Le premier assaut de la cité lovecraftienne a été repoussé par New York et ses différents quartiers. Euh.. vous ignorez que dans Mégapoles de
N.K. Jemisin les grandes villes ont en quelque sorte une âme et s'incarnent dans des avatars humains ? Arrêtez là votre lecture de cette chronique et allez vite lire celle de Genèse de la cité qui constitue le premier volume indispensable de ce diptyque. Si vous avez compris de quoi je parlais, vous pouvez découvrir la suite de mon avis juste après la couverture colorée de ce roman qui va vous secouer.
Les lecteurices attentifs auront remarqué que j'ai parlé de diptyque à propos de Mégapoles. Or, originellement, ce cycle devait se composer de trois romans. Mais, une fois de plus la Covid est passée par là. Et aussi, une réalité plus dingue que l'imagination. Pour la pandémie, inutile de revenir sur les dégâts qu'elle a causés. Y compris dans le domaine de l'imaginaire. Ces derniers temps, j'ai l'impression que nombre d'ouvrages qui sortent actuellement ont été touchés d'une manière ou d'une autre par les conséquences de ce phénomène mondial. Dernièrement,
John Scalzi en a parlé dans
La société protectrice des kaijus puisqu'il n'est pas parvenu à écrire le roman qu'il avait commencé ;
Robert Jackson Bennett dans Les terres closes. Et à présent
N.K. Jemisin qui est « passée dangereusement près de renoncer » à donner une suite à Genèse de la cité. La faute donc à cette saleté de virus, mais aussi à la réalité qui a rattrapé l'autrice. Elle imaginait faire intervenir « un président monstrueux » et « Trump est arrivé le premier ». Bon, on le sait,
N.K. Jemisin n'est pas toujours une adepte de la nuance. Mais, elle a fini par se lancer dans la rédaction de ce finalement dernier volume de cette trilogie transformée en diptyque. Et sincèrement, je suis content qu'elle ait trouvé le courage de s'y mettre. D'autant que
Némésis de la cité m'a paru meilleur que le précédent. Voyons en quoi.
Le premier tome avait présenté le contexte et le concept. Nous avions fait connaissance avec Niik, l'avatar de la ville de New York dans son intégralité. Mais aussi de Padmini (le Queens), Brooklyn (inutile de préciser), Manny (Manhattan), Bronca (le Bronx). Et Ainslyn, l'incarnation de Staten Island qui a choisi le camp de la cité ennemie de R'lyeh et sa si dangereuse Dame Blanche. Les cartes étant ainsi disposée, ce deuxième roman part directement en terrain connu et peut se contenter de régler la question de l'intrigue. Et pour ça,
N.K. Jemisin est plutôt bonne. Pas de temps mort dans ce volume. On se dirige allègrement vers l'affrontement final que la Dame Blanche, comme tout bon méchant qui se respecte (voir le Syndrome Magneto), appelle de ses voeux. Mais là aussi, j'ai trouvé l'autrice plutôt maligne. Elle nous conduit à la conclusion inévitable et assez attendue (pas de réelle surprise ici), mais évite le feu d'artifice grandiose et un peu lourd à digérer parfois (
Robert Jackson Bennett, par exemple, n'a pas fait dans la dentelle dans le Retour du hiérophante et encore moins dans Les terres closes). On a ce qu'il faut pour clore le diptyque en beauté, mais sans excès. Et ça, j'ai apprécié. Je pense tout de même que des spécialistes en effets spéciaux pourraient s'en donner à coeur joie s'ils devaient porter à l'écran cette oeuvre. Car
N.K. Jemisin nous offre de beaux moments et des images frappantes. Par exemple, quand chaque quartier se retrouve en danger et doit puiser dans son identité profonde, en extirper un concept capable de blesser et de repousser l'Ennemie. de bonnes trouvailles et des moments pleins de peps.
J'ai apprécié également la tonalité de chaque personnage. La traductrice émérite,
Michelle Charrier, a dû bien s'amuser pour retranscrire au plus près les particularités linguistiques et les tics verbaux de chacun d'entre eux. Cela ressort plutôt bien en français, mais j'adorerais être bilingue et lire cela en V.O. L'effet doit être plus fort, plus saisissant.
Enfin, l'outrance du premier volume est un peu moins forte et passe plus facilement ici. Les mâles blancs hétéros etc sont toujours en immense minorité dans les personnages représentés. Et quand ils apparaissent, c'est plutôt du côté des méchants. Mais les attaques sont un peu moins caricaturales et cela devrait passer plus facilement pour certains lecteurs qui se sont sentis agressés par Genèse de la cité. Rassurez-vous,
N.K. Jemisin n'a pas limé ses griffes et ça vole encore en direction des racistes, sexistes et autres « istes » persuadés d'avoir le bon droit pour eux quand ils gardent dans leur besace le meilleur et ne comprennent pas pourquoi les autres protestent. Les héroïnes et héros ne correspondent définitivement pas à ceux des bouquins et films des années cinquante du siècle précédent. Mais ils sont tout aussi attachants, sinon plus. Et l'autrice leur donne une vie, une force d'enfer. Impossible d'y rester indifférent. En tout cas, moi, j'ai accroché dès les premières pages et n'ai pas lâché l'affaire avant les remerciements.
Passer d'une trilogie à un diptyque n'a finalement peut-être pas été une si mauvaise affaire pour nous.
N.K. Jemisin a resserré son intrigue, allant à l'essentiel, gagnant en rythme et en efficacité. Résultat, un roman qui se lit d'une traite et qui clôt les arcs narratifs ouverts dans le premier volume. Et des moments de grande jouissance devant les saines colères de certains avatars confrontés à l'injustice de notre monde. Surtout quand ils répliquent avec leurs nouvelles armes. Tremblez, faquins, New York arrive !
Lien :
https://lenocherdeslivres.wo..