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sur 143 notes
Pierre Jourde sait écrire, et l'on rencontre ici ou là dans ce livre de magnifiques fulgurances littéraires. Son sujet est ici le hameau du Cantal dont son père est originaire, qu'il revoit à l'occasion, en tant qu'émigré de ces lieux, devenu citadin, comme tant d'autres.
L'occasion est triste et pénible: une petite fille est décédée. Tout le village, le réel et l'exilé, viennent, en ce jour d'hiver, l'honorer, l'enterrer.
L'auteur nous décrit ses souvenirs d'enfance, sous la forme de photographies des lieux, et de descriptions, hachées menues, de ses habitants, de leurs logis, de leurs moeurs. Et tout n'est pas rose. Insiste-t'il trop sur le côté noir de la vie d'antan dans ces campagnes? Probablement, certainement. Mais c'est lui qui écrit: il fait ce qu'il veut.
Les villageois bien réels lui en voulu, énormément, pour avoir insisté jusqu'au dégoût sur les effets délétères de "l'alcool, l'hiver, la merde, la solitude" sur les hommes et les femmes de ces contrées. Ils ont réagi, c'est leur droit. Trop violemment? Certainement. Mais comment répondre autrement à un homme qui a pour lui les éditeurs, la ville, les pouvoirs, quand on se sait loin de tout, humilié, et sans moyens? On attend la réponse.
Dès le début du livre, on note la similitude entre l'approche du sujet par P.Jourde avec celle de M.H.Lafon: même objet, même style, même qualité d'écriture. Mais, pour parler du monde paysan, il a manqué cette chose importante à P.Jourde et qui est - heureusement - constamment présente dans les livres de la dame de la Santoire: la délicatesse.
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Le voyage intérieur se poursuit inexorablement dans ce pays montagneux du bout du monde. le le titre du roman, en apparence si simple, si peu engageant, avec sa triste couverture, loin de nous perdre ou nous égarer, nous fait pénétrer dans un monde qui dévoile tout ce que nous avions ignoré ou oublié en faisant ressusciter un passé que l'on croyait enseveli ou qui n'avait peut-être jamais existé véritablement, cachant lui-même d'autres strates, d'autres palimpsestes encore plus mystérieux et inquiétants.

Les choses les plus insignifiantes deviennent "un opéra fabuleux". de la laideur et de la crasse, de cet alcoolisme et de cette brutalité, d'un coin d'ombre ou d'une éclaircie, tandis que surgit, à l'improviste, un souvenir rapporté par le narrateur, de toute cette "tristesse" parfois "majestueuse" naît une beauté singulière qui nous étonne et qui nous délecte.

Les portraits de villageois et villageoises, sortes de petits santons disposés tout autour d'une crèche provisoire et désaffectée, sont des chefs-d'oeuvres en miniature. le silence glacé qui règne, parfois, ou se disperse, quand la mort vient s'abattre avec injustice sur une jeune fille, fait sortir de leurs tombeaux vivants des êtres qui s'animent, de curieuse façon, et qui nous émeuvent.
Nous sommes dans le funèbre, mais le funèbre dont les feux follets n'ont pas fini de courir ici et là, pour révéler des secrets d'outre-tombe, qui semblent avoir choqué la plupart des habitants de ce village, après la parution du livre de Pierre Jourde.

La musicalité et le phrasé, ciselés par la main d'un orfèvre génial, nous laissent dans l'émerveillement que nous éprouvons au Louvre, devant les sculptures ou les tableaux des plus grands maîtres. Pays perdu - où chaque mot est médité et profondément recherché, à la manière de Flaubert - est un chef d'oeuvre, un acte de pur héroïsme et de liberté d'écrivain. Il aurait manqué à la littérature contemporaine, à la littérature universelle, s'il n'avait pas été écrit.
Merci, Monsieur le Professeur. On ne vous oubliera jamais
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Un petit parisien venait en vacances dans le Cantal.  Il y a vu des choses, des gens.

Quand, 20 bonnes années plus tard, devenu un magnifique spécimen de parigot, il décide d'écrire ce qui lui reste de souvenirs de cette époque, cela donne ce ramassis d'âneries, diffamatoires pour la plupart, que son grand ami qui ne peut rien lui refuser éditera.
Ces âneries lui vaudront des déboires justifiés sur le fond mais condamnables, d'ailleurs condamnés, sur la forme.

 Si vous voulez lire une description fidèle de la vie dans cette contrée, je vous recommande Les derniers indiens de Marie Hélène-Lafon. En plus, elle, elle écrit très bien.

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Une langue magnifique, précise, poétique, d'une maîtrise parfaite qui décrit merveilleusement ce pays perdu, perdu dans le temps autant que dans l'espace. Mais cette maîtrise m'a aussi mise mal à l'aise quand elle raconte les gens, leur vie, où tout ne semble que misère, saleté, violence et alcool, ce dernier régnant en maître du jeu. Il y a dans ce livre une certaine provocation à réduire le monde agricole même reculé à cette misère. Les pages évoquant l'omniprésence de la merde tant animale qu'humaine sont sidérentes, celles sur le sort des animaux, bétail, volaille ou autres, sont d'une cruauté complaisante. Certains passages sont magnifiques et prenants. Alors, un grand livre, certes, par le propos et la langue, mais avec un côté trop réducteur.. Née la même année que l'auteur, j'ai passé beaucoup de temps de mon enfance à la campagne... même si les monts du Lyonnais n'ont pas l'âpreté du Cantal, encore que, à l'époque, c'était un bout du monde... je garde des souvenirs plus lumineux... C'est cela qui me semble manquer à ce livre... la lumière.
Et puis... j'ai lu dans la foulée La première pierre, livre qui répond aux conséquences et à la polémique suscitées par Pays perdu. Et là, j'ai mieux compris ce que l'auteur avait voulu exprimer, le second apportant les notes de lumière dont semble absent le premier. Peut être eut il fallu le second avant le premier... je n'en suis pas sûre...
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Récemment, j'ai adopté une nouvelle règle de lecture : lorsque j'arrive à la moitié d'un bouquin, si je n'ai toujours pas accroché, j'abandonne. Il y a trop de livres à lire et pas assez de temps dans une vie pour perdre du temps à lire des livre qu'on n'aime pas. Et puis, un auteur qui ne sait pas accrocher le lecteur avant la moitié du livre, ne vaut pas la peine d'être lu.
Et bien une fois arrivé à la moitié de Pays Perdu, je ne pouvais plus supporter une seule description d'un habitant de ce village. Vu que j'ai cessé ma lecture au milieu de cet ouvrage, je fais appel à vous, qui avez lu ce livre : pouvez-vous me spoiler ? Pouvez-vous me confirmer que la deuxième moitié du livre est aussi barbante que la première ? S'agit-il, jusqu'au bout, d'une trainée incessante de descriptions aussi vides de sens les unes que les autres, et qui n'ont absolument aucun lien entre elles ?
En tout cas, certains auteurs ne se foulent pas à trouver une intrigue digne de ce nom. Ils se contentent de belles figures de style et hop, ils trouvent un éditeur ! J'en ai presque envie de pleurer pour les écrivains talentueux qui désespèrent.
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‌J'ai laissé passer quelques jours avant de commenter, car ce livre m'a bouleversée et réveillé de très nombreux souvenirs d'enfance, de vacances passées chez mes grands-parents en Auvergne également, dans un petit village de 230 habitants proche de Volvic donc beaucoup moins isolé.
J'y suis retournée il y a quelques années après quasiment 40 ans d'absence. C'est devenu à la fois un village de résidences secondaires (héritées et retapées) d'habitants de Clermont, dont de nombreux employés ou retraités de chez Michelin, de salariés de Volvic et de maisons abandonnées, il ne reste que très peu de fermes en activité.
Je pensais retrouver la maison facilement, or j'ai tourné pendant un bon moment. Elle était totalement abandonnée.
Je pourrais continuer avec le fameux "Je me souviens" de Pérec".
Je me souviens des "waters" ou des cabinets (on ne disait pas WC, ni toilettes) au fond du jardin et de mon dégoût.
Je me souviens des orages somptueux qui nous faisaient peur et nous fascinaient.
Je me souviens à peine du maréchal-ferrand (surtout du bruit de sa forge et de ses outils), j'étais toute petite quand il est parti.
Je me souviens du tailleur de pierre.
Je me souviens de la Morande qui tenait l'unique épicerie-bar-tabac-restaurant-station service.
Je me souviens de la Bline alors très âgée, on allait acheter le lait dans sa ferme (beurk !) et dont mon père disait en plaisantant qu'elle avait déniaisé presque tous les garçons du village. Je n'ai pas osé lui demander s'il était concerné...
Je me souviens que le repas était fini quand mon grand-père (un homme pas facile) fermait son Opinel. Là, on pouvait vraiment parler de patriarcat...
Je me souviens du lavoir où j'aimais aller avec ma grand-mère et ses voisines (avant la machine à laver qu'elles ont toutes accueillie comme le sauveur. L'hiver, il fallait quasi casser la glace pour rincer le linge, changer les draps attendrait...).
Je me souviens du four banal près du lavoir (je l'avais complètement oublié celui-là)
Je me souviens des foins, moi j'adorais, mon père moins (il se sentait obligé d'aider, pour ne pas passer pour le parisien prétentieux, même s'il travaillait en usine)
Je me souviens du château de Tournoël alors libre terrain de jeu des enfants.
Je me souviens du raccourci à travers champs pour aller à pieds à Volvic. Il a complètement disparu (Ah ! La voiture...)
Je me souviens aussi des bouses de vaches...
Je me souviens du village-Michelin où vivait un cousin, avec ses maisons Michelin (différentes pour les cadres et les ouvriers), ses camps de vacances Michelin, ses magasins Michelin, ses écoles Michelin et les habitants très contents de leur sort (un loyer symbolique, un bout de jardin, un potager, un grand congélateur pour les animaux chassés, ou... braconnés et du travail de père en fils). Mais ça, c'était avant...
Je me souviens aussi de certaines histoires de famille, de la maison de mon grand-père vendue à un cousin et pas à l'autre. Depuis, ils ne se parlent plus...
Je ne me souviens pas qu'on y ait trouvé un quelconque magot...
Bref, pour moi, la nostalgie est toujours ce qu'elle était...
Mais je vois que je me suis prise au jeu et que je n'ai pas vraiment fait une "critique littéraire" de ce livre.
Ce que sa lecture a provoqué en moi est suffisamment parlant !
Merci Monsieur Jourde.
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Je connais Pierre Jourde par son blog sur le site de l'Obs (http://pierre-jourde.blogs.nouvelobs.com/), et je sais par ailleurs qu'il est (ou fut) associé à Eric Naulleau, qui n'est (ou ne fut) pas que le complice de talk-show d'Éric Zemmour, mais aussi le premier éditeur (à peu de choses près) d'Olivier Maulin, ce qui est plus reluisant. Cet écheveau de circonstances fit que j'avais envie de le lire (Pierre Jourde). Je truffai donc ma liste de souhaits de toutes les références disponibles en français dans le réseau Bookcrossing, et quelqu'un m'envoya fort aimablement ce livre, lu dans la foulée.
Au début ça ne m'a pas plu, pas du tout. de la prose de professionnel urbain de l'intellect essayant de donner un sens à des circonstances de retour dans le village reculé d'origine de son père et de ses vacances d'enfant. Outre cette posture déjà un peu éculée, des phrases aussi longues que vides, du pur cérébral, aucun ressenti, aucune sincérité. J'étais sur le point d'abandonner cette lecture (chose bien rare chez moi), et simultanément, quelque chose bascula, tout doucement mais sans véritable retour en arrière. Comme si le narrateur, comme le voyageur, avait eu besoin d'un temps pour se familiariser à nouveau avec cette terre (ce matériau littéraire) revêche, raidi, dont l'intérêt ne se montre pas en un tournemain. Mais peu à peu, on y arriva, à cette impression que Pierre Jourde avait trouvé le chemin vers ce qu'il voulait dire, et probablement vers ses souvenirs et ses sensations, ce qu'il en conservait, ce que cela pouvait susciter dans son imaginaire volontiers baigné de fantastique. L'intérêt du livre remonte en flèche alors, et s'il reste parfois inégal, ce n'est peut-être qu'au gré du paysage, tant physique que mental, qu'il parcourt avec nous : les reliefs et leurs trous d'ombres plus ou moins ragoûtantes, alcoolisme, mutilations, merde, mort, et dans le meilleur des cas, folie.
Ce livre valut certains ennuis à son auteur : les habitants de sa région d'origine crurent s'y reconnaître un peu trop précisément, et finirent par l'accueillir, un jour qu'il arrivait là en vacances, à coups de pierres jetées vers lui et sa famille. A la lecture du livre, on comprend leur colère (les pierres, par contre, étaient de trop. Une saine discussion aurait mieux fait l'affaire). Pour moi, je ne peux que reconnaître ce que Pierre Jourde peint de cette campagne reculée et familiale : faussement belle, cruelle, possessive, profondément aliénante, et qu'on ne peut pourtant que désirer et retrouver toujours.
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Ce texte de Pierre Jourde m'aura montré à quel point notre regard sur une oeuvre peut changer à douze ans d'intervalle. de ma première lecture, j'avais principalement retenu la qualité de l'écriture et l'audace du propos, loin des descriptions convenues de la vie proche de la nature. Ce que je ressens avant tout aujourd'hui, ce sont la haine, le mépris et le dégoût qu'inspirent à l'auteur ces gens de peu dont il se repait à répéter qu'ils vivent dans la merde, l'alcool et la crasse, engendrant çà et là des enfants aux tares diverses et variées et auxquels notre humaniste n'a pas manqué d' ajouter une petite touche de consanguinité, histoire de parfaire le tableau. Figurez-vous que dans ce pays perdu, lorsqu'une femme s'avise de se défaire de son fichu à cause d'une démangeaison devenue difficilement supportable, le pus secrété depuis des semaines lui dégouline sur le visage ! Pierre Jourde a beau être professeur d'université, il semble lui manquer une certaine intelligence de comportement : n'est-il pas allé jusqu'à citer dans ses remerciements les habitants du village qui a servi de décor à sa logorrhée un brin scatologique ?
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A l'origine, Pierre Jourde voulait juste écrire une nouvelle qui se limitait à la narration des obsèques d'une adolescente, fille d'amis paysans vivant dans un petit village du Cantal dont est originaire sa famille ; village perdu où il a passé ses vacances durant son enfance et où il est revenu ensuite chaque été avec sa famille.

Une fois la nouvelle publiée, fin 2001, influencé par Éric Nolleau, Pierre Jourde a décidé d'en faire un livre, en reprenant des souvenirs personnels et en modifiant les noms de lieux et de famille pour parler de la vie de son village.

L'enterrement de l'adolescente a ramené l'auteur à celui de son père, et à son histoire, alors que celui-ci ne s'était résolu à la lui raconter que lorsque qu'il a eu vingt-cinq ans. Toute sa vie attaché à son village, Pierre Jourde souhaitait montrer la rudesse du pays à travers certains secrets de famille. Il s'agissait de restituer un double sentiment : « des sensations trouvées nulle part ailleurs et un sentiment d'irréalité », tel qu'il a pu le vivre, durant ces séjours là-bas. Pierre Jourde ne perd aucune occasion de rappeler qu'il se sent appartenir à la société qu'il décrit et imaginait sans doute rendre hommage aux habitants de son village. Toutefois, en évitant de tomber dans la complaisance, l'auteur a pu involontairement se montrer parfois blessant dans sa description de protagonistes vivant dans de vieilles maisons inconfortables le long de ruelles où s'élèvent les vapeurs des tas de fumier.

Pierre Jourde a brisé le « culte du silence » qui se transmet de génération en génération dans ces hameaux. Son roman a suscité une vive émotion parmi les habitants de son village. Certains se sont reconnus ou ont reconnu des proches décédés. Les moindres détails ont été pris comme des critiques, des offenses, ou des indiscrétions malveillantes, et ont été considérés comme du mépris. Les réactions vives suscitées par ce livre seront reprises et commentées dans un second ouvrage de Pierre Joudre « La Première Pierre ».
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C'est un pays qu'on situerait volontiers en Asie centrale. Des steppes d'herbe rase dont surgissent, ici et là, des volcans inoffensifs. En guise de yourte, on trouve des maisons basses aux toits de lauze que les hivers recouvrent inlassablement. Trou perdu, diraient les uns, pays perdu corrigerait Pierre Jourde, et dans le léger interstice de cette précision sémantique, l'auteur insérerait ses souvenirs romancés et la topographie d'un lieu que le passage des années rend de plus en plus imaginaire.

Alors qu'ils viennent vider la maison d'un cousin disparu, le narrateur et son frère sont cueillis à froid - c'est le cas de le dire, en plein hiver - par la nouvelle de la disparition de la jeune Lucie, une adolescente malingre au sourire radieux. La veillée funèbre et les obsèques sont l'occasion pour le narrateur de tirer le portrait à ce coin de Cantal, intimement lié à son enfance et à son père, disparu lui aussi. En écrivant tout cela, le narrateur tente de retenir ce qui n'est pas palpable : les souvenirs personnels, la nostalgie d'un temps passé, les mythes et les légendes locales. Comme convoqués par le drame de la disparition de Lucie, d'innombrables figures - vivantes et mortes - affluent dans ce village que les notions géographiques d'exode rural et de diagonale du vide condamnent à une disparition certaine. En cela aussi, c'est un pays perdu, car sans avenir, dont on ne verra bientôt même plus le nom sur une carte routière. Pays perdu, enfin, dans les limbes des mémoires individuelles, pays perdu à mesure que disparaissent ceux qui y ont vécu et pourraient le raconter. En cela, le pays du narrateur se situe à la frontière entre l'espace et le territoire, entre l'absolu naturel et la terre humanisée, bornée, chantée.

Il ne conviendra pas de revenir ici sur l'accueil qui fut fait à ce livre dans le village cantalien où Pierre Jourde passa les vacances de ses jeunes années. Il ne m'appartient pas ici de juger de la violence de cette réception, mais plutôt de la déplorer en tant que preuve d'une incompréhension. le récit de Pierre Jourde est résolument empreint d'une tendresse rude, à l'image du pays, des hommes et des femmes, qu'il s'attache à décrire aussi fidèlement que possible. Ce livre n'est pas le récit méprisant d'un universitaire sur un village de campagne qu'il a bien connu. Au contraire, Pays perdu est un témoignage qui serait presque ethnographique, s'il n'était pas empreint de sentiments pour les personnages qui le peuplent. le narrateur a conscience que son témoignage intervient trop tard, que le temps oeuvre pour la disparition de ces moeurs qu'on juge aujourd'hui avec sévérité (il n'y a qu'à lire la quatrième de couverture, où l'alcool est érigé au rang de divinité), et pourtant il témoigne pour que survive, même imparfaitement, l'âme de ce pays.

Pour ce passage en revue des hommes, des femmes et de leurs moeurs, Pierre Jourde use d'une langue riche et précise dans son vocabulaire, simple dans sa syntaxe et poétique dans les images qu'elle fait surgir. le matériau littéraire n'est pourtant parfois pas bien noble : la noirceur des intérieurs, leur saleté récurrente, les excréments omniprésents du bétail et parfois même des hommes, le feu de l'alcool qui ravage les gosiers et fait s'écrouler les buveurs inconscients dans la neige, le sang des lapins qui s'écoule, goutte après goutte. A mesure que tous, hommes et femmes, entrent dans la maison des amis du narrateur, François et Marie-Claude, pour témoigner de leur respect et aller voir la morte avant son retour à la terre, à mesure aussi que la neige s'empare des mains et des corps qui patientent dehors tandis que la cérémonie religieuse célèbre une dernière fois le souvenir de l'enfant disparue, le narrateur évoque les histoires du pays. Histoires rieuses de beuveries incroyables, histoires tragiques d'enfants disparus, de vies solitaires, de vies cloîtrées aussi à cause de l'obésité ou du chagrin. La pudeur, ici, gâcherait tout. Elle gommerait les détails des frontières de ce pays mental dans lequel le narrateur a grandi. Ce principe, il l'applique aussi à lui-même, invoquant le souvenir de son père, fils d'une union illégitime et relégué au rang de chauffeur pour une femme dont il était pourtant le fils. Malgré toutes ces histoires, il y a encore des regrets : ceux de n'avoir pas bien écouté le père lorsqu'un jour, enfin, il se décida à parler ; ceux de n'avoir jamais vraiment écouté la tante pour qui les secrets du pays n'existent pas. Ce qui n'existe pas non plus, dans ce livre, c'est le jugement. Les hommes et les femmes de ce pays ont même de la grandeur, lorsqu'ils se retrouvent hachés par le tracteur ou par la tronçonneuse, lorsqu'ils avalent silencieusement leur déjeuner, lorsqu'ils n'ont que leur silence digne à opposer à la mort. A celle promise à son pays perdu, Pierre Jourde oppose, lui, la littérature.
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