Citations sur À moi seul bien des personnages (131)
Les gens incultes ou d’un conformisme rigide prennent les travestis au premier degré
Un béguin, ça ne se contrôle pas, ça vous tombe dessus, voilà tout.
Quand certaines personnes se mêlent d'apprendre aux écrivains ce qu'il faut dire et ne pas dire, je trouve ça suave, et quand les mêmes conjuguent le verbe "impacter", j'en ai la nausée.
(p. 524 - Éd. Points)
Avec l'âge [...], la vie devient une longue suite d'épilogues.
(p. 436 - Éd. Points)
- Une seule ? s'enquit le Dr Harlow.
Je voyais que l'enculé de vieille chouette déplumée était bien décidé à me demander de qui il s'agissait.
À cet instant me vint la réponse que Kittredge aurait sûrement faite à cette question hypocrite. D'abord, je pris l'air de m'ennuyer, comme si j'avais des tas de choses à dire sur la question, mais sans aucune intention de m'en donner la peine.
Ma carrière sur les planches touchait à sa fin. Je ne le savais pas à ce moment-là, sous observation dans le cabinet du Dr Harlow, mais il ne me restait plus qu'un rôle à jouer, et encore, un tout petit rôle. Or, malgré tout, je fus incapable d'imiter le haussement d'épaules de Kittredge et les dérobades de Grand-père Harry.
- Ah, bah...
Je m'arrêtai au début de ma phrase. Au lieu de parler, je haussai les épaules, avec cette nonchalance étudiée que Kittredge tenait de sa mère.
- Je vois, Bill, fit le Dr Harlow.
- Ça m'étonnerait.
Je vis le vieil homophobe se raidir.
- Ça t'étonnerait ? s'écria-t-il, indigné, tout en notant furieusement cette remarque.
- Vous pouvez me croire, docteur Harlow, dis-je, fidèle à la formule de Miss Frost. Quand on commence à répéter ce qu'on vient de vous dire, ça devient vite une habitude, une habitude qui a la vie dure.
Avant d'écrire quoi que ce soit, il faut d'abord observer et écouter.
- Est-ce que Richard te l'a dit ? me demanda-t-il soudain. Des crétins ont interdit La Nuit des Rois au cours des siècles, de pauvres ignares ont censuré La Nuit des Rois de Shakespeare, et pas qu'une fois !
- Mais pourquoi ? m'écriai-je. C'est complètement fou ! C'est une comédie, une comédie romantique ! Pourquoi l'interdire ?
- Ah, eh bien, si tu veux mon avis, Viola, la sœur jumelle de Sébastien, ressemble beaucoup à son frère ; c'est tout le ressort de l'intrigue, d'accord ? Du coup, les gens les confondent, surtout quand Viola se déguise en homme et se fait appeler Césario. Tu vois le problème Bill ? Viola se travestit ! Voilà pourquoi Shakespeare a eu des ennuis ! Après tout ce que tu m'as dit, je pense que tu as remarqué que les gens conformistes, intolérants ou ignorants n'ont pas le moindre sens de l'humour dès qu'il s'agit de travestis.
Etiologie : un mot que je ne me risquerais pas à prononcer, mais en revanche, si je m'applique, j'arrive à produire quelque chose qui s'approche de bibliothèque ; le mot estropié éclot alors, fleur exotique, et ça donne "bibilothèque" ou "billothèque" - comme dans la bouche des enfants.
Comble d'ironie, ma première bibliothèque était bien modeste. C'était la Bibliothèque municipale de la petite ville de First Sister, dans le Vermont - un bâtiment trapu, en brique rouge, situé dans la même rue que la maison de mes grands-parents. J'ai vécu chez eux, à River Street, jusqu'à l'âge de quinze ans, c'est-à-dire jusqu'au second mariage de ma mère. Ma mère a rencontré mon beau-père sur les planches.
La troupe de théâtre amateur de la ville s'appelait The First Sister Players ; et d'aussi loin que je me souvienne, j'ai vu toutes les pièces qu'elle montait. Ma mère était souffleuse - quand on oubliait ses répliques, elle les rappelait, et les vers oubliés en route n'étaient pas rares dans une troupe amateur. Pendant des années, j'ai cru que le souffleur était un acteur comme les autres - à ceci près que, pour des raisons qui m'échappaient, il ne montait pas sur scène et restait en tenue de ville pour dire sa part du texte.
Avec le recul du temps, je remarque que ce petit pensionnat de seconde zone présentait un échantillonnage d’adultes assez large – il y avait les sensibles, les généreux, qui tentaient de rendre le monde des grands plus compréhensible et plus supportable pour les jeunes, et puis il y avait cedinosaures d’une rigidité inflexible, les docteurs Grau et Harlow, ainsi que tous les incorrigibles homophobes que les gens de leur acabit et de leur génération avaient produits.
- C'est tellement difficile de choisir, lui répondis-je d'un ton extatique, non, sincèrement, vraiment, j'aime les deux.
- Hmm, et vous voyez cette tendance persister ?
- Alors là, j'espère bien, répliquai-je avec toute la conviction dont je fus capable.