En trois mots : ça se lit.
Et pour un auteur comme
Stephen King dont j'ai lu quelque chose comme 80% des bouquins (romans, recueil de nouvelles, de novellas, projet à quatre mains, scenario, etc...), c'est assez décevant. Voire très. Ce n'est jamais vraiment mauvais - il a trop d'expérience pour ça - mais ce n'est pas très bon non plus.
Il y a quelques nouvelles qui ont des idées de départ sympathiques : Willa et Fête de diplôme. Chacune dans leur genre surprenne le lecteur et c'est bien ce qu'on demande à une nouvelle. Mais ce n'est pas un twist hollywoodien (quoique). Et les ambiances, les personnages, ne sont pas si réussis que dans d'autres recueils de nouvelles du King.
Il y a Ayana dans un autre genre dont le postulat initial m'a plutôt séduite, mais cette fois on a l'impression qu'il a hésité sur le sort à donner à cette bénédiction/affliction : accorder la guérison miraculeuse à quelques uns, voilà une idée qui pouvait donner lieu à un roman. Ou à une nouvelle plus courte. King hésite et nous fait une nouvelle sur quelque chose comme trente ans !?! S'arrêter au premier miracle aurait donné quelque chose. Pas sensationnel, pas LA nouvelle, mais quelque chose. Là, l'idée est bonne mais la réalisation moins. On a l'impression qu'il n'avait pas envie de lâcher ce petit monde avec ses super-pouvoirs non-maîtrisés, aléatoires, mais il avait déjà écrit
la Ligne Verte avec son John Coffey, lui aussi doué et damné.
N. est une grosse nouvelle, une centaine de pages environ. King dit s'être inspiré de
Machen. Moi, j'avais pensé à
Lovecraft en lisant. J'apprends que le second est très largement influencé par le premier, donc ce n'est guère étonnant. Comme dans
Lovecraft en tous cas, j'ai trouvé l'ambiance un brin ennuyeuse, les personnages un brin incohérents, les postulats de départ un brin fumeux. Bref, j'ai plutôt apprécié le côté "faille" où le réel côtoie ce que l'esprit humain ne saurait toléré, mais le reste m'a laissé un peu froide.
La dernière nouvelle qui m'a laissée un bon souvenir, c'est "Un très petit coin". La guerre des voisins poussé à son paroxysme, jusqu'à ce que l'un des protagonistes se retrouve enfermé dans des chiottes de
chantier au milieu d'une ville à moitié sortie de terre et désaffectée. Mais...les personnages frôlent la caricature, pas très réussie d'ailleurs, et la fin m'a semblé incohérente. Encore une fois, une bonne idée de départ un peu gâchée par la suite.
Globalement, je trouve que le fait que King passe la moitié de l'année en Floride est une mauvaise chose pour nous, lecteurs. Il nous les brise avec les "keys", avec les grandes propriétés désertes, avec les lagons bleus, l'art contemporain, et je ne sais quoi encore.
Le monde de King, celui où son imagination sait nous faire vibrer, c'est la nouvelle Angleterre, le Maine, éventuellement le Colorado ou le désert. Pas Miami, pas les keys, non plus que New-York.
L'horreur (ou le fantastique, ou le suspens, ou ce que vous voulez) existe aussi sous le soleil, mais King sait faire faire vivre des personnages, les mettre dans les emmerdes jusqu'au cou et éventuellement les en sortir sous la pluie de Derry, de Castelrock, de Bangor. On peut pousser vers le Nebraska, ou vers Boulder - Colorado, ou DesMoines.
On écrit bien sur ce qu'on connait. King connait les gosses qui jouent au confins du monde urbanisé, dans les zones industrielles désaffectées, les décharges publiques, les petits bois où personne ne va, les voies de chemin de fer. Pas les ponts à péage de Floride, où les plages où se rassemble pour s'extasier ensemble sur un coucher de soleil.
Il connaît les femmes battues par des maris ivrognes et les petites îles battues par les vents, les mecs dont le cerveau fout subitement le cap vers nulle part, les commères qui passent la journée devant les soap à se goinfrer de chocolat, les types avec des pickups, les adolescents en train de tourner mal, les illuminés et les braves gens qui sont obligés de prendre le service de nuit pour payer les factures. Pas les traders, ou les peintres en goguette, ou que sais-je.
A mettre dans le même sac que
Duma Key.