Il est souvent reproché à la littérature française actuelle son nombrilisme, son penchant désolant vers l'égotisme, ou le culte de l'égocentrisme systématique .
Avec
L'art français de la guerre d'
Alexis Jenni, nous tournons résolument le dos à ce travers pour nous diriger vers des questions de fond : la place de la guerre dans l'histoire récente de la France, la place de la violence dans la société française , le rôle de l'histoire dans la conscience d'une nation. Et nous entrons dans le vif du sujet dès les premières lignes du roman .Le récit part de la rencontre d'un jeune habitant de la région lyonnaise un jour de 1991, situé aux débuts de la guerre du Golfe .Ce garçon rencontre Victorien Salagnon, ancien maquisard, engagé volontaire dans l'armée et combattant des guerres d'Indochine et d'Algérie.
L'habileté d'
Alexis Jenni est d'éviter l'écueil, qui aurait consisté à élaborer un récit romanesque, un de plus, de ces guerres .Le roman oscille entre la restitution des échanges entre ce jeune homme et Victorien Salagnon, accompagné de la femme de sa vie, Eurydice, dont il a fait la connaissance en Algérie, et d'autres relations, parmi lesquelles un certain Mariani, compagnon d'armes.
Le fil conducteur du roman est le suivant : La France a, peu ou prou, conduit depuis 1945 jusqu'à 1962 la même guerre : « -Vous ne l'avez pas remarquée la guerre de vingt ans ? La guerre sans fin, mal commencée et mal finie ; une guerre bégayante qui peut-être dure encore. La guerre était perpétuelle, s'infiltrait dans tous nos actes, mais personne ne le sait .Le début est flou : vers 40 ou 42, on peut hésiter. Mais la fin est nette : 62, pas une année de plus .Et aussitôt, on a feint que rien ne se soit passé. »
Autre fil conducteur du roman :la référence à Sun-Tsu , auteur de L'art de la guerre, auquel
Alexis Jenni fait référence implicitement dans le titre de son roman .Après avoir évoqué un dialogue de Sun-Tsu avec un empereur de Chine, il décrit le rôle destructeur de la ,peur dans l'accomplissement des guerres : « Nous , les gens, nous avons des jus psychiques et volatils qui agissent comme des odeurs et les partager est ce que nous aimons le plus .Quand nous sommes ensemble, ainsi unis, nous pouvons sans penser à rien d'autre courir , massacre, nous battre à un contre cent. »
On peut relever au cours du livre la présence répétée de propos acerbes à l'encontre du Général de Gaulle : « Il nous donna, parce qu'il les inventa, les raisons de vivre ensemble et d'être fiers de nous .Et nous vivons dans les ruines de qu'il construisit, dans les pages déchirées de ce roman qu'il écrivit, que nous prîmes pour une encyclopédie, que nous prîmes pour l'image claire de la réalité alors qu'il ne s'agissait que d'une invention ;une invention en laquelle il était doux de croire . »
On le voit , l'histoire de France , dans ses épisodes les plus cruels, est omniprésente .Ce qui sauve Victorien Salagnon de la barbarie et de la cruauté, c'est la peinture , art auquel il s'adonne entre deux combats , qui le distancie des événements, qui le pousse à élaborer , par ses desseins et ses peintures, des souvenirs , sources de rééquilibrage psychologique pour lui.
On trouve aussi, dans ce roman, de très éclairantes réflexions sur les liens existants entre ce passé, un peu lointain peut-être pour certains, et l'actualité sociale de la France :
« Nous avons manqué à l'humanité .Nous l'avons séparée, alors qu'elle n'a aucune raison de l'être .Nous avons crée un monde où selon la forme du visage, selon la façon de prononcer le nom, selon la manière de moduler une langue qui nous était commune, on était sujet ou citoyen. Chacun consigné à sa place, cette place s'héritait et se lisait sur les visages. »
C'est probablement un des meilleurs romans sur ce sujet : le rapport de la France à son passé colonial, à son art de la guerre.
A lire absolument.
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