Quelques jours après sa sortie, j'ai déjà lu ce livre d'
Alexandre Jardin, ce qui n'est vraiment pas dans mes habitudes. Mais, il est vrai, que le
Alexandre Jardin que l'auteur montre dans ses derniers livres (
Les Magiciens, et ici dans
Frères) me donne encore plus envie de le lire. Débarrassé de son ego et de ses masques, désireux d'introspecter sa vie d'homme et d'écrivain, il se dévoile aujourd'hui aux lecteurs comme jamais, et cela le rend ô combien sympathique et humain (son message, porté par l'amour pour les siens et puisé à l'encre de son coeur en devient universel).
Tout d'abord, je tiens ici à saluer son courage ! Il en faut une sacrée dose pour - alors qu'il est particulièrement connu et risque ainsi d'entacher son image - oser coucher sur le papier les non-dits qui ont parasité sa vie, à savoir la façon dont, se sentant coupable, il a occulté de sa vie ce demi-frère aimant et aimé qui a eu la malencontreuse idée de se suicider un 11 octobre 1993, mais aussi le souvenir d'une proximité relationnelle contre-nature.
Pour avoir encouragé et accompagné de nombreuses personnes dans l'écriture de leurs traumatismes passés, je sais aussi qu'il s'agit-là d'une démarche de catharsis libératrice tant pour lui que pour ses enfants et petits-enfants à venir (d'ailleurs le livre leur est dédicacé).
Laisser traces de ce qui fut et de ce qui est aujourd'hui, c'est une façon utile et sensible d'informer les générations qui suivent sur les dysfonctionnements familiaux, d'expliquer les raisons d'être de tels ou tels comportements, et de faire en sorte que le cycle de la reconduction s'interrompe. Mais c'est aussi une façon de montrer la force de l'amour fraternel et la nécessité de pardonner (et de se pardonner) pour avancer.
Donc, vous l'avez compris. Ce n'est pas un roman mais bien un récit autobiographique, épisode sensible dans le "roman" de la famille Jardin, famille dysfonctionnelle s'il en était et dont de nombreux livres ont déjà fait état (petit résumé succinct en début de livre).
Un récit intime, au plus près des faits et des ressentis. Mais aussi, parfois, un récit imaginé (cf. le chapitre qui s'apparente à un script de cinéma) tant s'avère nécessaire le besoin de donner corps à une réalité jusqu'alors occultée.
Dans chacune des trois parties (L'anti-moi ; Tellement moi
; Mon frère vivant) qui composent ce court livre de 164 pages,
Alexandre Jardin construit son propos sous la forme d'une alternance entre des chapitres qui évoquent ce fameux 11 octobre 1993 qu'il a occulté de toutes ses forces et, en pendant, des événements de la vie de son frère, avec lui ou sans lui, qui tendent à lui rendre figure humaine, décrivant ainsi ses traits de caractère et ses défauts, ses amours, ses fulgurances lumineuses et ses talents hélas méconnus... et tout ce qui, selon lui, l'a conduit à ce geste définitif. Une date qui revient tel un mantra, qui martèle le propos de sa difficile réalité et qui témoigne de l'immense culpabilité dont l'auteur cherche à se libérer.
Dans les deux premières parties,
Alexandre Jardin confronte l'image de son frère à son image et exprime tout son amour pour son frère disparu trop tôt dans des circonstances dramatiquement inéluctables. Il lui dresse, enfin, une "sépulture de papier" à la hauteur de son amour pour lui.
Dans la dernière partie, il introduit un troisième "personnage" réel : son deuxième frère Frédéric, celui qui, bien que plus jeune, l'a sauvé des penchants sombres des Jardin et aidé sur le chemin de la réconciliation avec lui-même. Ses mots, empreints d'humilité, de lucidité et de générosité sont également une déclaration d'amour pour cet alter-ego plus discret mais néanmoins très présent.
Lu en quelques heures, j'interprète ce livre comme un véritable hymne à l'amour pour ses
frères. Mais aussi, comme une façon de pardonner à son frère décédé de l'avoir quitté si brusquement et, en reconnaissant des faits jusqu'alors inavoués, de lui (et de se) pardonner.
J'ai lu ce livre en quelques heures, mais pas toujours facilement, tant le poids des mots nécessitait parfois de relire telle ou telle phrase, tel ou tel paragraphe et de s'imprégner de ce qui est dit, mais aussi de ce qui ne l'est pas. Je n'ai pas voulu le lire trop rapidement d'une part pour bien en comprendre tout le propos, mais aussi pour profiter, au maximum, d'une écriture concise, d'une verve littéraire ô combien poétique, imagée et parfois originale (avec la présence de nombreux néologismes).
Pour avoir lu d'autres livres d'
Alexandre Jardin, je vois une grande différence dans la forme de son écriture. Ailleurs, dans ses romans, c'est une écriture distanciée. Si les choses sont toujours très bien écrites, il n'y a pas d'implication sensible. Ici, dans ce récit intimiste, on ressent vraiment une écriture sensible qui sort des tripes, une implication personnelle... On entend presque le petit Alexandre, enfant. C'est très beau et très émouvant.
Les enfants d'
Alexandre Jardin ont bien de la chance d'avoir un papa écrivain car il laissera à la postérité des mots magnifiques leur permettant de connaître et de comprendre leur famille (toute dysfonctionnelle qu'elle fut), d'avoir "une explication de texte" sur comment leur père a vécu au sein de cette famille (et en dehors d'elle) et de disposer d'outils précieux pour, à leur tour, se construire (en opposition ou en prolongation) et construire leur devenir.