, pour, à la fois, le petit-déjeuner et le déjeuner, et seulement un peu de riz blanc pour le dîner.
"Te voilà donc, ma petite Bari !"
"Grand-mère, d'où viens-tu ?"
J'ai avancé pour me jeter dans ses bras, mais elle a prestement bondi en arrière, avec la légèreté des sachets de plastique chassés par le vent. J'ai fait un nouveau pas vers elle, elle a de nouveau reculé.
"Tu m'as tellement manqué, tu ne veux pas me serrer dans tes bras ?"
Elle souriait tout en hochant la tête.
"J'aimerais tant pouvoir le faire... mais nous n'appartenons pas au même monde. Je t'ai appelé parce que je me faisais du souci pour toi. Ecoute-moi bien. Tu vas parcourir plusieurs milliers de lieues sur la mer et sous le ciel. C'est un véritable enfer que tu vas traverser, rempli d'embûches, regorgeant d'esprits malins.Tes membres, ton corps tout entier courent le risque d'être déchirés. Mais ne t'engage jamais dans les chemins aux couleurs malsaines, jaunes, ou verts, prends toujours le chemin blanc. Au terme de ce long voyage, tu ne seras plus la petite Bari, tu seras devenue une grande chamane. Chaque fois que tu seras en peine, je viendrai à ton aide, Chilsong te guidera jusqu'à moi."