Notre problème, à nous romanciers, c'est que, plus encore que le commun des mortels, quand nous suivons le fil d'une idée, même si nous disons rien, nous n'arrivons pas à nous interrompre.
- Ça n'a rien d'un hall de gare, résumai-je simplement pour la pauvre Esméralda, au terme d'une journée pareil
- Ça n'a rien d'un quoi?
- Euh, c'est une expression Vermontoise, bredouilla-je c'est une manière de parler.
Miss Frost m'a certes marqué bien davantage que la bibliothèque elle-même. A ma grande honte, c'est longtemps après notre première rencontre que j'ai appris son prénom. Tout le monde l'appelait Miss Frost, et le jour où j'ai enfin pris ma carte de lecteur et l'ai vue pour la première fois, je lui ai donné l'âge de ma mère - peut-être un peu moins. Ma tante, femme impérieuse, m'avait dit que Miss Frost "avait été superbe", mais comment aurais-je pu imaginer que Miss Frost ait été plus belle que lors de notre rencontre - moi qui ne manquais pourtant pas d'imagination, à cet âge ? Ma tante prétendait que les hommes disponibles de la ville tombaient tous à la renverse quand ils la rencontraient. Quand l'un d'entre eux avait le cran de se présenter - le culot d'annoncer son nom à Miss Frost -, la bibliothécaire encore dans sa splendeur lui répondait, l’œil polaire et des glaçons dans la voix : "Miss Frost, pas mariée et pas près de l'être."
Voilà pourquoi Miss Frost était encore célibataire lorsque je l'ai rencontrée ; chose incroyable pour l'adolescent que j'étais, les cœurs à prendre de la ville avaient cessé depuis longtemps de se présenter à elle.
Je ne me sentais pas assez « enhardi » pour lui avouer la vraie nature de mes sentiments et de mes pensées ; je n’aurais jamais osé dire « erreur d’aiguillage amoureux » à Kittredge, pas même en allemand. Sauf à prétendre que c’était une citation de Goethe ou de Rilke.
Que l’on pouvait se passionner pour une histoire qui n’appartienne pas à la science-fiction ou à l’anticipation ; qu’il n’était pas nécessaire de se plonger dans des épopées de cow-boys et d’Indiens ou dans des romans à l’eau de rose pour être « transporté ». Dans la lecture, comme dans l’écriture, pour faire un voyage captivant, il suffisait d’une histoire d’amour à la fois crédible et terrible.
On ne peux pas se tromper de personne; on est toujours libre d'aimer qui on veux
Mr Hadley et son laideron de femme étaient de sortie avec Richard et ma mère, comme à leur habitude quand un film étranger passait à Ezra Falls. Le fronton du cinéma indiquait alors en toutes lettres que le film était en VO sous-titrée. Ce n'était pas seulement une forme d'avertissement à l'usage des natifs du Vermont intimidés ou rebutés par les sous-titres; la mise en garde était d'un autre ordre, à savoir qu'un film étranger risquait de comporter une dose de sexe supérieure à ce que la moyenne des spectateurs avait coutume d'absorber.
"Tout ce que je peux dire, c'est fichons la paix aux folles. Laissons-les vivre leur vie, sans les juger. Nous ne leur sommes pas supérieurs, ne les dénigrons pas."
La mémoire est un monstre ; on oublie, pas elle. Elle archive ; elle tient à disposition ou bien elle dissimule. Et puis elle nous rappelle avec une volonté qui lui est propre. On croit avoir de la mémoire, on se fait avoir par elle.
(p. 368 - Éd. Points)
Dix-sept ans s'exclama t'elle, comme si on lui avait planté un couteau dans le corps. Et bien, William Dean - pardon, William Abbot -, si tu es nostalgique à dix-sept ans alors tu as de sérieux atouts pour devenir écrivain !
Peut-être, étant donné le jeune âge de ces soldats, ne la connaissaient-ils que de réputation ; peut-être s'étaient-ils sentis suffisamment "provoqués" par le simple fait qu'à leurs yeux elle n'était pas une "vraie" femme. Peut-être ne faut-il pas chercher plus loin. Ou alors, plus simple encore, c'était une bande d'homophobes à la con.