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L'homme aux mille visages" est une enquête journalistique à partir du témoignage d'une jeune femme qui a raconté son histoire à Sonia Kronlud, celle de l'homme qu'elle a aimé et dont elle a eu un enfant qui était un imposteur, un affabulateur, un mythomane qui avait déjà fait de nombreuses victimes au Brésil, en France, plus tard en Pologne... Elle souhaitait ainsi faire en sorte qu'il n'y en ait pas d'autres et mettre un point final à sa souffrance en la verbalisant.
Le schéma est toujours le même : il s'invente, à chaque nouvelle rencontre, un nouveau nom, un nouveau passé, une nouvelle famille, un nouveau métier, un nouveau CV et mène souvent de front plusieurs histoires. Une fois qu'il a grugé les femmes qu'il piège, qu'il a obtenu d'elles pas mal d'argent, il disparaît, parfois sans que ces femmes aient découvert le pot aux roses.
L'auteure a mené une enquête de cinq ans au Brésil, en France, en Pologne; elle a rencontré quelques-unes de ses victimes (certaines ont refusé de témoigner par honte ou par peur), elle est allée dans le village de son enfance, pour essayer de comprendre les ressorts de cet homme, dont le vrai nom est Ricardo. Elle l'a même interviewé en utilisant les mêmes subterfuges que lui, en mentant et en le piégeant.
On sent que l'auteure est fascinée par cette personnalité complexe et multiple et que ce travail fut aussi une quête sur elle-même car elle n'a aimé que des hommes menteurs et manipulateurs. On ne peut être qu'interloquée par Ricardo qui arrive à se créer de toute pièce et dans les moindres détails, un personnage différent, qu'il investit corps et âme, arrivant même à déterminer et à s'adapter aux désirs et aux failles de ses compagnes pour mieux se les attacher; ceci explique d'ailleurs que les descriptions qu'en font les victimes, soient si différentes les unes des autres.
Sonia Kronlud compare Ricardo, plusieurs fois à Jean-Claude Romand qui a assassiné toute sa famille lorsque ses mensonges depuis 18 ans (il n'était pas médecin, était ruiné) allaient être découverts; ce rapprochement est peu pertinent puisqu'il n'a menti qu'à sa famille, ne s'est crée qu'un personnage et, acculé, est devenu meurtrier. Ricardo s'apparente plus à Franck
Abagnale qui a inspiré le film "Arrête-moi si tu peux" avec Leonardo di Caprio, qui a, lui aussi, arnaqué nombre de personnes en endossant des noms, des métiers et des vies différents. Quand il commence à ne plus maîtriser la situation, il s'enfuit.
Ce livre est intéressant pour démonter les mécanismes de tromperie mais il n'ouvre pas de pistes ou n'apporte pas de réponses à ce qui peut expliquer une telle personnalité et nous laisse un peu sur notre faim. Cette histoire fait aussi l'objet d'un documentaire, tourné par Sonia Kronlud, cette année et qui, si mes informations sont correctes, n'est pas encore sorti.