< La douleur n'avait plus d'aiguillon, et la gerbe des plaisirs avait perdu ses fleurs >
Mon amour pour cette collection des poésies magiques publiées par Les belles lettres n'a de cesse de grandir.
Chaque ouvrage est magnifiquement travaillé, détaillé, développé. Chaque auteur est mis l'honneur de manière surprenante et charmante.
J'ai adoré découvrir le travail de Keats qui m'était encore presque inconnu. Je ne l'aurai certainement pas lu sans cette édition et cela en fait une découverte d'autant plus douce.
Lire Keats est une expérience à part entière, intemporelle et indétrônable. Sa plume caresse et secoue nos perceptions. Agacé nos yeux d'émotions si contradictoires que cela rend la lecture clairement magique.
Connaissez-vous cet auteur ?
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Penche-toi, Hermès ; laisse-moi souffler sur ton front
Et tu vas voir ta délicieuse nymphe sur-le-champ.
Le dieu, sur ses ailes à demi repliées, se couche, serein ;
Elle souffle sur ses yeux, et en un instant apparaît
À l’un et à l’autre, sur l’herbe, la nymphe sur ses gardes et qui presque sourit.
Ce n’est pas un rêve ; ou dites rêve si vous voulez :
Réels sont les songes des dieux et, doucement,
Leurs plaisirs s’écoulent en un long rêve immortel.
Un instant, le sang chaud à la tête, hésitant, comme étourdi
Par la beauté de la nymphe des bois, il brûle ;
Puis, se posant sur l’herbe vierge d’empreintes, il se tourne
Vers le serpent évanoui et, d’un bras langoureux,
Délicat, met à l’épreuve le charme de son souple caducée.
Cela fait, sur la nymphe il dirige son regard
Tout rempli de larmes d’adoration et de flatteuses caresses
Et vers elle il s’avance ; elle, comme lune à son déclin,
S’estompe devant lui, se fait petite et ne peut retenir
Ses sanglots effrayés, se repliant sur soi comme fait une fleur
Quand, défaillant, le soir, elle rentre en elle-même.
De même l’amour, encore qu’on n’y sache voir
Que deux souffles passionnés qui se mêlent,
A plus d’effets peut-être qu’il ne s’en révèle à nos yeux.
Lesquels ? je l’ignore ; mais qui, parmi les hommes, peut affirmer
Que les fleurs s’épanouiraient, ou que les fruits verts gonfleraient
En une pulpe fondante, que les poissons revêtiraient leur étincelante cotte de mailles,
Que la terre recevrait sa dot de rivières, de bois et de vallons,
La prairie ses ruisseaux, les ruisseaux leurs galets,
Les graines leur mousson, ou le luth ses accords,
Les accords leur extase ou l’extase sa douceur,
Si les âmes humaines jamais ne s’accueillaient dans un baiser ?
Où réside le bonheur ?
Tu m’as abandonnée ; où suis-je maintenant ?
Non pas dans ton coeur quand le souci pèse sur ton front.
Non, non, tu m’as chassée ; et je te quitte
Ta poitrine, sans gîte ; oui, il ne peut en être autrement.
- LAMIE
Et quand je sens, ô exquise créature d’une heure,
Que je ne poserai jamais plus les yeux sur toi,
Que jamais je ne savourerai le pouvoir ensorcelant
De l’amour insouciant — alors, sur le rivage
Du vaste monde, seul et debout, je médite
Et l’amour et la gloire s’abîment au néant.
- Quand j’ai peur
Du Chagrin
J’avais pris congé,
Le croyant loin, bien loin, laisser derrière ;
Mais, ô gué ! ô gué !
Il m’aime tendrement ;
Il est pour moi si fidèle et si bon :
Je le voudrais tromper,
Ainsi l’abandonner,
Mais, las ! il est si fidèle et si bon.
- Hymne au chagrin
John KEATS – Une Vie, une Œuvre : L’ardeur (France Culture, 2004)
Émission "Une Vie, une Œuvre », par Francesca Isidori, diffusée le 23 mai 1991 sur France Culture. Invités : Robert Davreu, poète, traducteur de la Poésie et de la Correspondance de Keats ; Christian La Cassagnère, professeur de littérature anglaise (Université Lumière Lyon 2), qui a dirigé l'ouvrage collectif : Keats ou le sortilège des mots (Presses Universitaires de Lyon) ; Marc Porée, éxégète et traducteur des Poèmes et poésies de Keats aux éditions Gallimard ; Robert Ellrodt, traducteur et exégète de Keats.