Carine boit sans gêne le punch des « croque-morts » qu’on vient de lui proposer. L’alcool a amplement pris le dessus sur le fruit. C’est parfait. Elle ne demande qu’à se sentir légère.
— Vous savez, voir des morts tous les jours, ce n’est pas aussi facile qu’on le croit.
Humour noir. Marrant. Carine est réceptive au ricanement des employés funéraires.
— Souvent, on pense que notre boulot, c’est simplement conduire une voiture et porter des cercueils. C’est faux. Nous voyons les corps. Qu’ils soient en bon ou en mauvais état. Nous sommes présents lorsque le thanatopracteur, vous savez, l’esthéticien des cadavres, arrange la gueule du mort pour la rendre plus présentable. Sans vouloir manquer de respect à votre mère bien sûr. C’était une femme qui avait une certaine présence. La mort n’a rien enlevé de son air angélique.
— Ma mère était un monstre.
Madame Lavigne, une boule naissante au creux de ses entrailles, se précipite dans la cuisine pour aller chercher le plat magique qui conjurerait le mauvais sort. Il n’y a rien de mieux qu’un bon Tiramisu pour réconcilier tout le monde. Une pensée rassurante et bien naïve.
À la table du jardin, deux chaises sont désespérément vides. Cassandre hausse les épaules. Elle est la première à se servir. Ce n’est pas dans ses habitudes. Sa mère, dans une volonté de retrouver au plus vite une situation normale, ne le lui fait pas remarquer. De toute manière, la journée est gâchée. Tout le monde n’aura pas mangé de son dessert dans lequel, elle a mis tant de passion.
"Ce qui devait arriver est arrivé un matin. Ma silhouette volumi-neuse me rappelle que rien ne sera jamais plus comme avant. Je palpe ce qui me sert de nouvelle poitrine. Dans une autre réalité, j’en aurai mieux savouré la forme. En dessous, la dénaturante excrois-sance donne un aspect monstrueux à ma transformation. On est loin de l’image du petit papillon déployant ses ailes. Le marketing sait inventer de jolies histoires pour vendre des articles de maternité."