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Albert Lehman (Traducteur)
EAN : 9782253012313
313 pages
Le Livre de Poche (01/11/1995)
4.07/5   121 notes
Résumé :
En 73 avant J.-C., en plein cœur de l'empire romain, une troupe de soixante-dix gladiateurs conduite par le Thrace Spartacus s'échappe d'un cirque. Semant la terreur sur leur passage, revendiquant leur liberté, ils sont en quelques mois rejoints par une foule d'esclaves et de laissés-pour-compte, jusqu'à former une armée de milliers d'hommes. Pendant deux ans, ils vont tenir en échec le pouvoir de Rome, détruisant des villes entières sur leur passage, avant d'être v... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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Outre le fait que depuis que je suis gamine j'adore le film de Kubrick avec l'indestructible Kirk Douglas, Spartacus est une figure historique qui, par ce qu'il symbolise, fait vibrer mon petit coeur d'éternelle gauchiste. Dès le 18ème siècle, il est utilisé comme référence politique progressiste. Ainsi, il devint le symbole de la lutte en faveur de l'abolition de l'esclavage. On peut citer Lamartine qui, dans une pièce de théâtre, compare Toussaint Louverture à Spartacus. Par la suite, il incarnera la figure de l'exploité qui se révolte contre le puissant, son combat devenant celui du prolétariat face au capitalisme. Ce n'est pas pour rien que Rosa Luxembourg et ses amis ont choisi d'appeler leur mouvement la ligue spartakiste.

Le roman de Koestler s'inscrit dans cette veine politique. Il ne s'agit pas ici de raconter la vie de Spartacus comme s'il s'agissait simplement d'une figure historique ayant eu une vie mouvementée et romanesque. Koestler propose ici d'avantage le récit de l'échec d'une révolution qu'un simple récit biographique. D'ailleurs, son roman démarre alors que les 70 gladiateurs viennent de s'échapper. La jeunesse et la capture de Spartacus n'intéressent pas l'auteur. Koestler est avant tout un intellectuel engagé qui n'a cessé de questionner le monde et de questionner ses propres convictions. Très tôt, il a eu une conscience sociale aigue, qu'il a toujours tenté de mettre en pratique. Il est un penseur qui agit. A 21 ans il participera même à une expérience collectiviste d'un kibboutz en Palestine où il travaille en tant qu'ouvrier agricole. Revenu en Europe, il adhère au Parti communiste allemand en 31. En premier lieu car il en voit en cette idéologie une opposition au nazisme qui commence à prendre de l'ampleur et également car il est sensible au modèle égalitaire promis. Très vite, il va de désillusions en désillusion, la déception culminant en 35 au moment où commencent les procès de Moscou. C'est à cette époque qu'il commence la rédaction de « Spartacus ». La révolte tragique du gladiateur lui offre le point de départ idéal pour s'interroger sur la façon dont se déroule une révolution, comment, inévitablement, confrontée à la réalité elle se dénature jusqu'à se trahir elle-même. Koestler n'achèvera son roman qu'en 1938 (entre-temps il a été prisonnier des franquistes lors de la guerre d'Espagne qu'il couvrait en tant que journaliste) après avoir quitté le Parti communiste. S'il y a donc un sens évident à lire « Spartacus » en faisant le lien avec la vie et les engagements de son auteur, le roman se suffit à lui-même et peut se lire sans cet éclairage.
En effet, il n'est nul besoin de connaitre les détails de la vie de l'auteur pour apprécier les réflexions du roman. le texte parle de lui-même e a une portée universelle et intemporelle. A travers la révolte de Spartacus, c'est toutes les révolutions que Koestler évoque, pas seulement celles qu'il a vu. « Spartacus » est une lecture stimulante, intelligente. le lecteur réfléchit, se pose des questions, longtemps après avoir fini le livre.

Si Koestler fait appel à l'intelligence de son lecteur, il n'en oublie pas pour autant son coeur. « Spartacus » n'est pas un roman désincarné. le récit est parcouru de moments d'émotion. Mais l'auteur ne cherche jamais les émotions faciles. Il ne va donc pas jouer sur un registre romantique exalté. A ce titre, la fin du roman est remarquable ; L'émotion que Koestler distille au cours de son récit est plus subtile. Ce qui marque le plus, c'est le ton désespéré du roman. L'auteur est tellement désabusé, tellement déçu qu'il semble nous dire que toute révolution est vouée à l'échec. Cette absence d'espoir est bouleversante. Mais si je comprends le pessimisme de l'auteur vu son parcours, je n'ai pas envie de le partager. Peut-être, sans doute Koestler a-t-il raison, mais je me refuse à admettre cette idée. S'il n'y a plus d'espérance, il n'y a plus rien. Et d'une certaine façon, rien que cette espérance qui ne s'éteint pas totalement, c'est une victoire.

Au-delà de son fond très politique « Spartacus » se lit très facilement. le récit est très bien mené et est passionnant de bout en bout. La plume de koestler est fluide et agréable.
Cette lecture m'a donné envie de revoir le film de Kubrick (dont je ne me souviens quasiment plus de rien) et surtout de lire le « Spartacus » de Howard Fast dont il est l'adaptation. Howard Fast, encore un autre homme engagé au destin singulier (membre du parti communiste américain, il sera inscrit sur les fameuses listes noires de la commission des activités anti-américaines lors du Maccarthysme).
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Quand on a pour objectif de lire un péplum, on réfléchit d'abord à ceux qui nous viennent immédiatement à l'esprit. Mon amour pour les Nobels me guidait naturellement vers le Quo Vadis de Sienkiewicz, grand best-seller à son époque… sauf que je l'avais déjà lu et que je n'aime pas trop me répéter dans mes lectures, il ya tant à découvrir. Une figure s'imposa rapidement : Spartacus, le gladiateur révolté. La couverture du roman parla bien à ma mémoire qui gardait en elle quelques images de l'adaptation cinématographique avec Kirk Douglas : des combats avec filet, fourche, bouclier et tout l'attirail.

Je n'ai sans doute pas pu aller plus loin que ces quelques images étant enfant, la violence de ce genre de film ayant dû m'interdire une vision en intégralité, même si la vigilance parentale était plus lâche à mon époque. D'où ma surprise à la lecture du livre de Koestler ! Aucun combat entre les différents gladiateurs ici, mais bien la fuite face à la violence et le fait de s'entretuer que le public avide de sang leur imposait.

J'ironise bien sûr, cette fuite est épique et cette liberté n'est gagné qu'au prix de combats successifs face à l'oppresseur politique et militaire, mais il s'agit de combats militaires, de batailles rangées, pas de spectacles. Les affrontements successifs sont parfois assez répétitifs et lassants, mais le message adressé est de plus en plus clair. Koestler est un ancien militant communiste, né à Budapest. Il quitte le parti en 1938 à la suite des procès de Moscou et en opposition avec le stalinisme. Spartacus est publié en 1939…

Comment ne pas donc voir dans cette belle idée de départ de la lutte des esclaves qui finit par se transformer en tyrannie une transposition trait pour trait de la trajectoire de l'idéologie marxiste et de sa réalisation concrète manquée dans le communisme russe ? le message parait évident… mais n'est-ce pas aussi l'histoire qui pousse à ce parallèle, dans son éternel recommencement ? Car l'histoire de Spartacus et de sa révolte n'est pas une fiction. La guerre servile qu'il a mené contribuera à fragiliser une république romaine remplie d'injustice et d'inégalités…. et à faire tomber le peuple dans les bras de l'Empire. Et comment ne pas y voir aussi un parallèle avec cette Révolution Française qui accouche d'une première république dans le sang…. pour se réfugier elle aussi dans les mains de l'empereur pour le retour à un ordre rassurant ?

Cette lecture date de plusieurs mois et mes impressions sont donc trop floues pour constituer une critique cohérente. Au-delà de certaines lenteurs du récit, ce roman m'aura plongé dans des réflexions politiques et historiques bien plus profondes que celles que je m'attendais à trouver dans un péplum. Comme pour tous les genres littéraires, il est dangereux de généraliser, les plus grands représentants de chaque genre le sont souvent devenus parce qu'ils savaient apporter plus que les autres, refléter à travers eux bien plus loin que le sable des arènes et le sang des combattants.
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« Nous vivons au siècle des révolutions avortées » c'est le constat d'un avocat romain au 1er siècle avant JC. L'empire romain connaît alors une grande période de désordre politique, économique et social. C'est dans ce climat troublé que Spartacus va entraîner avec lui gladiateurs et esclaves dans une révolte qui aura fait trembler Rome.
Cependant le Spartacus d'Arthur Koestler n'est pas un banal roman historique bourré d'actions et d'aventure. Il se veut plutôt une analyse et une réflexion sur le processus de la révolution, son mécanisme et tente d'expliquer pourquoi toute révolte semble être vouée à l'échec.
Bien entendu, le soulèvement opéré par Spartacus est pour Koestler un exemple de base autour duquel il construit son argumentation mais le propos s'applique de façon plus générale. S'agissant de Koestler, on pense notamment au cas de la Russie d'autant plus que Koestler profite de la légende de la Cité du soleil pour aborder le sujet du communisme et de son utopique mise en oeuvre.

La démonstration est menée avec habileté. Arthur Koestler met d'abord en scène un simple fonctionnaire de l'Etat romain, un greffier de province ambitieux qui cherche les honneurs et à gravir les échelons après de nombreuses années de bons et loyaux services. Il se fait témoin extérieur des évènements mais pourtant constitue à lui seul l'exemple même du citoyen moyen condamné à la médiocrité. Par le cas de ce greffier, Koestler permet une généralisation du type même du candidat à la révolte mais qui se résigne à son état.

« Car, aux débuts du monde, les dieux ont privé les hommes de la joie sereine et leur ont enseigné qu'ils devaient obéir aux interdictions et renoncer à leurs désirs. Et ce don de la résignation, qui rend l'homme différent des autres créatures, est si bien devenu chez lui une deuxième nature qu'il en use comme d'une arme contre ses semblables, d'un moyen infaillible d'oppression.
La nécessité de se résigner, de renoncer s'est, depuis les origines, si profondément ancrée dans les hommes qu'ils ne tiennent plus pour noble que l'enthousiasme de l'abnégation. Peut-être ainsi expliquera-t-on que l'humanité s'ouvre tous les jours à l'enthousiasme qui puise ses sucs dans la mort et qu'elle reste sourde à l'enthousiasme de la vie. »

Spartacus, lui, ne se résigne pas et veut recouvrer sa liberté, il refuse que sa vie soit vouée à servir de divertissement aux « maîtres romains ». Il rejette sa condition d'homme asservi courbant l'échine. Dans un premier temps, nombreux sont ceux qui le suivent. Puis la désillusion et le découragement plus que les tentatives de matage des forces romaines ont raison du mouvement. Nombreux le désertent et retournent chez leurs anciens maîtres.
Pourquoi la révolte s'essouffle-t-elle et se saborde-t-elle elle-même ?

« Il y a deux forces agissantes : le désir de changement et la volonté de conservation. Celui qui part reste attaché par les liens du souvenir, celui qui reste s'abandonne à la nostalgie. de tout temps les hommes se sont assis sur des ruines et ont gémi … »

Koestler pointe alors du doigt la frilosité de l'homme face à l'incertitude du changement. Par sa nature, il préfère un état qui lui est défavorable mais qu'il connaît à une possible meilleure situation dont il ignore tous les tenants et toutes les difficultés qu'il lui faudra affronter pour y parvenir. On sait ce qu'on perd mais on ne sait pas ce qu'on trouve.
Autre raison invoquée par l'auteur : l'étroitesse de la conception que se fait la masse de la liberté :

« Pour l'homme moderne, la liberté ne signifie qu'une chose : ne plus être obligé de travailler. »

Et Koestler d'expliquer par la bouche de Crassus comment Spartacus aurait du s'y prendre. A cette occasion le discours de Crassus n'est d'ailleurs pas sans rappeler les valeurs stakhanovistes prônées sous le régime stalinien :

« Si réellement vous aviez voulu des solutions sérieuses, vous auriez dû prêcher une nouvelle religion élevant le travail au rang d'un culte. Vous auriez proclamé que la sueur du travailleur était un liquide sacré ; que c'est uniquement dans le labeur et la souffrance, dans le maniement de la pelle, du pic ou des rames que s'affirme la noblesse de l'homme, tandis que la douce oisiveté et la contemplation philosophique sont méprisables et condamnables. »

Bref, Arthur Koestler analyse de nombreux éléments, s'arrête aussi sur l'importance du meneur de la révolte, sur son attitude et la mentalité qu'il se doit d'avoir. Il retrace le schéma type du déroulement d'une révolte incluant les querelles de partis au sein du mouvement, la scission etc… Il fait intervenir de nombreux protagonistes d'horizons différents : l'homme de religion, le philosophe, le militaire, le simple citoyen, le magistrat... le contexte politique, économique et social est minutieusement étudié. Koestler prend d'ailleurs la peine d'écrire une postface dans laquelle il raconte la genèse du roman, son contexte d'écriture et dans laquelle il souligne l'importance qu'il a accordé à la rigueur historique dans tous les détails ( jusqu'aux descriptions vestimentaires).

Spartacus est à l'image du Zéro et l'infini, un roman d'une grande richesse où la réflexion et l'interrogation est constante. Toutefois, j'ai trouvé la première moitié assez longuette et parfois maladroite au niveau du style ( ou de la traduction ?) mais la deuxième moitié redresse la barre et compense largement tant elle pousse au questionnement. le sujet m'intéressant particulièrement, je ne vous cache pas qu'encore une fois je suis comblée par ma lecture.

Arthur Koestler est décidément un auteur qui me plaît de plus en plus. J'ai repéré à la bibliothèque La lie de la terre ( roman autobiographique dans laquelle il relate son expérience du camp) mais aussi une biographie d'Arthur Koestler par Michel Laval, je vais donc m'empresser de les emprunter !



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Six mille rêves expirent le long de la voie Appienne. Six mille croix dressées pour la propagande d'un homme, Marcus Crassus, dont l'action militaire offre un secours salutaire, mais temporaire, à une République romaine engagée dans son dernier siècle. de Spartacus et de sa révolte d'esclaves, il ne reste ni hommes pour la conter, ni vestiges pour témoigner auprès des générations futures de ce qu'elle fut. Pourtant, l'Italie trembla du parcours de cette horde qui contenait en elle tout l'empire, et menaçait de le renverser. Arthur Koestler, en s'emparant de pareille figure historique, n'écrivit pas seulement un roman historique d'une minutie extraordinaire quant au rendu de l'époque ; davantage, ces trois cents pages sont le prétexte d'une interrogation profonde des systèmes politiques et sociaux. de l'éthique politique aurait pu être un sous-titre pour cette anabase dramatique dans laquelle les damnés de la terre semblent proche de jeter à bas le monde qui les opprime. Et si Koestler fait de cette aventure historique une lecture éminemment politique et contemporaine - le livre est publié en 1939 -, il ne prend pas la liberté d'en changer la fin, manière aussi d'opposer au monde des idées celui des réalités matérielles. L'homme est ennemi de l'homme, y compris de lui-même.

En 73 avant JC, plusieurs centaines de gladiateurs s'évadent de l'école du capouan Lentulus Batiatus. Menés par le Thrace Spartacus et le Gaulois Crixus, les gladiateurs ravagent d'abord les environs de la petite cité campanienne, amenant à eux esclaves, valets et autres travailleurs de la terre. Trouvant refuge dans le cratère du Vésuve, les révoltés mettent en déroute une petite troupe romaine conduite par Claudius Glaber ; puis, après avoir ravagé diverses cités du centre italien, ils assiègent Capoue, échouent, puis traversent la Campanie et s'établissent en Lucanie, dans l'extrême sud de la botte italienne, près de l'antique cité grecque de Thurium. Ils y construisent l'Etat du Soleil, utopie urbaine où s'érigent toutes les origines, toutes les cultures, toutes les bâtisses du monde romain : de la Gaule à la Thrace, du Samnium à l'Etrurie, de l'Ibérie à la Numidie, l'Etat du Soleil est une cité de broc et de brac dont les rues droites conduisent à la tente de celui qui imitent les consuls romains. Entouré de licteurs qui n'ont pas la hache, mais une chaîne brisée comme symbole, Spartacus négocie d'abord avec Thurium pour la subsistance de son Etat, puis avec les grandes puissances politiques qui s'opposent à la République romaine : le roi Mithridate VI du Pont, le rebelle Sertorius en Espagne, les pirates de Méditerranée. Malgré les victoires militaires contre les deux légions romaines lancées contre lui, malgré le nombre impressionnant de cent mille désoeuvrés qui obéissent à Spartacus, l'Etat du Soleil est de plus en plus isolé. Aucune cité italienne ne s'allie à lui, aucune autre troupe servile ne rejoint les révoltés. Bientôt affamés par un accord secret entre Thurium et les pirates, les esclaves de Spartacus s'en vont ravager Métaponte, et le sac sonne le glas de la révolte. Ayant échoué à changer le monde, les esclaves songent à regagner, chacun, leurs patries. Mais les rives du Pô seront l'ultime frontière septentrionale des esclaves. Spartacus veut alors rejoindre le sud, et la Sicile mais, poursuivis par Marcus Crassus et littéralement assiégés par lui dans le Bruttium, les esclaves sont réduits à livrer une dernière bataille, funeste pour tous. Ensemble ils trouvent la mort, sur le champ de bataille ou sur les croix.

Davantage que la réflexion philosophique sur l'éthique politique, ce qui marque d'abord, à la lecture du roman, est la restitution minutieuse de l'époque républicaine de la Rome antique. le souci du détail est porté à un niveau remarquable, du vêtement (et là encore, selon les classes sociales) à l'alimentation (les spectateurs qui mâchent des pois chiches lors du spectacle de gladiateurs), Arthur Koestler ne prend pas simplement le parcours et le personnage de Spartacus comme prétexte. Son récit forme ainsi un tout cohérent, et c'est aussi parce qu'il ancre si fort son récit au premier siècle avant notre ère que Koestler donne à celui-ci un caractère intemporel. Il dit : les hommes sont différents, voyez les à travers mes descriptions ; ils ne mangent, ni ne s'habillent comme nous, et leurs habitudes sont bien différentes des nôtres. Mais leur souci éthique, philosophique et moral est le même que le nôtre, vingt siècles plus tard. Par-delà le décor, Koestler reconstitue aussi un univers mental lié à des mécanismes sociaux bien établis dans la République romaine. Prenant de la hauteur, Koestler développe les rivalités politiques du temps. Rome, en ce début de premier siècle, connaît une crise politique et sociale qui dure déjà depuis presque un siècle. La concentration des richesses entre les mains de quelques-uns a favorisé le développement d'une classe sociale pauvre mais libre ; elle se traduit politiquement par la lutte entre factions dont émergent de charismatiques dirigeants, tels Marius ou Scylla, qui annoncent le temps de Pompée, de Crassus et de César. En Italie, la population servile est aussi deux fois plus nombreuse que la population libre. Sa composition traduit les succès de Rome dans l'ensemble du monde méditerranéen : Grecs, Thraces, Gaulois, Ibères ou encore Syriens et Parthes sont partout dans la société italienne : unique dans les foyers modestes, pléthoriques dans les latifundia, en rangs serrés lorsqu'ils servent la municipalité. le monde romain est un monde dur, où hommes et femmes peuvent être des meubles, et où même les libres doivent rechercher la protection des puissants. Ainsi Quintus Appronius, greffier de province à Capoue, qui traîne sa vieille carcasse aux thermes pour y solliciter quelque faveur de Batuatus ou de Rufus, ou bien même leur protection. de la même façon, ce monde est celui des opportunités tant politiques qu'économiques. Lorsque les nouvelles de la révolte servile parviennent à Rufus et à Batuatus, ceux-ci commencent à spéculer sur les cours du blé. Car Rome, en vérité, est devenue un parasite pour son empire. La Ville au million d'habitant ne travaille pas, et compte sur ses possessions pour la nourrir.

Que le monde romain connaisse alors une crise morale et éthique, même les Romains - certains d'entre eux, en tout cas, tel Caton le Jeune - l'admettent bien volontiers. La dépravation morale est même l'objet de discussions et d'un certain désespoir pour ceux qui la clament. Ainsi la crise sociale, politique et économique prend-elle des accents philosophiques, puisque l'effondrement des valeurs morales commanderait, selon Caton, celui, futur, de l'empire. Lui répondent d'autres accents, cyniques ceux-là, et extrêmement pragmatiques, de Crassus, dont la constitution de la fortune a reposé sur des procédés ô combien immoraux. Ces deux hommes, pourtant, le rigide et vertueux Caton et l'omnipotent et amoral Crassus, sont les deux faces de la même Rome. La République s'est faite empire par le biais de ces deux visages. La révolte servile conduite par Spartacus remet brutalement en question ce succès apparent. Plus que la liberté, Spartacus cherche à trouver une nouvelle voie. Car la liberté seule ne suffit pas. Tant d'hommes libres sont en fait les obligés d'autrui. La révolte provient du plus profond de ce système. Ceux qui l'initient sont des gladiateurs, c'est-à-dire des hommes promis à la mort pour égayer la population. A l'absurdité de leur sort répond la violence qu'ils répandent. A leur mort dans l'arène répondent les morts sur les pentes du Vésuve, sur les champs de bataille ou dans les cirques improvisés par les anciens esclaves pour que les légionnaires s'y entretuent. Pourtant, Spartacus récuse la violence dont ses troupes font preuve à l'occasion de la destruction des cités italiennes. Car il ne s'agit pas tant de se venger que de proposer un nouveau modèle, fondé sur un égalitarisme qui rappelle fortement le communisme idéal, et qui, excluant la propriété privée et les échanges monétaires, veut abattre les rapports de force entre les hommes.

Pourtant, la révolte servile de Spartacus connaît un terrible échec. Fulvius, l'historiographe de la horde, s'en étonne d'abord. Pourquoi les esclaves de Capoue défendent-ils leurs maîtres ? Plus tard, près de Thurium, Spartacus s'afflige de ce qu'aucune nouvelle horde, venant de Ombrie, d'Etrurie ou de Campanie, ne les rejoigne. Les circonstances, pourtant, étaient favorables : crise morale à Rome, ennemis intérieurs et extérieurs à la République, succès militaires des débuts. L'échec s'explique de façon extrinsèque et intrinsèque. Les causes extérieures tiennent d'abord au conservatisme social et politique. le changement fait peur, y compris à ceux que le système exploite. Ensuite, c'est aussi la supériorité militaire de Rome qui finit par s'exprimer, après que Sertorius a été vaincu en Espagne. Toutefois, les causes de l'échec sont aussi intrinsèques. La violence de l'Armée des Esclaves, qui effraie les cités italiennes, provient, il est vrai, des contingents celtes qui se reconnaissent davantage en Crixus qu'en Spartacus. Si la violence initiale était nécessaire, elle finit par desservir le mouvement, comme le pressent Spartacus lorsqu'il apprend le sac de Métaponte. Il y a ici l'idée que les hommes libres n'agissent pas forcément selon leur intérêt ; là demeure un paradoxe, qui débouche sur un reproche que font les anciens esclaves à Spartacus. Libres, les hommes doivent pouvoir agir comme ils l'entendent, mais Spartacus désapprouve leur conduite, et leur demande une soumission la plus totale afin, pense-t-il, de leur offrir un monde meilleur. Ainsi la conquête de la liberté conduit-elle à la recherche d'un asservissement nouveau, ou d'une mort certaine. Au-delà de cela, on observe aussi une certaine rupture entre Spartacus et ses hommes. Son rôle nouveau lui fait chercher les alliances des puissants - les pirates, Sertorius, Mithridate VI - et la personnalisation, en lui, du mouvement, le coupe socialement et topographiquement de ceux qui l'ont suivi ou rejoint. Après le monde de la révolte, Spartacus entre dans le monde de la politique, qui est celui du consensus et, donc, du renoncement. Ainsi les négociations avec Thurium, durant lesquelles Fulvius assure aux édiles de la cité la perpétuation de la propriété privée, représentent-elles un renoncement qui limite, et donc condamne, la révolte servile. La fin justifie-t-elle les moyens ?, demande Koestler dans la postface. L'instauration d'un monde nouveau légitime-t-elle la crucifixion des Celtes après Métaponte ? La recherche de l'égalité entre les hommes autorise-t-elle l'omnipotence de Spartacus ? du haut de sa fortune et de son cynisme, Crassus tance Spartacus : il ne s'agit pas de changer le monde - son inertie est trop forte - mais les idéaux. Faire du mal de ce monde - le travail et ce qu'il induit : le rapport de force entre les hommes - une idée à poursuivre.

De cette révolution avortée demeure toutefois deux éléments intéressants. D'abord, la révolte servile bouleverse durablement la société romaine qui, bien qu'elle ne change pas radicalement - César et Auguste seront bien plus riches et puissants que ne le furent Pompée et Crassus, ou Marius et Scylla - prend conscience de ce terreau social instable. le deuxième élément tient à la personnalité de Spartacus dont le caractère tient du héros messianique. Sur les pentes du Vésuve, un juif essénien lui parle du Fils de l'Homme, venu pour délivrer l'humanité. Quelques décennies avant la délivrance du message christique en Judée, l'épopée de Spartacus annonce un renversement des valeurs en promettant d'abord, et pour l'essentiel, la dignité à ceux qui le suivent. Que le monde demeure tel qu'il est, que les forces en présence fassent tout pour que le système dans lequel elles sont les élites perdure ne change rien à l'affaire. La dignité est un combat qui jamais ne se finit ni se perd. Lorsqu'un homme tombe, un autre reprend, tôt ou tard, le flambeau.
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Spartacus, où pourquoi les révolutions n'ont aucune chance d'aboutir.

Pourtant, au début de cette histoire, on pourrait y croire (on y croit toujours au début, me direz-vous) : face à un pouvoir romain déliquescent, ce sont plus de cent mille hommes, esclaves qui s'affranchissent de leurs chaînes, fermiers, bergers et artisans qui se libèrent du joug économique qui les asservit pour suivre Spartacus, le gladiateur rebelle, et construire ensemble la cité du Soleil.
C'est compter sans les chaînes invisibles et profondes qui continuent de les asservir et les ramèneront dans les mains des puissances de l'argent auxquelles décidément, aujourd'hui comme hier, on ne la fait pas.

Un récit assez académique mais à la portée universelle où le soleil de l'espoir ne brille pas fort, et jamais longtemps.
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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
A pied ou à cheval, ils se dirigeaient vers le nord. Ils étaient quinze mille, ils étaient vingt mille...Ils laissaient derrière eux des ruines. A leur tête, un géant roux vêtu d'une peau de bête. Son emblème n'était pas l'aigle romaine, mais une chaîne brisée.
Prince des gladiateurs, esclave révolté, il s'appelait Spartacus, et il était de la race des chefs.
Bientôt ils furent cent mille, ils étaient tous frères, et ils construisaient la Cité du Soleil.
Dans toute l'Italie, les esclaves rêvaient. Ils rêvaient d'une vie fondée sur la justice, ils voulaient vivre comme des hommes, mais le monde les contraignit à redevenir des loups. Et comme des loups, ils furent traqués et massacrés.
Leur rêve avait duré deux ans ; leur dernière bataille dura de l'aube à la nuit.
(quatrième de couverture du volume paru aux éditions "J'ai Lu" en 1986)
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Tu as dit que ses intentions étaient pures ? Mais naturellement ! Ce n’en est que plus dangereux. Nulle tyrannie n’est plus terrible que la tyrannie convaincue d’être la gardienne désintéressée du peuple. En effet, le mal que peut faire un tyran cruel de sa nature est limité au domaine de ses intérêts personnels et de sa cruauté. ; mais le tyran honnête et qui obéit à des raisons supérieures, celui-là peut faire un mal sans limites.
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Vous prétendez abolir l'esclavage et vous n'avez même pas songé que, par là, vous alliez fermer les mines et les carrières, arrêter la construction des ponts et des canaux, paralyser la navigation et replonger le monde dans la barbarie ! Car, pour l'homme moderne, la liberté ne signifie qu'une chose : ne plus être obligé de travailler. Si réellement vous aviez voulu des solutions sérieuses, vous auriez dû prêcher une nouvelle religion élevant le travail au rang d'un culte. Vous auriez proclamé que la sueur du travailleur était un liquide sacré ; que c'est uniquement dans le labeur et la souffrance, dans le maniement de la pelle, du pic ou des rames que s'affirme la noblesse de l'homme, tandis que la douce oisiveté et la contemplation philosophique sont méprisables et condamnables.
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- Tout à l'heure, tu m'as dit toi-même que tu ne croyais pas aux prophéties !
- Je ne crois à rien de ce qui est exprimé, répondit l'homme, mais je crois à la puissance du Verbe. Les mots sont de l'air, mais l'air se fait vent et il pousse les navires.
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Vraiment j'ai été très bien servi !!! Un roman grandiose retraçant la vie d'une révolution qui a marqué l'histoire et a failli mettre fin à Rome précocement...
Surtout oubliez les portraits grecs, la belle faussette du menton de Kirk Douglas, le décor romain et apprenez de la segesse de Fulvuis, de l'Éssenien le maître du Publidor, de Nicos et du grand Zozimos. Il s'agit aussi du génie d'Arthur Koestler qui fait analyser la révolution par ces personnages antagonistes : Spartacus, Crixus, Crassus, Fluvuis, Zozimos...
Koestler reprend sa fameuse phrase : Nous vivons au siècle des révolutions avortées. Quelles en sont les causes ?
La loi de la déviation, le communautarisme qui est très apparent dans ce roman ou le climat international qui n'admet La cité du soleil ?
J'avoue que ce roman m'a fait rappeler le printemps Arabe et m'a enseigné que Spartacus fut un grand Homme et qu'il avait d'avancé Karl Marx de deux siècles.
À lire !
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Attention !!! Nouvel horaire pour l'émission "Le coup de coeur des libraires" sur les Ondes de Sud Radio. Valérie Expert et Gérard Collard vous donnent rendez-vous chaque samedi à 14h00 pour vous faire découvrir leurs passions du moment ! • Retrouvez leurs dernières sélections de livres ici ! • • • Johnny Johnny de Frédéric Rossignol aux éditions Arléa https://www.lagriffenoire.com/johnny-johnny.html • le grand livre des coïncidences de Paul Kammerer, Raymond Clarinard aux éditions Aux Feuillantines https://www.lagriffenoire.com/le-grand-livre-des-coincidences.html • Réflexions sur la peine capitale de Arthur Koestler , Albert Camus aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/reflexions-sur-la-peine-capitale.html • Gypsy, Mémoires: Les fabuleux souvenirs de la reine du strip-tease de Broadway de Rose louise Hovick et Vianney Aubert aux éditions Aux Feuillantines https://www.lagriffenoire.com/gypsy-memoires-les-fabuleux-souvenirs-de-la-reine-du-strip-tease-de-broadway.html • Prisonnière de B.-A. Paris aux éditions Hugo Thriller https://www.lagriffenoire.com/prisonniere-2.html • Chien Pourri au musée de Colas Gutman et Marc Boutavant aux éditions EDL https://www.lagriffenoire.com/chien-pourri-au-musee.html • L'affaire Madame de Emmanuelle Anizon aux éditions Studiofact https://www.lagriffenoire.com/l-affaire-madame-le-jour-ou-la-premiere-dame-est-devenue-un-homme-anatomie-d-une-fake-news.html • On m'appelle Demon Copperhead - Prix Pulitzer de Barbara Kingsolver et Martine Aubert aux éditions Albin Michel https://www.lagriffenoire.com/on-m-appelle-demon-copperhead.html • L'Arbre aux haricots de Barbara Kingsolver et Martine Aubert aux éditions Rivages Poche https://www.lagriffenoire.com/l-arbre-aux-haricots.html • Furie de Alex Michaelides aux éditions Calmann-Lévy https://www.lagriffenoire.com/furie-4.html • Dans son silence de Alex Michaelides aux éditions Livre de Poche https://www.lagriffenoire.com/dans-son-silence.html • Chantons sous les larmes: Lettres à Jean-Pierre Marielle de Agathe Natanson aux éditions Seuil https://www.lagriffenoire.com/chantons-sous-les-larmes-lettres-a-jean-pierre-marielle.html • Avant de sombrer de Cyril Carrère aux éditions Folio Policier https://www.lagriffenoire.com/avant-de-sombrer-1.html • La Colère d'Izanagi de Cyril Carrère aux éditions Denoël https://www.lagriffenoire.com/la-colere-d-izanagi.html • Fantômes yokai de
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