Emaz rassemble ces notes de carnet par lesquelles l'auteur pense de jour en jour le monde, défriche, prend recul sur sa propre activité de poète. Sur plus de 200 pages on constate les marges de l'oeuvre, les appuis, ce qu'il aura fallu mettre en oeuvre, les mouvements difficiles qu'il a fallu ou qui se sont imposés par l'exigence pour parvenir à isoler, à dire deux ou trois choses, un peu comme Cézanne parvenant en une vie à dire quelques pommes. Et de quel cambouis on se lave pour donner quelques vers simples, laborieusement dégagés du monde pour nous le donner à voir, à sentir etc. Ecrire n'est pas tant ajouter des mots sur la page qu'enlever ceux en surnombre déjà là pour en distinguer quelques uns du tumulte.
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Viendra un jour je m'en irai tout seul
Dans le parfum des filets de pêche sortis de la mer,
D'une île à l'autre
Sur la trace des girouettes.
Il existe des mondes, vous n'avez pas idée,
Les fleurs s'ouvrent dans un grondement,
Dans un grondement sort la brume de la terre.
Et les mouettes, surtout les mouettes,
Toutes plumes dehors !
Viendra un jour je serai bleu jusqu'au cou,
Viendra un jour je serai soleil jusqu'au cou,
Viendra un jour, comme un fou...
(juillet 1947)
Mais qu'est-ce que tu attends ? Jette-toi à la mer.
Tu vas manquer à quelqu'un ? Peu importe.
Ne vois-tu pas la liberté de tous côtés ?
Sois voile, sois gouvernail, sois poisson, sois eau,
Va jusqu'où tu pourras.
(Cap sur la liberté, octobre 1947)
Beau temps
Le beau temps m'a perdu.
Par un temps pareil j'ai démissionné
De mon poste d'employé,
Par un temps pareil j'ai pris goût au tabac,
Par un temps pareil je suis tombé amoureux ;
Par un temps pareil j'ai oublié
D'amener à la maison le sel et le pain ;
Par un temps pareil, toujours
Ma frénésie d'écrire des poèmes resurgit.
Le beau temps m'a perdu.
Avril 1940
p.83
Mon chef-d'œuvre
Lorsque je suis amoureux, d'habitude
Je n'écris pas de poèmes.
J'ai pourtant écrit
Mon unique chef-d'œuvre
Quand j'ai compris que je l'aimais plus que tout.
Et c'est d'abord à elle
Que je dirai ce poème.
Septembre 1937
p.34
ROBINSON
De tous mes amis d'enfance
Mon arrière-grand-mère est la plus chérie
Depuis le jour où nous avons inventé mille façons
De sauver le pauvre Robinson de son île déserte
Et pleuré tous deux
En voyant souffrir Gulliver
Perdu
Au pays des géants.
15.12.1937