A la question de savoir pourquoi la même offrande à la même entité spirituelle était parfois agréée et parfois pas, les Shang ont inventé cette réponse hardie : Celle-là a été faite au moment adéquat, et celle-ci à contretemps. La réussite du sacrifice ne dépendait plus uniquement de l'humeur fantasque de l'entité spirituelle ou de la qualité des offrandes, mais principalement du moment du sacrifice. Voilà qui allait bouleverser complètement l'appréhension que l'on pouvait avoir de l'ensemble de l'opération liturgique. Car dès lors que l'on situait ailleurs que dans le ciel le point focal de l'ensemble, il devenait logique de regarder à l'envers la corrélation globale entre l'approbation d'un sacrifice , son efficacité, et les craquelures (ndr : sur les os brûlés, objets de divination originels) qui en témoignaient. Remontant le déroulement du temps ( ce que nous appelons le raisonnement par récurrence), les Shang se sont aperçus alors , si par l'examen des formes des craquelures il est possible de vérifier a posteriori qu'une offrande a été agréée, c'est parce que, réalisé au bon moment, ce sacrifice était agréable a priori. Ils en tirent une conclusion grosse de conséquences : n'étant commandée ni par la qualité des offrandes, ni par le bon vouloir des dieux, mais par son adéquation avec le moment, l'efficacité du sacrifice existe donc "antérieurement" à sa réalisation.
Voilà qui allait changer radicalement le point de vue sur les affaires spirituelles. En effet, dès lors que l'avenir d'une entreprise et le sacrifice offert pour sa réussite cessent d'être liés par une relation de cause à effet, ils deviennent des manifestations équivalentes, des aspects solidaires d'une réalité momentanée.
Et ce peuple pragmatique en tire aussitot le corollaire suivant : plutôt que d'aller recueillir après coup les marques de l'adéquation d'un sacrifice, en tisonnant les cendres tièdes, ne serait-il pas plus raisonnable, et plus économique, de chercher à s'en assurer AVANT d'immoler les victimes ?
Ce n'est pas seulement une modification dans le déroulement de la liturgie qui s'instaure avec l'idée de cet examen préalable, c'est un retournement complet de son sens. L'examen des craquelures, naguère complément de la cérémonie religieuse, va en commander maintenant la réalisation. [...]
Les conséquences de ce tournant, modifiant durablement les rapports que les anciens Chinois entretiennent avec leurs dieux, vont engager la civilisation du Fleuve Jaune vers une conception de la spiritualité assez déconcertante puisqu'il faut se résoudre à la qualifier de "laïque", ou "d'énergétique". [...]
Une déité dont on peut prévoir les réponses perd beaucoup de son prestige métaphysique. En plaçant le problème sur l'axe du temps, les Chinois piègent leurs dieux, ils les enferment dans un système plus global. En déplaçant le problème de l'opportunité du sacrifice (implorer comme il faut) vers l'opportunité de l'entreprise (agir au bon moment), ils s'ouvrent à la possibilité de concevoir un univers qui n'est plus soumis à l'arbitraire religieux, mais qui fonctionne de manière raisonnable, comme un réseau de concordances énergétiques. Cela ne s'est pas fait en un jour, bien sûr, mais l'élan donné par l'auguration préalable sera déterminant. Les siècles qui suivront ne seront que le développement de ce point de vue particulier dans lequel va s'ancrer le désintérêt poli que depuis lors les Chinois manifestent à l'encontre des questions transcendantales.
Wu Ding, sous le règne duquel fût brûlée la carapace qui nous a servi d'exemple au chapitre précédent, était un souverain si fameux qu'il reçut par la suite le nom de culte d' "Ancêtre Illustre". C'est un personnage que la tradition lettrée connaissait bien : ses dates sont précises (1324-1265) et ses exploits sont cités dans différents textes classiques. Son épouse également est connue. Elle se nommait Fu Hao et sa tombe a été retrouvée aux environs de la ville d'Anyang, près de l'emplacement de l'ancienne capitale des Shang. Chef de guerre pour son époux, commandant à des milliers d'hommes, Dame Fu Hao était enterrée avec tout son arroi de général, témoignage de l'estime dans laquelle pouvaient être tenues les femmes à cette époque-là.
Ni texte révélé comme la Bible ou le Coran, ni parcours médité comme le Livre des Morts tibétain, encore moins poème épique comme l'Iliade ou le Ramayana, ou méthode logique comme celle de Descartes, le Yi Jing est le livre de la vie qui passe.
Pareil anachronisme prête à sourire, mais pour un esprit chinois, il n'y a rien d'anormal : nommer n'est pas affaire de chronologie, mais de symbolisme. Que le roi Wen ait vecu quasiment deux mille ans avant ce qui apparaît aujourd'hui est tout à fait secondaire. Cette méthode d'utilisation du Yi Jing n'est pas attribué à Wen Wang parce qu'il l'a inventé, mais parce qu'elle lui ressemble.
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C'est sans doute là ce que le Yi Jing et la pensée chinoise en général ont de mieux à nous apporter. Une efficacité à longue haleine, une maniere pour chacun de nous, femmes et hommes, de nous placer au meilleur de nous même, en harmonisant dans notre vie l' ardeur Yang et l'endurance Yin.
Rencontre avec Henri Tsiang et Cyrille Javary, animée par Hélène da Costa autour du thème : Qi Gong, la familiarité chinoise avec l'invisible.
Henri Tsiang auteur de "Descartes au pays du Qi Gong", nous montrera par sa connaissance des neurosciences que les gestes du Qi Gong ne sont que les supports à l'INVISIBLE ressenti de la circulation de l'énergie vitale à l'intérieur du corps humain.
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